Des milliers de manifestants ont foulé les rues de Port-au-Prince et certaines villes de province ce mardi pour protester contre l’insécurité. Cette marche pacifique est l’initiative du Collectif du 4 décembre et de plusieurs autres associations de la société civile
Bravant l’insécurité et la peur, des milliers d’Haïtiens ont exprimé leur ras-le-bol face à la « mauvaise gouvernance » d’Ariel Henry ce mardi 29 mars 2022. La journée marque le 35e anniversaire de la constitution de 1987. Aucune cérémonie officielle n’est tenue à Port-au-Prince par le pouvoir central pour commémorer cette date.
Les protestataires ont parcouru plusieurs artères de Port-au-Prince, pancartes à la main, de la place Constitution au Champ-de-Mars en passant par Lalue pour arriver au carrefour de l’aéroport. Ils dénonçaient l’incurie des autorités face au kidnapping et aux gangs criminels qui gangrènent le pays.
Des propos hostiles ont été lancés à l’égard des États-Unis, qui supportent l’administration d’Ariel Henry. On pouvait lire sur certaines pancartes : « USA se kout kouto de bò, kò gwoup se kout kouto de bò. » Des personnalités, telles que le Premier ministre élu de l’accord Montana, Steven Benoît, ont été aperçues dans la foule.
Jean Robert Argant, coordonnateur du Collectif 4 décembre, se dit satisfait de cette journée. Il annonce un point de presse qui sera tenu ce jeudi 31 mars pour faire le bilan.
Certaines entreprises commerciales, comme les banques, supermarchés et magasins, ont tardivement ouvert leurs portes dans la journée. Aucun élève n’a été remarqué dans les rues et les portes des institutions scolaires étaient restées fermées dans la région métropolitaine.
« Il n’y a pas eu à proprement parler un blocage des activités ni un mot d’ordre de grève. On marchait contre l’insécurité », rapporte Changeux Mehu, syndicaliste de transport en commun et responsable de l’association des propriétaires et chauffeurs d’Haïti (APCH).
« La population a vaincu sa peur pour venir dire non à l’insécurité et au kidnapping dans le pays, lance de son côté Gardy Maisonneuve, directeur exécutif du Centre Karl Lévêque. On attend une réponse concrète de la part des autorités ».
Les prochaines étapes de cette lutte seront plus significatives en cas où le gouvernement d’Ariel Henry refuse de prendre les mesures pour contrer la montée de la criminalité dans le pays, continue Maisonneuve. Il informe que plus 200 organisations sont déjà rentrées en contact avec les 40 organismes qui avaient initié cette marche.
Si la manifestation antigouvernementale s’est déroulée sans incident majeur à Port-au-Prince, elle a pris une tournure explosive dans le sud du pays. À Jérémie par exemple, les institutions privées et l’administration publique ont fermé leurs portes.
Selon des témoignages recueillis sur place, les protestataires ont entamé leurs marches dès 9 heures du matin dans la ville des Cayes. Barricades. Pneus enflammés. Au moins deux mille manifestants dénonçaient la vie chère et l’insécurité qui se sont accélérées sous l’administration du Premier ministre Ariel Henry.
Un groupe de protestataires particulièrement déterminé s’est dirigé vers l’aéroport Antoine Simon de la ville. Arrivés devant l’espace, ils ont commencé à affronter la police. « Le peuple n’a pas d’avion, il doit traverser Martissant », ont-ils scandé, d’après Cadafy Noël, sur place pour couvrir les événements pour J-Com, un média digital du sud d’Haïti.
La police résistait. Mais les manifestants ne voulaient pas lâcher prise. Quelques-uns, puis beaucoup d’entre eux s’en sont pris simultanément au grillage en fer qui sépare l’aéroport de la route nationale. En un rien de temps, ils se sont trouvés à l’intérieur de la structure. Et là, ils ont pris le contrôle d’un petit avion de l’organisation caritative « Agape » stationné dans l’enceinte de l’aéroport.
Peu de temps après, le commissaire du gouvernement des Cayes débarque sur la scène. Un crépitement de balles des forces de l’ordre a fait fuir la plupart des protestataires. Au moins deux personnes sont sorties gravement blessées.
Des policiers s’en sont pris au journaliste Jean Vanel Soliman de Radio Méga, à quelques mètres de l’aéroport. D’après Augustin Widshell, un collègue de Soliman, le professionnel portait un badge imposant dans son cou quand les policiers lui ont demandé de s’identifier. Même après identification, il sera sévèrement bastonné par les policiers.
D’après une source qui demande l’anonymat pour des raisons de sécurité, un des blessés aux environs de l’aéroport témoigne avoir été projeté par terre et poignardé par un agent de l’Unité départementale de maintien de l’ordre (UDMO). Il reçoit des soins dans un hôpital de la ville des Cayes.
Ces protestations prennent place parmi les premiers mouvements populaires contre l’administration du Premier ministre de fait, Ariel Henry. Supporté par la communauté internationale menée par les États-Unis et quelques partis politiques, le chef de gouvernement n’arrive pas à endiguer le fléau du kidnapping et l’inflation.
Ariel Henry veut cette année organiser des élections et changer la Constitution du pays. Le projet porté par l’ancien président assassiné Jovenel Moïse ne fait pas unanimité.
« Aujourd’hui encore, il est une nécessité, voire une urgence de nous doter d’un nouveau texte plus adapté qui, dans une perspective inclusive et participative, devra tenir compte de nos aspirations de développement, de bonne gouvernance, dans un contexte d’État de droit », a tweeté le Premier ministre.
Le symbolisme de la marche de ce 29 mars reste avéré. Bien avant la mort de Jovenel Moïse, l’insécurité et la répression gouvernementale tuaient dans l’œuf toute tentative de protestation dans le pays. Les manifestations des ouvriers du textile pour exiger de meilleurs salaires ont été attaquées par la police le 23 février dernier. Un journaliste en est mort et plusieurs blessés ont été enregistrés. Les forces de l’ordre ont aussi vigoureusement dispersé le mouvement de ce mardi.
Molière Adely a participé à ce reportage.
Photo de couverture : John Cadafy Noël / J-Com
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