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Versez-moi une Vestige, cher ami!

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Partager quelques verres entre amis n’est souvent qu’un prétexte pour se réunir, échanger, discuter et resserrer les liens. En effet, la bonne compagnie contribue beaucoup plus au bonheur et à la beauté du moment que le verre lui-même. Mais selon moi, le goût du liquide que l’on partage entre amis a lui aussi sa valeur. Et bien qu’il ne soit peut-être pas aussi précieux que la compagnie de ceux avec qui on le partage, il demeure néanmoins une variable non négligeable.

Je vais vous raconter une anecdote sur la Vestige, une bière très prisée dans la Caraïbe. Cette histoire est fictive, mais illustre à quel point les dimensions sociale et culturelle associées à une boisson sont importantes. Autour d’un verre Ti Paul m’a rappelé que de bien belles idées ont découlé de la Vestige et pour ce, il faudrait l’avoir en grande estime. Il ne s’agit pas seulement de scander que l’une des meilleures bières du monde est nôtre, il faut aussi respecter le processus, le travail, la culture et le savoir-faire qui viennent avec cette petite bouteille vieille de 40 ans.

Gagnante du prix « Meilleur Lager du monde », Vestige n’a cessé de charmer les amoureux du liquide d’or depuis son lancement au début des années 70. Le discernement de ce prix à une micro-brasserie caribéenne était une prouesse remarquable non seulement pour la marque mais aussi pour le pays, surtout quand on compare la taille du marché de la bière dans ce coin du monde à celle d’autres marchés à démographie similaire.

Avec la remise de cette prestigieuse distinction, les possibilités d’accroissement des ventes et des profits grimpaient en flèche. Du jour au lendemain, Vestige jouissait d’une reconnaissance internationale en plus de détenir un quasi-monopole. Les possibilités étaient donc infinies sur ce marché qui était loin, très loin, d’être saturé.

Comme il fallait s’y attendre, une grande multinationale décida d’absorber la marque. Mais le changement de propriétaire s’accompagna d’une multitude de modifications dans leur manière de faire. Dans les bars, dans les fêtes, dans les soirées entre amis, on se plaignit beaucoup des variations dans le gout de la bière nationale. Une bouteille était cette Vestige « bien frappée » qu’on connaissait, la prochaine était une version fade plutôt diluée selon certains. On regarda passivement le changement s’établir sans trop en prendre conscience. On eut des doutes, mais on demeura en majorité fidèle à notre bière.

Ce pays n’ayant pas d’organisation responsable de la défense des droits des consommateurs, les compagnies n’avaient aucune obligation d’avertir la population des variations apportées à la composition de ces produits. Aussi, même s’ils ne pouvaient prouver que la formule de la Vestige avait été modifiée, plusieurs de ses fidèles consommateurs ont vécu leur aigreur en silence. Dans chaque gorgée de Vestige, ils recherchaient le gout d’antan et avec, venait la nostalgie des moments passés accompagnés de leur chère bière.

Le week-end dernier, nous nous étions réunis, quelques amis et moi pour rire et plaisanter comme nous le faisons assez souvent. Ti Paul, le grand causeur de la bande, brandissant la bouteille de Vestige qu’il avait en main clama « notre fierté internationale ». Ti Paul répéta ces mots au moins quatre fois pour s’assurer que nous étions toutes ouïes. Il expliqua que selon lui le goût de la Vestige avait été altéré de façon significative. Il demanda à ceux qui étaient présents, s’ils avaient eux aussi fait ce constat. Des sept personnes présentes, seulement trois reconnurent l’avoir remarqué. Ti Paul se lança alors dans une explication (qui, pour plusieurs, avait les couleurs d’une conspiration improuvable) pour faire la lumière sur la problématique préalablement exposée.

Il affirma que les Vestige que nous étions en train de boire étaient des formules diluées de la recette originale. La stratégie-produits de la micro-brasserie avait été repensée pour inciter les consommateurs à changer leurs habitudes comportementales. Selon lui, la hausse dans la quantité de Vestige vendues en dépit de cette baisse de qualité s’explique par le lancement d’un jeu de loterie utilisant les capsules de ces bouteilles. L’appât du gain a vite fait d’aveugler ou de détourner l’attention des consommateurs des mutations apportées à la formule de la bière nationale.

De toute façon, Ti Paul était certain de sa théorie et quelques-unes des personnes présentes reconnurent son bien-fondé. C’était bel et bien une possibilité, mais concrètement que pouvons-nous faire? En dépit de l’acquisition de la multinationale, la Vestige reste notre seule bière nationale et est encore, et de loin, meilleure que la majorité des choix disponibles sur le marché local. Ce constat nous plongea dans nos pensées. Je demandai de me passer une bouteille de Vestige et lançai, pour dérider un peu l’atmosphère : « Messieurs, j’ai trouvé le T ». Ti Paul me lança alors un regard glacial et d’une voix indignée et passionnée, il répondit : « Cherchons d’abord le G du goût que nous tous avons perdu avant de chercher le T qui ne bénéficiera qu’à onze d’entre nous. Apprenons à nous indigner! Notre bière nationale a changé et la seule chose qui nous préoccupe est ce foutu T… »

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Naïké & Jétry

 

Directeur Général | Co-fondateur | J'aime me considérer rationnel et mesuré avec une vision semi-ouverte du monde. J'ai un baccalauréat en finance. Je m'intéresse au Barça, à la politique, à l'entrepreneuriat et à la philosophie.

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