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Viols, harcèlements… le lot des femmes qui vivent avec un handicap en Haïti

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Elles sont la cible d’abus de toutes sortes

Au début de l’année 2021, pas moins de quatre femmes ont été tuées à coups de couteaux par leurs conjoints. L’une d’entre elles était sourde. En Haïti, la souffrance des femmes qui vivent avec un handicap est double.

Garline François est une étudiante en Communication qui vit avec une malformation au dos, depuis qu’elle est née. Entre mauvaises blagues et insultes, elle a toujours tenu bon. Jusqu’à ce qu’elle soit violée en 2017, dans les rues de Pétion-Ville.

Il était environ 8h du soir, et l’homme était inconnu. « Je le suppliais de me laisser tranquille. Je lui disais que je pourrais être sa sœur. Je lui ai même dit qu’il y avait des travailleuses sexuelles dans les rues et qu’il pouvait de préférence aller vers elles. Il ne m’écoutait pas. Il continuait à me violer brutalement en me menaçant de me tuer si je ne me taisais pas. »

Ils me font savoir que je peux prendre facilement certaines positions sexuelles.

Après cette expérience, Garline François a reçu le soutien d’organisations féministes pour se faire soigner et entamer une procédure judiciaire. Mais elle n’a pas pu continuer. « Dans la clinique, à chaque fois que j’assistais à une séance de formation pour des femmes comme moi qui ont été violées, je me suis toujours sentie traumatisée. Les séquelles du viol me hantaient. J’ai tout interrompu et la visite chez le psychologue et la poursuite judiciaire. »

Cette jeune femme dit qu’aujourd’hui elle se sent guérie. Elle intervient sur le viol et d’autres types de violences basées sur le genre à l’université où elle étudie. Mais dans les rues, Garline François continue de subir les remarques déplacées des gens sur son handicap. 

Harcèlement au quotidien

Les femmes en situation de handicap sont victimes de harcèlement. Selon Garline François, ce phénomène est presque quotidien. 

«Dans les rues, des hommes que je ne connais pas me touchent et me serrent dans leur bras sans mon consentement. Ils m’appellent leur femme. D’autres me disent que je ne suis qu’une moitié de femme», témoigne la jeune femme de 25 ans. Certains hommes considèrent les femmes vivant avec un handicap comme une proie facile, selon elle. 

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« Les gens ont toutes sortes de stéréotypes sur les femmes handicapées. Ils disent que nous sommes sincères. Il y a des hommes qui abusent d’une femme avec un handicap parce qu’ils pensent que nous avons le pouvoir de leur porter chance », déclare pour sa part Jeanine Adelphin, qui a un handicap moteur dans les bras et au dos.

Elle aussi se fait harceler tout le temps. Des hommes lui proposent de la mettre dans leur lit. « Ils me font savoir que je peux prendre facilement certaines positions sexuelles. Il y en a d’autres qui m’avouent leur désir de faire une expérience avec une personne qui a une malformation », explique-t-elle.

Plus vulnérables encore

Les femmes sourdes sont plus vulnérables que les autres. C’est ce qu’a remarqué Bedjohanne Sulface, une formatrice qui milite pour le respect des droits des femmes en situation de handicap. 

Bedjohanne Sulface, qui elle-même est non voyante, explique que si elle fait l’objet d’une attaque, l’agresseur peut craindre qu’elle parle. Alors que pour une femme sourde, même si elle crie, personne ne comprendra ce qu’elle veut dire.

Ils se demandent si mon petit ami va devenir ma bonne

« On ne le sait peut-être pas, mais beaucoup de ces femmes sont souvent violées », lâche la formatrice. Et parfois, on les tue tout simplement. En 2016, trois femmes sourdes prises pour des loups-garous, ont été lynchées puis jetées dans un canal.

Mirlène Georges qui fait partie d’une communauté de personnes sourdes à Cabaret confirme les observations de Bedjohanne Sulface. « Nous sommes tout le temps dans la tourmente. Il y a des bandits qui détruisent nos maisons, pillent nos affaires et violent les filles et les femmes impunément », se plaint-elle.

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La dame de 33 ans a connu beaucoup de moments difficiles dans sa vie. Née aux Cayes, elle est rentrée à Port-au-Prince pour être scolarisée à l’École Saint Vincent. Pendant qu’elle vivait dans la capitale, Mirlène Georges est tombée amoureuse d’un policier avec qui elle a eu un enfant. « Quand je suis tombée enceinte, mes parents voulaient que l’homme m’épouse, mais ses parents à lui s’opposaient à ce lien parce que je suis sourde et pauvre », se souvient-elle.

Elle a accouché en 2010. Mais à cause du séisme, Mirlène Georges a connu des jours encore plus sombres. Elle s’est retrouvée dans les rues pendant plusieurs mois avant d’être placée dans un camp, par une association de personnes sourdes haïtiennes vivant à l’étranger. Après son passage dans ce camp, des organisations l’ont conduite dans une localité appelée Lévêque, à Cabaret. Les filles et les femmes y sont souvent violées.

Histoires de famille

Par rapport aux difficultés que rencontrent les femmes en situation de handicap, Soinette Désir, la secrétaire d’État à l’intégration des personnes handicapées déclare qu’elle a en perspectives de recruter un spécialiste en genre pour leur prise en charge, quand elles sont victimes. « Il nous faut un budget pour cela mais nous y arriverons. Nous avons en attendant un protocole d’accord avec des organisations œuvrant pour le droit des personnes handicapées. » 

Les discriminations viennent parfois des personnes qui sont proches de ses femmes. « Quand j’étais une enfant, se souvient Jeanine Adelphin, certains d’entre eux me comparaient à leurs enfants. Ils disaient que leurs enfants sont normaux, alors que moi, je suis handicapée. »

Adelphin a aujourd’hui 33 ans, et elle travaille comme secrétaire dans une organisation. Ses proches ne la laissent toujours pas  tranquille. «Des membres de ma famille ne comprennent pas comment un homme peut sortir avec moi. Ils pensent qu’avec mes petits poignets je suis inutile, et ils se demandent si mon petit ami va embaucher une assistante spécialement pour moi, ou bien si lui-même va devenir ma bonne. »

Les jugements viennent aussi de la belle-famille. Rose Adolphe a un pied plus petit que l’autre. Elle avoue qu’elle a été stigmatisée par la famille de son amoureux. « Une parente de l’homme avec qui j’ai eu un enfant, m’a dit une fois, en face, qu’un enfant en bonne santé ne pouvait pas naitre d’une femme comme moi. J’étais enceinte et son neveu, le père de mon enfant s’apprêtait à m’emmener à l’hôpital.  Ma fille a 18 ans maintenant et elle est en pleine forme », déclare Rose Adolphe qui aujourd’hui élève quatre enfants, seule.

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Selon Bedjohanne Sulface, les mères célibataires et qui en plus ont un handicap, font face à toutes sortes d’interrogations. « On leur demande pourquoi elles ont accepté d’être mises enceintes, on leur dit qu’elles l’ont bien cherché. Je connais une dame non-voyante dans l’Artibonite qui a cinq enfants dont elle ignore les géniteurs, parce qu’elle a été violée à chaque fois. Ce sont des leaders religieux qui l’aident avec ses enfants », confie Sulface.

 Laura Louis

Garline François est un nom d’emprunt
La photo de Jeanine Adelphin en couverture a été prise par Laura Louis

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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