SOCIÉTÉ

Un ancien de la FASCH crée l’Institut haïtien de langue des signes (IHLS)

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L’Institut haïtien de langue des signes (IHLS) existe depuis un an. Il a déjà une promotion sortante et certains de ces étudiants travaillent actuellement dans des institutions de la place. Rencontre avec Fénel Bellegarde, cofondateur et responsable pédagogique de l’institution.

 

Pourquoi un institut de langue des signes en Haïti, monsieur Bellegarde?

L’institut est créé à partir d’un constat et des besoins. Nous avons constaté qu’il n’y avait aucun institut formant des entendants-tes sur la langue des signes et la culture sourde en Haïti en dépit des besoins considérables des sourds d’accéder aux services sociaux de base. De plus, suite aux divers mouvements de sensibilisation et de mobilisation qui se font sur la problématique du handicap dans le pays, la population se montre de plus en plus ouverte et intéressée à apprendre cette langue. Face à ce constat, nous avons décidé de créer un institut qui formera un personnel qualifié pour l’intégration de ces personnes.

La langue des signes, c’est quoi exactement ?

La langue des signes est une langue comme toutes les autres, elle a son alphabet et ses règles. On peut discuter de sujets sérieux en langue des signes de la même manière qu’on peut s’en servir pour blaguer, discuter d’un match, faire la cour à quelqu’un etc.

Un professionnel qui maitrise la langue des signes n’est pas limité sur le marché de l’emploi et il participe à l’intégration des personnes sourdes.

Qui peut apprendre la langue des signes ?

L’institut vise les professionnels/elles de tous les domaines qui n’ont pas forcément de problème auditif. Toutefois, cette formation leur permet de comprendre les gens souffrant de déficience auditive, leur culture ainsi que leur mode d’organisation. Sur la durée d’une année, IHLS offre les niveaux : débutant ; intermédiaire ; accéléré. Un diplôme sanctionne la formation professionnelle. En attendant, les étudiants suivent un cursus normal, s’apparentant à tout programme de langue (grammaire, vocabulaire, techniques d’interprétation, culture sourde, etc.)

Pensez-vous que c’est la vulgarisation de la langue des signes qui va permettre aux besoins des personnes sourdes et malentendantes en Haïti d’être comblés?

Tout d’abord, je dois vous dire, à l’instar du sociologue Bernard MOTTEZ, que la déficience auditive n’est qu’une déficience partagée. C’est-à-dire que lorsque vous essayez de vous entretenir dans  une conversation avec une personne qui ne vous entend pas, vous vous sentez incompris. Dans une telle conjoncture, il ne peut pas y avoir d’échange et vous êtes aussi déficiente qu’elle.

Entre autres, il y a des actions très simples et quotidiennes que les personnes entendantes ont réussies à réaliser toutes seules, pourtant qui sont presqu’impossibles pour une personne vivant avec une déficience auditive en Haïti. Par exemple : l’ouverture d’un compte en banque. Une personne qui n’entend pas se présentant à la banque toute seule pour ouvrir un compte risque de faire perdre au personnel son temps surtout si elle ne sait pas lire. Cette même personne ne pourra pas aller au marché car elle ne peut entendre les prix pour pouvoir négocier, le pire cette personne se trouve dans l’impossibilité soit d’aller à l’hôpital ou d’intenter une action en justice, pour ne citer que ceux-là.

Ce sont là,  des actions très simples mais très importantes  que la vulgarisation et l’apprentissage de cet outil linguistique facilite à tout sujet de droit ayant des troubles auditifs.

Qu’est-ce qui permet à l’IHLS de tenir sur une année ?

Notre premier support vient de l’organisation locale ENPAK (Engagement Participation et Kapasite /Capacité) qui met à notre disposition son local pour fonctionner. Après, ce sont nos moyens personnels et les frais versés par les étudiants-tes qui permettent à l’institut d’exister et de faire des projections pour l’avenir.

Quelles sont les difficultés auxquelles l’institut  fait face?

Nous avons de  sérieux problème de logistiques. Beaucoup de villes de province sollicitent les services de l’IHLS. Cependant nous ne pouvons pas répondre par l’affirmative car nous ne disposons pas de tous les intrants. Nous avons des demandes pour travailler sept jours sur sept, mais jusqu’ici nous ne fonctionnons que le week-end. De plus, le regard porté sur la population sourde en Haïti est très discriminatif et stigmatisant, ce qui complique davantage notre travail et nous oblige à intensifier au quotidien nos actions de sensibilisation et de mobilisation communautaire, en dépit de nos faibles moyens.

Comment voyez-vous l’IHLS dans cinq ans ?

Pour le moment, l’Institut Haïtien de Langue des Signes se focalise sur la formation, la sensibilisation communautaire, l’élaboration / implémentation de projet et la recherche sur la langue des signes et la culture sourde. Cela dit, nous avons un projet prometteur et ambitieux, nous ne comptons  pas en  rester là. Dans cinq ans, je vois l’institut s’étendre sur tout le territoire national. Je n’imagine pas un professionnel interprétant les informations en langage des signes uniquement dans le journal télévisé. Je le vois dans toutes les institutions du pays, qu’elle soit publique ou privée, je vois qu’il y a des interprètes et un personnel compétent capable d’accueillir et d’accompagner les personnes sourdes, comme un usager à part entière.

 

Fénel Bellegarde a étudié la communication sociale à la Faculté des Sciences Humaines. Il est détenteur d’un Master « Conseiller en accessibilité et accompagnement de publics à besoins particuliers », en France. Il est également professeur à l’université et travaille comme animateur socioculturel. Actuellement, Bellegarde est responsable du Centre pour Inclusion au sein du Bureau du Secrétaire d’Etat à l’Intégration des Personnes Handicapées (BSEIPH) et donne des conférences sur la culture sourde, la diversité, le handicap, l’accessibilité universelle et l’accompagnement vers / dans l’emploi.

Fénel Bellegarde dirige l’IHLS aux côtés de Jean Evens Pierre et Jean Richard Dorismé.

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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