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Voter… oui? Non? Peut-être? Jamais?

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Chère Madame Généus,

J’ai lu avec beaucoup de plaisir l’éditorial de Monsieur Duval, paru dans le Nouvelliste le 13 Août dernier, et avec étonnement votre article y relatif. Il faut dire que je m’attendais assez à ce que cet édito suscite de l’intérêt, mais votre texte m’a surpris. En le parcourant, je me suis dit : « Tiens, elle doit être une femme bien dure cette chère Gessica! » Voyez vous, comme bon nombre d’êtres humains, vous avez peut être déjà eu le coeur brisé par un homme que vous valorisiez plus que tout, et en qui vous aviez placé naïvement votre confiance. Vous êtes-vous dit, par la suite, que tous les hommes étaient donc des goujats, et que par conséquent, vous demeureriez célibataire pour le restant de vos jours ? Avez-vous depuis décidé catégoriquement de ne laisser sa chance à aucun autre ?

Cela doit être le cas, si le désabusement provoqué en vous par certains politiciens mafieux qui sont légion, je vous l’accorde, est tel que vous ayez jugé qu’il était désormais inutile d’aller remplir votre devoir civique, sous prétexte que les candidats n’étaient pas de taille.

Dans votre article, vous avez demandé de vous citer quatre candidats qui soient réellement des leaders. J’aimerais, si vous le permettez, vous retourner la question. Insinueriez-vous qu’aucun des prétendants à un poste électif n’aurait mérité votre vote ? Même pas un seul ? Allez, un petit effort… Avez vous pris la peine de consulter leurs programmes, de suivre les débats, de vous intéresser de près à certains d’entre eux, afin de déterminer à qui vous alliez accorder votre confiance? Ou bien avez-vous pris la décision de ne pas vous présenter à votre bureau de vote, mue par le souvenir amer de tous ceux qui auparavant, vous ont déçue et ont failli à leurs promesses ? Parce que si c’est le cas, permettez-moi de vous dire que ce n’est pas très juste…

Je comprends très bien que vous puissiez être traumatisée par l’incident à la Ruelle Vaillant au cours duquel votre mère a failli perdre sa vie, lors des élections de 1987. Cela, à mes yeux, constituerait une raison beaucoup plus valide au fait de ne pas se rendre aux urnes, que la sempiternelle excuse dont la majorité se sert, à savoir qu’il n’y aurait pas de candidats valables, et à l’instar de Simone de Beauvoir, j’aimerais dire à tous ceux-là qu’il est peu de vertus plus tristes que la résignation ; elle transforme en fantasmes, rêveries contingentes, des projets qui s’étaient d’abord constitués comme volonté et comme liberté.

Oui, ce pays a besoin de vrais leaders. Mais vous semblez oublier que vous aussi, vous en êtes un. Vous êtes jeune, très talentueuse, et sans que vous vous en doutiez, beaucoup d’autres jeunes vous prennent comme modèle. Pourquoi ne pas vous présenter à un poste ? Pourquoi ne pas devenir ce leader, ce législateur qui saura remanier avec justesse notre constitution, même si ce ne serait que d’une main tremblante comme le voudrait Montesquieu, et établir des lois pertinentes qui serviront nos minorités pauvres ? Mais les citoyens éduqués comme vous, comme moi, ne nous intéressons que de très loin à la politique. Nous ne nous voyons sans doute pas nous frotter avec certaines catégories de gens que nous observons à la télévision s’entre-déchirer lamentablement au parlement. Nous estimons sans doute que nous sommes trop bien de notre personne pour devenir sénateur de la République, alors que nous pourrions être directeurs de banques, d’ONG, femmes ou hommes d’affaires. Grossière erreur, je dois l’admettre !

Vous avez raison d’accuser certains candidats de ne participer aux joutes électorales, que dans l’espoir de bénéficier en toute quiétude de l’immunité parlementaire, ou dans l’unique but de se remplir les poches rapidement ou encore comme tremplin vers une ascension sociale si recherchée. Mais je peux vous assurer que tous les haïtiens ne sont pas de la même trempe. Certains citoyens de ce pays l’aiment sincèrement, et sont prêts à tout sacrifier pour lui, je peux vous en donner la garantie.

Voyez-vous, j’ai eu la chance d’avoir été élevée dans une famille où la politique n’a jamais été un sujet tabou, avec des parents qui m’ont inculqué, très tôt, le sens du patriotisme et du devoir civique. J’avais à peine six mois lorsque mon père a été victime d’une tentative d’assassinat à visée politique. Mes parents ont dû partir de toute urgence pour les Etats-Unis, où mon père a pu recevoir les soins qui lui valent d’être encore en vie aujourd’hui. Ils ont tout de même pris la décision de retourner chez eux, aussitôt le danger écarté, malgré les protestations de parents et d’amis, qui estimaient que c’était de la pure folie, que de revenir vivre dans un pays qui a failli vous coûter la vie.

Des années plus tard, ma mère a eu le courage de se porter candidate au poste de Maire de Port-au-Prince, et de vous à moi, elle était l’une des rares autorités politiques de l’époque, sinon la seule, à ne pas circuler en véhicule aux vitres teintées, avec plaque d’immatriculation officielle. Sans doute ses prédécesseurs avaient estimé qu’en laissant le poste, il fallait emporter avec eux le matériel logistique appartenant à l’institution, si bien qu’elle n’avait d’autres choix que d’utiliser la petite « bogota » privée familiale pour effectuer ses déplacements. Pourtant, certains individus mal intentionnés ont tout de même eu l’audace de lancer une campagne diffamatoire à son égard.

Et aujourd’hui, malgré tout ce qu’elle a subi, après avoir reçu son certificat de bonne gestion de la Cour Supérieure des Comptes, elle s’est inscrite à nouveau pour le même poste, parce qu’elle estime devoir apporter sa contribution au redressement de la situation inacceptable qui prévaut dans la capitale du pays.

Aussi agréable que puisse m’être l’idée qu’elle soit unique en son genre, je suis forcée d’admettre qu’il existe, comme elle, de nombreux haïtiens honnêtes, crédibles, ayant pour souci premier de servir les intérêts de leur communauté et de leur pays. Mais leurs efforts sont souvent anéantis, par la passivité des citoyens conséquents, comme vous, qui laissent le champ libre aux personnes peu recommandables dont l’agressivité est maintenant proverbiale. Si je ne m’abuse, le Président Roosevelt eut à dire qu’un pays où les gens de bien ne sont pas plus agressifs que les coquins est un pays foutu. Aussi, bien que je respecte le droit de chacun de mes compatriotes de décider ou pas s’il vaut la peine, pour lui, de se prêter à ce que nous appelons, peut être pas à tort, cette mascarade électorale, j’estime humblement qu’il est grand temps que nous nous secouions, et que nous fassions valoir nos droits.

Je vais achever ici en répétant ce cher Gandhi, qui affirme qu’un individu conscient et debout est plus dangereux pour le pouvoir que dix mille individus endormis et soumis. Il est donc de notre devoir à nous, gens honnêtes de ce pays, de participer plus activement à la vie politique de notre patrie, et ceci de quelque manière que ce soit. Et surtout, n’oubliez pas, Madame Généus, que « dans les moments décisifs, la meilleure chose que l’on puisse faire, c’est de prendre la bonne décision; en second lieu, c’est de prendre la mauvaise décision, et la pire chose, c’est de ne rien faire».

Regina Duperval, MD

(c) Image : Le Parisien

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