Une journée à Kouraj. Et un explicatif des dénominations LGBTQ
Quatre mois après la mort du président de l’organisation Kouraj dans des conditions troubles, les autorités compétentes n’ont toujours pas soumis les résultats de son autopsie. Une visite au local de l’institution permet de comprendre comment l’association tente de survivre, dans un environnement hostile.
C’est un grand appartement dans un quartier calme et relativement chic qui abrite l’organisation Kouraj. À l’intérieur, les gens parlent de tout, ils discutent très fort et semblent très à l’aise. Ce sont des lesbiennes, gays, bisexuels, des femmes et hommes transgenres.
Si l’on se fie seulement à leur apparence, l’on peut se tromper. À Kouraj, l’on fait la différence entre genre et sexe. D’ailleurs, sur la cour de l’institution, il y a des messages sur les murs évoquant la diversité sexuelle et qui renvoient au respect de la différence.

Sur la cour de l’institution, il y a des messages sur les murs évoquant la diversité sexuelle et qui renvoient au respect de la différence. Photo: Laura Louis
Il est environ 14 heures, la communauté vient de se réunir pour tenir la rubrique vendredi Kouraj qu’elle anime chaque semaine.
A chaque occurrence, cette rubrique traite d’un sujet particulier. Ce vendredi 20 mars, c’est sur la sexualité que le débat a eu lieu. L’on a ensuite fait le point autour d’une sensibilisation sur le Coronavirus. « Dans les prochaines rencontres, nous nous réunirons à moins de 10 personnes pour nous protéger contre le Coronavirus », dit Hetera Saskya Caïla Esthimpil, l’actuelle présidente de l’organisation.
« Avant de partir, Charlot Jeudi a préparé la relève », dixit la nouvelle présidente de Kouraj
Après le décès de Charlot Jeudi, le comité exécutif de Kouraj s’est réuni en assemblée générale et a choisi Esthimpil pour présider pendant un an, le temps d’organiser les élections qui donneront une nouvelle coordination pour un mandat de 5 ans.
« Charlot a travaillé dur pour que l’organisation reste vivante même après sa mort, dit-elle fièrement. Aujourd’hui, Kouraj ne manque que sa présence. Je suis la présidente, mais j’ai tout le conseil avec moi, un directeur exécutif, une directrice administrative et un délégué. »
Esthimpil est une femme transgenre, c’est-à-dire qu’elle est née dans un corps mâle avec une personnalité femelle. Elle a 25 ans. Son vrai nom est Anderson Estimphil, mais elle préfère se faire appeler Hetera pour son identité de genre. « Je suis homosexuelle avérée, dit-elle. Je vis en union libre avec un homme qui lui-même est gynésexuel c’est-à-dire qu’il s’intéresse à la féminité chez une personne. »
Et Esthimpil paraît en effet très féminine. Son visage est maquillé. Elle porte une perruque frisée, des bijoux de couleur or pour femme. Son corsage à rayures noir et blanc va avec son pantalon blanc. Esthimpil s’habille « ton sur ton » comme on le dit en Haïti. Sur son pupitre, la jeune femme pose son ordinateur et son sac à main qui a l’air flambant neuf.

Esthimpil s’habille « ton sur ton » comme on le dit en Haïti. Photo : Laura Louis
Pendant l’interview, son mari a appelé, Esthimpil a répondu avec douceur pour lui dire d’appeler après parce qu’elle donnait une entrevue. « C’était mon mari », dit-elle dans un large sourire après l’appel.
La présidente partage son bureau avec le directeur exécutif qui n’est pas là lors de notre visite.
Dans le bureau se trouvent des drapeaux arc-en-ciel, des plaques d’honneur et une photo encadrée de Charlot Jeudi posée sur une table. Sur la photo est écrit : « Une personne chère ne nous quitte jamais… Elle vit au plus profond de notre cœur et pour le revoir, il suffit de fermer les yeux ».

Une personne chère ne nous quitte jamais… Photo: Laura Louis
Partenariat avec des cabinets d’avocats
Depuis neuf ans, l’organisation Kouraj œuvre dans la promotion des droits des personnes LGBTQ en Haïti. Elle offre des services sanitaires aux membres de la communauté et les accompagne quand ils sont victimes de violation des droits humains.
« Nous avons un partenariat avec des cabinets d’avocats pour protéger nos droits dans les tribunaux », dit Esthimpil.
Même s’ils s’amusent beaucoup entre eux, les membres de Kouraj avouent que l’enceinte de l’organisation est le seul endroit où ils arrivent à se sentir bien. Beaucoup d’entre eux disent que les membres de leur famille les ont rejetés. Quand ce n’est pas, la famille c’est la rue, l’église ou les voisins.
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Selon les membres de Kouraj, la société haïtienne étant très homophobe associe la diversité sexuelle à la débauche. « Ils pensent que diversité sexuelle signifie perversité. Ils se trompent. Ce n’est pas parce que vous êtes homosexuel que vous êtes censé faire n’importe quoi ou sortir avec n’importe qui. Les gens sont pervers s’ils le veulent, mais parce qu’ils sont de telle orientation sexuelle ou de telle autre », affirme d’un air sérieux, Adèle, une lesbienne de la communauté.
Des séances de formation régulières
Par ailleurs, Kouraj organise des formations pour ses membres et ceux-ci sont employés au sein de l’institution. « Nous nous organisons mutuellement et cela donne des résultats satisfaisants et nous continuons de lutter », rajoute la présidente.

La société haïtienne étant très homophobe associe la diversité sexuelle à la débauche. Photo: Laura Louis
Selon les membres de l’organisation Kouraj, les gens et même certaines personnes de la communauté LGBTIQ font souvent l’erreur de confondre l’orientation sexuelle et l’identité de genre.
Pour la présidente de l’organisation Kouraj, l’orientation sexuelle est la faculté d’identifier vers quelle personne on est attiré alors que l’identité de genre est la capacité d’identifier qui on est.
« Je suis homosexuelle parce que je suis une personne de sexe mâle qui est attirée par d’autres personnes de sexe mâle. Je suis une personne trans parce que je suis né avec un sexe qui n’est pas compatible avec mon psychique. Depuis petite, je me suis toujours comportée comme une petite fille alors que j’avais des organes génitaux masculins », explique celle qui croit qu’on est né homosexuel et qu’on ne le devient pas.
Dans le même sens, deux personnes trans de sexe opposé peuvent se mettre en couple. C’est le cas par exemple de Dylan et Helena, deux membres de Kouraj qui n’ont pas encore fait d’opération chirurgicale pour changer de sexe.
Dylan est né de sexe féminin, mais son identité de genre est masculine, c’est un homme transgenre. Pour sa part, Helena est né mâle, mais son genre est féminin, elle est donc une femme transgenre. Les deux sont amis. Même si pour Helena, la relation n’est pas sérieuse, car elle a déjà un homme dans vie.
« Je suis une femme trans bisexuelle, dit Helena. J’ai une personnalité de femme dans le corps d’un homme et je suis attirée par les personnes des deux sexes. “Avec Dylan ce n’est pas du sérieux, il le sait très bien.» Helena a fait cette déclaration devant Dylan qui lui-même semble très amoureux, l’homme trans n’arrête pas de caresser la tête de sa copine.
Il n’est pas seulement question de genre et de sexe. La société construit des valeurs qui veulent que l’homme soit viril et violent alors que la femme doit être féminine et calme. Ces mêmes construits traversent parfois la communauté LGBTI où par exemple une femme lesbienne peut vouloir dominer sa partenaire.
Pour les membres de Kouraj, ces pratiques ne doivent pas être reprises dans la diversité sexuelle. « Deux personnes qui s’aiment doivent avoir les mêmes droits, toute démarche contraire est qualifiée e dysphorie », avance Adèle, une lesbienne du groupe qui vit en couple avec un homme transgenre.

Les gens font souvent l’erreur de confondre l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Photo: Laura Louis
La dysphorie selon elle peut même aller dans la perception de la personne homosexuelle de ses organes génitaux. “Généralement les personnes transgenres n’aiment pas leurs organes génitaux”, avance un autre membre du groupe.
Evensia par exemple qui est une femme transgenre avoue qu’elle n’a pas voulu qu’on touche son sexe lors de ses premiers rapports intimes avec un homme. « C’est que je ne m’imagine pas avec un pénis, pour moi c’est comme une erreur. À chaque fois que je me regarde au miroir, genre nu, je me demande que fait cette chose dans mon corps», dit-elle en riant.
Evensia vit avec sa famille. Elle est une femme transgenre qui se réclame sapiosexuelle parce qu’elle dit aimer avoir des relations sexuelles avec des gens intelligents. D’ailleurs elle vante l’éloquence de l’homme avec qui elle sort en ce moment.
La discrimination continue
En 2013, le bureau de Kouraj a été vandalisé et deux membres de l’institution en sont sortis victimes.
En 2016, l’organisation a lancé le festival Massimadi. L’initiative, une grande première dans le pays, devait montrer au public la réalité LGBTIQ à travers des films et des conférences. Mais, l’événement a dû être avorté à cause des menaces dont faisait l’objet ses initiateurs. Des leaders religieux, des sénateurs et des membres de la société civile ont pointé du doigt les membres de cette communauté comme étant des transgresseurs de la morale et de la valeur familiale.
Laura Louis
Adèle et Evensia sont des noms d’emprunt.
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