SOCIÉTÉ

Témoignages d’hommes violés par les gangs en Haïti

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Ce phénomène s’inscrit dans un contexte où les violences contre les hommes sont peu reconnues et où les survivants hésitent souvent à se manifester

À Port-au-Prince comme dans plusieurs villes de province, des bandits armés agressent et violent des hommes, selon une demi-douzaine de témoignages recueillis par AyiboPost.

Ces occurrences, exacerbées par le pic d’insécurité qu’a connu le pays ces dernières années, sont observées par plusieurs organisations prenant en charge des survivant·e·s de violences basées sur le genre (VBG) en Haiti.

Ce phénomène s’inscrit dans un contexte où les violences contre les hommes sont peu reconnues et où les survivants hésitent souvent à se manifester.

Le 18 mai de cette année, un homme de 27 ans quitte, en fin de matinée, un camp de déplacés situé sur la route de Bourdon, accompagné de trois compagnons, pour répondre à l’invitation d’un ami à une petite beuverie intime à Delmas 19, non loin du marché « Seradòt ».

Quelques minutes après avoir investi les lieux, six hommes lourdement armés font irruption dans la maison, les insultent et les violent tous, excepté le maître des lieux.

Voulant se débattre, quelques-uns ont été sévèrement battus par les malfrats.

C’est au centre de prise en charge de SEROVIE — une organisation communautaire haïtienne fournissant des services de santé à la population — que AyiboPost a rencontré le jeune homme, qui a souhaité garder l’anonymat.

Visiblement traumatisé, il raconte avec difficulté cet épisode, peinant à se souvenir des détails.

Les yeux embués de larmes et les lèvres légèrement tremblantes témoignent de son émotion.

« Je suis toujours dans l’impossibilité de dormir convenablement », rapporte le jeune homme à AyiboPost.

Selon lui, chaque fois qu’il ferme les yeux, la scène de ce viol collectif ressurgit derrière ses paupières, l’obligeant à revivre inlassablement ce souvenir.

Ce n’est qu’un mois après l’incident que le jeune homme a décidé de confier son histoire à un psychologue, après que des examens médicaux réalisés dans un établissement hospitalier de la capitale ont révélé qu’il souffrait de syphilis.

Cette maladie sexuellement transmissible peut provoquer des lésions douloureuses au niveau du site d’infection ( bouche, anus, organes génitaux ).

« Je n’avais pas cette maladie avant cet incident », confie-t-il, bouleversé, à AyiboPost.

Sur sa poitrine, l’homme conserve encore la trace de ce sombre jour : une petite balafre, infligée avec un tesson de bouteille — témoignage de la réponse brutale des agresseurs à ses premiers efforts de résistance.

Pour les autres compagnons qui l’avaient accompagnés ce jour-là, la pilule de cette agression sexuelle est aussi difficile à avaler, jusqu’à maintenant.

Selon ses dires, l’un des amis, âgé d’une vingtaine d’années, battu et violé lors de cet épisode, a quitté la capitale haïtienne un mois plus tard, « par dégoût », pour s’installer définitivement dans la commune de Camp-Perrin, dans le sud du pays.

« Jusqu’à présent, lorsqu’on s’entretient par téléphone, il éclate souvent en larmes. », poursuit-il à AyiboPost.

Si les violences sexuelles documentées par plusieurs organisations montrent que les femmes en sont souvent victimes, ces deux cas illustrent que les hommes le sont également.

Armand Darline est psychologue et accompagne depuis dix ans les survivant·e·s de violences basées sur le genre au sein de SEROVIE.

Pour la professionnelle, plusieurs cas de viol sur des hommes perpétrés par les gangs ont été recensés par l’organisation ces cinq dernières années à Port-au-Prince.

Elle se souvient notamment d’un jeune homme qu’elle a pris en charge il y a environ deux ans.

Dans la vingtaine, ce jeune étudiant d’une université privée de la capitale laissait la commune des Gonaïves pour rejoindre la zone métropolitaine quand, aux alentours du morne Cabrit, des bandits potentiellement appartenus aux gangs  dénommé Taliban, dirigé par Jeff Larose alias Jeff Gwol lwa, kidnappent les passagers qui se trouvaient à bord du bus de transport en commun.

Les jours passés aux mains des ravisseurs ont été très éprouvants : il a été violé plusieurs fois par les bandits, à tour de rôle, rapporte la professionnelle.

« Les bandits l’ont aussi battu pendant l’acte », souligne Armand à AyiboPost.

Profondément bouleversé par l’événement, ce jeune homme a quitté le pays quelques mois plus tard pour s’installer à l’étranger, précise Armand.

Ernst Paul-Émile accompagne des survivant·e·s de violences basées sur le genre depuis 2010, à travers son organisation d’alors, le Groupe de recherche antidiscriminatoire sexuelle (GRAS).

Plusieurs années après, le professionnel milite encore dans ce domaine, accompagnant et soutenant les victimes de VBG, quelle que soit leur orientation sexuelle.

Son travail le conduit parfois au sein de quartiers, en partie ou complètement sous la coupe des gangs armés.

Parfois, fréquenter ses quartiers l’expose lui-même aux agressions physiques ou sexuelles, souligne-t-il.

En février de cette année, s’étant rendu à l’avenue Bolosse au bas de la ville de Port-au-Prince pour sensibiliser à la prévention un homme ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HARSAH), Paul-Émile relate à AyiboPost avoir échappé de justesse à une agression sexuelle.

Il était encore dans la maison du concerné quand un ami qu’il avait dans le quartier est venu rapidement lui dire avoir entendu des [bandits] dire qu’ils avaient l’intention de le violer.

Paul-Émile confie avoir laissé précipitamment le quartier à bord d’une motocyclette.

Pour le responsable, la courbe des hommes violés par les bandits progresse rapidement depuis le surchauffement de la zone métropolitaine par l’insécurité et les exactions des gangs armés.

Bien que les statistiques ne soient pas formels sur cet aspect, Paul-Emile relate à AyiboPost avoir rencontré, de janvier à novembre 2025, une vingtaine de cas de violences sexuelles sur homme à Port-au–Prince causés par les gangs armés.

« Nous avons accompagné les survivants auprès de psychologues », souligne-t-il.

Selon le professionnel, «la peur et la honte»  constituent les principales raisons qui expliquent l’absence de statistiques sur les hommes violés par les gangs dans le pays.

« Beaucoup d’hommes victimes ont peur de se confier et préfèrent s’emmurer dans le silence », poursuit-il à AyiboPost.

Ces cas de viol sur homme s’inscrivent dans une tendance plus globale de violences sexuelles fortement liées à l’insécurité qui bat son plein ces dernières années en Haïti, forçant des milliers de personnes à abandonner leurs foyers.

Un reportage réalisé par AyiboPost en juin dernier avait déjà souligné comment les gangs utilisaient le viol comme un outil de pouvoir sur le corps des femmes et des filles.

Dans cet article, l’organisation Solidarite Fanm Ayisyèn (SOFA) avait soutenu recueillir, au premier trimestre de l’année 2025, 206 survivantes de violences basées sur le genre au niveau de l’arrondissement de Port-au-Prince, contre seulement une dizaine pour la même période en 2024.

Un chiffre qui accentue une hausse de plus de 1600 %.

Pour l’année 2024, l’organisation féministe avait accueilli 1289 survivantes de violences sexuelles faites aux femmes.

Pour sa part, l’organisation féministe Nègès Mawon avait documenté 436 cas de violences sexuelles au niveau de la zone métropolitaine, répartis notamment dans des zones comme Delmas, Carrefour-Fueilles, Canaan, Martissant, entre autres.

Entre janvier et mai 2025, l’organisation Nègès Mawon a enregistré 74 cas de violences sexuelles, dont 72 cas de viols collectifs.

La houle de l’insécurité, le déplacement forcé qu’il entraîne et le recours à des camps de déplacés, notamment à Port-au-Prince, fragilisent davantage la protection des habitants contre les violences sexuelles.

Une situation préoccupante dans un contexte de dysfonctionnement du système judiciaire haïtien.

Le tribut psychologique à porter pour les survivant•e•s de violences sexuelles est très lourd.

« La plupart de ces personnes, avec lesquelles nous avons travaillé, ont des envies suicidaires  », explique à AyiboPost la psychologue Armand.

Selon la professionnelle, « elles [ les victimes ] se détachent parfois de la matrice sociale et s’isolent dans le silence. Des comportements qui peuvent engendrer de la dépression, des traumatismes, de l’auto-flagellation  ou des idéations suicidaires ».

Pour Armand, parfois la seule chose qui les empêchent de passer à l’acte est leur responsabilité parentale ou le devenir de leurs enfants après cette décision.

Entretemps, à Port-au-Prince et dans des villes de province, les gangs continuent de resserrer l’étreinte de la violence sur des quartiers entiers.

Ce, malgré la présence dans le pays d’une force internationale et de mercenaires censés combattre les gangs aux côtés de la police nationale.

Le fait que la violence sexuelle soit souvent perçue comme un problème féminin semble limiter l’accès des hommes victimes aux services de soutien.

Nathalie Vilgrain, coordinatrice de l’organisation féministe Marijàn, assure à AyiboPost être au courant que des hommes sont effectivement violés dans le pays.

Mais, pour la responsable, « les survivants de ces agressions ne vont pas venir dans nos locaux pour une dénonciation, par peur ou par honte. Et la majorité ne savent pas que ces services sont là ».

La responsable précise que Marijàn offre ses services uniquement aux femmes et aux filles.

Deux autres organisations féministes, contactées par AyiboPost dans le cadre de ce reportage, ont soutenu que leurs services sont exclusivement réservés à la gent féminine.

Par : Junior Legrand

Couverture | Un homme vu de dos. Photo : Freepik

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Journaliste à AyiboPost depuis avril 2023, Legrand junior fait ses études à l'Université d'État d'Haïti. Passionné des mots et du cinéma, il espère mettre à contribution sa plume pour donner forme au journalisme utile en Haïti et favoriser l'éclosion d'une sphère commune de citoyenneté.

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