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2 officiers en RD touchent les parties intimes d’une Haïtienne enceinte. Son arrestation viole un accord passé avec Haïti.

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Les interventions de l’ONU et du gouvernement haïtien auprès des autorités dominicaines sont restées vaines

Christla Dorcely vit depuis plusieurs années en République dominicaine. Le 10 novembre dernier, elle se rend à l’hôpital Infantil San Lorenzo de Los Mina pour un check-up médical pour sa grossesse.

Des agents de l’immigration dominicaine en patrouille au sein de l’institution hospitalière appréhendent Dorcely et l’emmènent avec eux au nom de la nouvelle politique de zéro tolérance envers les femmes haïtiennes qui viennent accoucher en terre voisine, instituée par le président dominicain, Luis Abinader, début novembre. Cette politique a été renforcée après un clash sur Twitter avec Claude Joseph, alors ministre des Affaires étrangères et des Cultes.

Comme d’autres sans-papiers capturés par les autorités, Christla Dorcely est transportée au bureau migratoire Centro de acogida vacacional haina. Là, elle risquait de passer une ou deux jours en détention, avant d’être mise dans un bus à destination de la ville frontalière la plus proche que ce soit à Belladère, Ouanaminthe, Malpasse ou Anse-à-Pitre.

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« Dans ce centre de détention, deux agents dominicains ont procédé à ma fouille corporelle, relate Christla Dorcely. Ils ont aussi tâté mes seins et glissé leur droit dans ma partie intime », dénonce la dame qui dit avoir lutté pour empêcher les attouchements dégradants, avant sa déportation vers Haïti.

Selon Joseph Mike Lysias, responsable de communication du Groupe d’Appui aux Rapatriés et Réfugiés (GARR), des violations graves de droits humains sont constatées lors des rapatriements de migrants haïtiens à la frontière : attouchements sexuels, tentatives de viol, vols d’objets de valeur, violences psychologiques et physiques.

Malgré les promesses de « souplesse » des autorités dominicaines faite à l’État haïtien, les rapatriements se poursuivent quotidiennement dans les différents points frontaliers.

« Ces rapatriements se font au mépris total d’un protocole sur les mécanismes de rapatriement signé par les deux États en décembre 1999 », déclare Joseph Mike Lysias. Ce protocole d’accord mentionne que la détention ne doit jamais être utilisée dans le cas des mineurs, des femmes enceintes ou allaitantes, des personnes âgées et des demandeurs d’asile.

Mépris total

Plus de 170 femmes enceintes et 107 fillettes ont été renvoyées en Haïti en novembre, rapporte Joseph Mike Lysias.

Depuis les nouvelles dispositions prises par la République dominicaine en vue de durcir les mesures migratoires à l’encontre des immigrés, plus particulièrement les Haïtiens, les expulsions ne cessent de croître. Selon les données enregistrées par le GARR pour le mois de novembre 2021, 4 435 migrants dont 1 091 femmes ont été rapatriés vers Haïti par les autorités dominicaines.

Ils ont aussi tâté mes seins et glissé leur droit dans ma partie intime

La plupart des arrestations des migrants haïtiens se font de nos jours directement dans les différentes maternités en RD. Des convois d’agents de l’immigration investissent ces espaces de santé, à la recherche de femmes haïtiennes sans-papiers.

Natacha Jean Pierre a été accostée par les autorités de l’immigration au début du mois de décembre. Elle accompagnait sa cousine dans une maternité à Santo Domingo, capitale de la République dominicaine. « On nous a appréhendés au sein même de l’hôpital », dit-elle.

Natacha Jean Pierre, 29 ans et sans-papiers, a deux enfants. Elle était accompagnée de son plus jeune fils lors de cette visite médicale avec sa cousine. « Mon fils de six ans était resté seul à la maison », ajoute-t-elle. Arrivée à Belladère dans le centre d’hébergement du GARR, elle dit avoir appelé une voisine pour assurer la garde de l’enfant jusqu’à son retour. La famille haïtienne de la cousine en pleine ceinture était venue la chercher.

Natacha Jean Pierre a refusé d’accompagner les membres de sa famille pour retourner aux Gonaïves à cause de son fils resté en terre voisine. « Je compte revenir en RD dans les jours à venir, dit-elle. J’attends mon cousin, c’est lui qui doit venir me chercher ».

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La séparation des familles est interdite dans l’accord sur le rapatriement établi entre les deux pays se partageant l’île d’Haïti. Selon le responsable de communication du GARR, la chasse et le rapatriement massif des femmes enceintes constituent une violation grave des lois sur la migration et des droits humains.

Arguments «discriminants»

Selon les données, les migrants haïtiens représentent 5 % de la population en République dominicaine. Une grande partie de cette communauté haïtienne ne détient pas de permis de résidence. Selon une étude citée par le média dominicain Diario Libre, les Haïtiens se serviraient massivement des soins de santé des centres hospitaliers dominicains. Dans environ 30 % des accouchements dans les maternités publiques du pays, la mère serait haïtienne, d’après cette étude.

Une autre étude du Système national de santé dominicain évalue les dépenses totales en soins de santé pour les citoyens haïtiens à 4 195 millions de pesos (environ 73 millions de dollars) tout au long de 2019.

« Pour soutenir leur décision radicale qui consiste à déporter les femmes enceintes haïtiennes, les autorités dominicaines prétextent que leur pays ne peut pas supporter le fardeau des soins médicaux pour les sans-papiers », relate Ana Maria Belique, défenseure de droits humains et dominicaine d’origine haïtienne.

Cependant, la militante croit que les données partagées par l’État dominicain sont fausses. « Les autorités dominicaines se servent des Haïtiens pour couvrir les problèmes actuels auxquels fait face la République dominicaine, ajoute la militante de l’organisation des droits humains Movimiento Reconocido. L’administration du président Luis Rodolfo Abinader Coron, qui ne peut pas encore remédier à la crise économique du pays aggravée par la pandémie du Covid-19 fait tout pour détourner l’attention des Dominicains du vrai problème du pays », dit Belique.

En dépit des pourparlers engagés entre l’État haïtien et les autorités dominicaines, par le biais de l’ancien ambassadeur Daniel Supplice au cours d’une mission de six jours réalisée en début du mois de novembre, les activités de rapatriement des migrants vers Haïti n’ont pas encore cessé. Au cours de sa mission, Supplice dit avoir abordé avec les Dominicains la question de la frontière, le dossier des étudiants haïtiens, l’utilisation par des Haïtiens du service de santé dominicain et la question de l’identification des Haïtiens.

Daniel Supplice révèle avoir énergiquement protesté contre les mauvais traitements infligés aux femmes enceintes haïtiennes. Le ministre de l’Intérieur dominicain, dit-il, avait expliqué que cette décision ne venait pas de lui. Après le retour de l’envoyé spécial dans le pays le 14 novembre dernier, la déportation des migrants haïtiens n’avait pas diminué.

Pour soutenir leur décision radicale qui consiste à déporter les femmes enceintes haïtiennes, les autorités dominicaines prétextent que leur pays ne peut pas supporter le fardeau des soins médicaux pour les sans-papiers

Très actifs sur la frontière, les employés du GARR rapportent avoir accueilli plus de 400 personnes déportées à Ouanaminthe et à Belladère, après la visite de Daniel Supplice. Beaucoup de jeunes étudiants et des femmes enceintes comptent parmi ces rapatriés, rapporte Ulrick Camille, un animateur social du GARR travaillant au sein d’un centre d’hébergement à Belladère. Malgré le cri d’alarme de l’ONU et de la Commission interaméricaine des droits de l’homme pour suspendre les actions qui violent les droits humains de la population haïtienne, les autorités dominicaines font la sourde oreille.

Retours spontanés   

En marge des déportations brutales et forcées, des Haïtiens choisissent de revenir chez eux. Du 1er au 30 novembre dernier, 18 424 personnes ont pris la route du retour. Certains retours spontanés se font aussi dans les points frontaliers non officiels. Le GARR a enregistré 839 retours dans des points non officiels pour le mois de novembre.

L’instance publique chargée de la question migratoire en Haïti, l’Office national de la migration (ONM), n’a pas un lieu d’accueil sur les points frontaliers pour recevoir les migrants.

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« [La plupart des] femmes sont accueillies dans le centre d’hébergement du GARR qui détient une capacité d’accueil de 60 lits. Elles obtiennent de la nourriture, des serviettes hygiéniques, des frais de transport pour rentrer chez elles, un kit d’hygiène et parfois de nouveaux habits », raconte Ulrick Camille, animateur social du GARR au sein du centre.

Les femmes enceintes sont généralement déportées sans un sou et avec des vêtements déchirés lors des agressions physiques et sexuelles perpétrées par les agents de l’immigration dominicaine.

« Des téléphones sont mis à leur disposition pour informer leurs proches de leur situation », dit Camille.

Durant les périodes de déportations massives, tout le centre se trouve rempli. La grande salle de conférence et de réunion est parfois utilisée pour accueillir une centaine de personnes.

Journaliste à AyiboPost. Communicateur social. Je suis un passionnné de l'histoire, plus particulièrement celle d'Haïti. Ma plume reste à votre disposition puisque je pratique le journalisme pour le rendre utile à la communauté.

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