EN UNESOCIÉTÉ

Lè Prezidan m machande m pou machin

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Il est toujours plaisant de voir la grogne populaire quand des phénomènes, des dérives, des discriminations et des actes que les féministes combattent et dénoncent tous les jours, fuitent sur les réseaux sociaux. Quand on sert un « ti goute » au peuple et qu’il voit l’espace de quelques minutes d’une vidéo, l’abime des discriminations et des violences que subissent les femmes et les filles tous les jours. Cette semaine, ce sont les images d’une fillette « machande » pour une voiture par notre président en présence de notre première dame et de plusieurs « gwo chef » du pays. Ils s’en donnent à cœur joie devant son déhanchement pour le plus grand plaisir d’un public blasé à force de voir des enfants, des fillettes, des femmes offertes comme marchandises à tous les coins de rue sur les billboards, à la télé, dans nos journaux, sur nos réseaux sociaux, dans nos quartiers, dans nos maisons. Un public, aujourd’hui indifférent à l’hypersexualisation des femmes, des filles. Un public inconscient quand l’un de ses enfants se fait abuser sous ses yeux. Un public inconscient de la ligne à ne pas franchir entre la pleine jouissance d’une femme de son corps, de sa sexualité et de la récupération du corps de ces femmes par un système capitaliste, machiste, sexiste et discriminatoire qui les transforme en produits de commerce ayant autant de valeur qu’une boisson énergisante ou…. une voiture.

Ce système qui vend mon entrecuisse, ma poitrine, mes fesses sur une affiche comme il vend sa boisson alcoolisée. Celui qui récupère le long combat des femmes pour l’appropriation de leurs corps, pour leur liberté sexuelle à des fins d’économie à faire fructifier. Les femmes se sont émancipées de la sacralisation-piège de leurs corps qui donnait le contrôle de celui-ci aux hommes, aux religions, à la société pour se laisser piéger par un système qui leur inculque qu’aujourd’hui leur valorisation passe par le conformisme à un idéal de beauté validé par une clientèle (après tout nous parlons de commerce) qui nous pousse à aller de plus en plus loin pour répondre à leurs diktats, leurs goûts, leurs obsessions. Nous sommes passées d’une prison à une autre.

Nos fillettes n’y échappent pas. Elles ne reproduiront que ce que nous leur vendrons comme modèles. Elles n’atteindront que les limites que nous leur donnerons. Jovenel Moïse a donné le sien: une bonne séance de « gouyad » au Champ de Mars et c’est gagné. Il a su mettre un prix sur le corps de cette fillette, elle ne vaut qu’une voiture. Nos vies et nos corps sont étiquetés comme des produits dans des magasins, étalés devant le grand public pour enchère. Après tout, il y a à peine un mois, un assassin avait mis un montant en dollars sur la vie de la femme qu’il avait sauvagement tuée à Jacmel.

Au-delà de l’aspect « objectivation » de l’acte du président et compagnie (ton corps contre une voiture), les diverses formes de violences subies par cette fillette sur ce podium et le message lancé aux enfants autant nos filles que nos garçons interpellent toute personne défendant les droits de la personne humaine. Le pouvoir et l’argent sont parmi les plus puissants moteurs des violations des droits de la personne, des discriminations, des violences et Jovenel Moise nous l’a encore démontré au Champ de Mars. Il n’est pas le premier. Il ne sera pas non plus le dernier.

Nous ne pouvons considérer cet acte ignoble commis au Champ de Mars comme un acte isolé. Nous devons l’analyser dans les prismes d’un système qui réduit les femmes, les filles au rang d’objets et qui pérennise ainsi jour après jour les rapports inégalitaires entre les hommes et les femmes. Nous devons le considérer dans un schéma-type de socialisation des filles dans notre société, dans leurs familles, dans leur espace de scolarisation et de loisirs, dans les images qu’elles reçoivent d’elles-mêmes à travers les discours et tous les canaux de communication auxquels elles ont accès. Nous devons l’interpréter à travers le système de valeurs et les critères de valorisation d’elles-mêmes qui leur sont transmis aujourd’hui.

C’est un enfant. C’est une mineure. C’est une fillette manipulée, utilisée comme un produit de consommation. Ce sont vos exclamations qu’elle entendait quand sa jupe n’arrêtait pas de virevolter, mettant son corps à nu devant vos yeux, en échange d’une voiture. Où étaient vos propres filles pendant ce moment? Où sont vos propres filles aujourd’hui? Quel est le prix pour exposer vos propres enfants comme des animaux dans un abattoir? Comment protégerez-vous nos filles contre la pédophilie, le viol, la prostitution juvénile quand vous les jetez vous-mêmes en pâture pour des biens de consommation? Ce traitement n’est-il réservé qu’aux filles de cette tranche de population que vous saoulez à coup de décibels, de paroles grivoises, de télévision pour les faire oublier que vous n’investissez pas dans l’éducation de leurs enfants? De quoi devons nous avoir peur pour nos filles une fois les cameras éteintes, quand les prédateurs se promènent dans tous les couloirs du pouvoir?

Pascale Solage

Negès Mawon

La rédaction de Ayibopost

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