La structure créée sous la présidence de Michel Joseph Martelly ne fonctionne plus. Les enfants sont livrés à eux-mêmes
Il était déjà 11 heures 20 quand je suis arrivé à Delmas 18, un des quartiers réputés dangereux de la zone métropolitaine. Je traverse l’autoroute pour prendre la direction du Centre d’accueil de Delmas 3 qui accueille des enfants de rue.
Cette maison de transit a été inaugurée en grande pompe en 2013 sous la présidence de Joseph Michel Joseph Martelly. Elle devait loger des enfants sans domicile fixe, leur fournir éducation et soutien psychologique nécessaires pour leur réintégration dans la société.
De nos jours, le centre arbore l’allure d’un bâtiment abandonné après un cataclysme. L’endroit est quasiment vide. Pas d’administration. Et, seulement « une trentaine » d’enfants occupent les lieux, raconte Edson Dano qui squatte l’espace depuis 2013.
Sans accompagnement de l’État, les quelques enfants du centre se démènent pour survivre. Certains n’hésitent pas à vendre les matériels de la structure pour trouver de quoi manger. Dans la journée de jeudi 18 février, des encadrements de portes ont été démontés par les enfants pour ensuite être vendus au menuisier le plus proche, constate AyiboPost.
Potentiels délinquants ?
Edson Dano a 21 ans. « J’attends d’avoir 30 ans pour activer mon plan B car je n’en peux plus, dit-il sur un ton grave. Certains des jeunes qui ont abandonné le centre et qui se sont établis à Delmas 2 ou à Cité Soleil sont devenus de grands chefs de bande. Ils m’ont même invité à collaborer avec eux. »
La mairie prend l’affaire au sérieux. « Ils squattent les maisons fissurées et abandonnées au bas de la ville et pratiquent, tard dans la nuit, des fouilles sur les riverains », explique l’ingénieur Jocelyn Jeudi, responsable de la section de Génie à la municipalité de Port-au-Prince.
D’autres jeunes, comme Frantzy César, prennent des résolutions moins drastiques. Ce garçon de quatorze ans rencontré dans les parages du Champ-de-Mars dit avoir abandonné le centre pour ne pas mourir de faim fin 2019. Pour survivre, il sollicite l’aumône des passants et essuie les pare-brise des automobiles.
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Nombre de ces jeunes élevés dans la rue se mettent en ménage et fondent leur propre famille, sans en avoir pourtant les moyens. Orpheline depuis 2005, Djennie Alphe a gagné les rues à l’âge de 15 ans. Après bien des vicissitudes, elle se retrouve aujourd’hui avec deux enfants sur les bras.
Sans le sou, Djennie Alphe confie sa progéniture à de « bons Samaritains habitant non loin du marché Salomon » alors qu’elle érige une tente de misère sous les arbres de la place Pétion pour parer les nuits glaciales.
Normalement, le centre qui a une capacité d’accueil de 400 enfants fonctionne sous la tutelle de l’Institut du bien-être social et de recherches. Les responsables de l’IBERS n’ont pas répondu aux demandes d’entrevues d’AyiboPost.
Des préjugés persistants
Les enfants provenant du centre font évidemment face à un problème de logement et un manque criant d’opportunités économiques. Mais parallèlement, ils sont victimes de préjugés persistants.
Tyga Millien cherche fortune dans les rues de la capitale depuis 2005. Il a été forcé de quitter maison et école à cause de l’extrême dénuement de sa famille.
« On nous traite souvent de bandits, de “kokorat”, de chimères, de délinquants et de voleurs, dit le jeune rencontré au Champ-de-Mars. Je sais qu’il y en a parmi nous qui jouent le rôle de messager pour des bandits, mais on n’est pas tous comme ça. »
Certains sont effectivement des toutè. « Ces enfants s’établissent dans des zones comme Carrefour de l’aviation, ajoute Alex Jean, compagne de rue de Tyga Millien. Ils sont attachés à des groupes de bandits à qui ils fournissent constamment des informations ».
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« La grande menace pour la société, c’est la pauvreté », analyse le sociologue Illionor Louis.
Ces enfants, dit-il, sont au premier chef les victimes de l’absence d’une réelle politique publique contre la pauvreté et l’inégalité sociale. « En conséquence, ils apparaissent comme des menaces pour le pays par rapport à une situation bien déterminée, mais ce ne sont pas eux, en tant que tels, qui font le choix de devenir des bandits, ni de s’organiser en bandes criminelles», croit le professeur.
La solution au problème des enfants de rue passe inévitablement par la redistribution des richesses de la nation. Illionor Louis est catégorique : « L’État doit utiliser les moyens nécessaires pour combattre la corruption et prélever des taxes sur les plus riches afin de pouvoir investir dans le social. »
Emmanuel Moïse Yves
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