SOCIÉTÉ

Fessée, Rigwaz et matinèt… que dit la loi en Haïti ?

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La législation haïtienne interdit les châtiments corporels infligés aux enfants. Toutefois, c’est un défi de dissuader l’Haïtien de frapper un enfant pour le discipliner

Jeanty, dreadlocks, jeans et tee-shirt délavés, parcourt les rues de Carrefour-Feuilles en vendant des fouets en cuir. Des matinèt dans la main et des rigwaz dans un sac à dos, il simule les pleurs d’un enfant en faisant claquer les lanières.

« Le rigwaz se vend à 50 gourdes et la matinèt coûte 25 gourdes », nous dit Jeanty pour qui les prix ne sont pas à négocier. Il avoue que certains de ses clients-parents ne frappent pas leurs enfants. « Il suffit d’accrocher le fouet quelque part dans la maison pour contrer l’indiscipline chez l’enfant », lance l’homme d’un ton sérieux.

Selon le vendeur, ces rigwaz et matinèt lui permettent de subvenir aux besoins de sa famille. Ils sont aussi un moyen pour le père de rappeler son fils à l’ordre.  « Je m’en sers pour corriger mon garçon de 16 ans. Je l’élève seul dans un quartier populaire. Quand on vit à Tibwa ou Granravin, on doit prendre des mesures à la hauteur des bavures qui s’y font au quotidien. »

La matinèt. Photo : Frantz Cinéus

Le fouet comme méthode disciplinaire à l’école

Si des parents utilisent le fouet pour corriger leurs enfants, il en est de même pour certains professeurs avec leurs élèves.

Esther Céarc enseigne le créole dans une école à Léogâne. L’enseignante explique qu’elle se trouve confrontée tous les jours à des enfants bruyants qui refusent d’écouter. « Je dois tout le temps demander aux écoliers de se taire. Si je ne les frappe pas, ils ne vont jamais arrêter de bavarder », se plaint-elle.

Esther raconte que certains jours, elle n’arrive pas à dispenser son cours. Les  deux heures qui lui sont attribuées s’épuisent alors qu’elle fustige les élèves. « La colère m’emporte toujours avec ces enfants. Quand je n’en peux plus, je fais appel au censeur pour les frapper à ma place. » Pour cette femme, il n’y a de mesure disciplinaire plus efficace que le fouet.

Daniel Plymouth enseigne depuis 2013. Il affirme qu’aucune des écoles où il avait une chaire ne prohibait le fouet. « Fouetter l’enfant est la norme dans les écoles de Carrefour là où j’ai toujours enseigné. Fort souvent l’ordre vient de la direction de l’établissement et les parents acceptent cette méthode de correction sans problème. »

Pour sa part, Daniel essaie de faire la différence. Il ne sanctionne pas par des châtiments corporels. Mais ses collègues pensent que c’est une méthode élitiste qu’il essaie d’appliquer aux enfants. « Les petits Haïtiens méritent qu’on leur frappe, me disent-ils. »

En dépit de tout, Daniel ne se décourage pas. Il pense que l’enfance peut être marquée par des périodes d’instabilité, donc il est indulgent vis-à-vis de ses écoliers.

La fameuse rigwaz. Photo : Frantz Cinéus

Il ne faut pas frapper l’enfant

Le fouet est réputé pour être un outil de correction en Haïti. Clerna Louis Jeune le reconnaît puisqu’elle a grandi dans le pays. En tant qu’enfant unique, elle a été parfois fouettée pour des inconvenances. « Je n’ai jamais su qu’il existait d’autres moyens de discipliner son enfant jusqu’à ce que je tombe enceinte », se rappelle-t-elle. Elle a fait des recherches pour savoir comment traiter son enfant et a appris qu’il est possible d’éduquer sans le fouet.

Clerna Louis Jeune est éducatrice, communicatrice et mère de deux enfants. Elle gère une structure appelée « Éducation sans violence » où elle promeut l’éducation sans maltraitance.

De ses expériences personnelles, Clerna a tiré la conclusion que les punitions corporelles peuvent à l’avenir avoir des effets néfastes sur le plan psychologique. L’éducatrice confie qu’elle est indécise, pas sûre d’elle et qu’elle manque de confiance en elle. « Ces comportements résultent des bastonnades que j’ai reçues étant enfant », affirme-t-elle.

Clerna a tiré la conclusion que les punitions corporelles peuvent à l’avenir avoir des effets néfastes sur le plan psychologique.

« Quand vous frappez un enfant, vous lui faites croire qu’il est un vaurien, qu’il ne peut pas réfléchir. Par exemple, quand vous criez sur un enfant juste parce qu’il tient un objet qu’il ne devrait pas tenir, il aura peur la prochaine fois de toucher à cet objet sans savoir pourquoi. »

Les enfants apprennent ce qui est concret, confie la communicatrice. « Ils apprennent ce qui a du sens pour eux. Le même enfant qui ne mettra pas sa main dans le feu de peur de se faire brûler peut ne témoigner aucun intérêt à dire bonjour ou merci », avance Clerna qui croit que les mots gentils sont des compétences sociales qui sont parfois très difficiles à transmettre aux enfants.

Clerna Louis jeune recommande vivement de ne pas frapper les enfants. Il faut selon elle, prioriser le dialogue, expliquer dans le respect mutuel, réexpliquer si c’est nécessaire. « Il faut être patient, ajoute-t-elle. On doit traiter l’enfant comme son meilleur ami en lui expliquant le pourquoi des choses. »

La loi interdit de frapper les enfants

En 2001, dans le but de protéger les enfants, Le Moniteur publie une loi interdisant les châtiments corporels. Selon le journal officiel, les traitements inhumains et les punitions corporelles infligés aux enfants sont interdits. Ce sont des actions qui auraient une atteinte sur le corps ou la vie émotionnelle de l’enfant.

Selon le journal officiel, les traitements inhumains et les punitions corporelles infligés aux enfants sont interdits en Haïti.

La loi du 10 septembre 2001 ordonne aux personnes ou institutions scolaires ou autres travaillant avec les enfants de favoriser leur sécurité et leur développement dans toute intervention. Ces instances doivent établir un code de conduite prévoyant des sanctions en cas de violation des règlements sans passer par la violence. L’enfant et ses responsables devraient prendre connaissance de ce code.

Lire aussi : La crise politique traumatise vos enfants? Voilà comment les aider.

S’il y a des soucis d’interprétation dudit code avec élèves, parents ou directeur dans les écoles, il faut saisir le Ministère chargé de l’éducation. Tandis que c’est le Ministère des Affaires sociales qui est compétent en cas de la violation de la loi en question.

Selon cette loi, toute personne ou autorité qui aurait violé l’intégrité physique d’un enfant sera révoquée et poursuivie selon les prescrits du Code pénal. S’il s’agit d’une institution, elle sera fermée.

Toutefois, cette loi peine à être appliquée dans le pays.

Jeanty est un nom d’emprunt

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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