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Statistiques, Sondages et Résultats électoraux : du mensonge à l’imposture !

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Le scrutin : du fiasco aux résultats.

Le 9 aout 2015 s’est joué  en Haïti un autre chapitre dans la saga de la « stabilisation et du renforcement institutionnel » selon la vision sur mesure conçue pour les haïtiens par les censeurs de la communauté internationale et les « experts en titre » des Nations Unies.

Désormais, aux vertus improbables de l’état de droit que les agences internationales nous vendent comme des postulats de la démocratie et de la bonne gouvernance, il faudra ajouter : Listes électorales manipulées, accréditations électorales détournées, intimidations et violences avant et pendant le scrutin, taux d’abstention record, électeurs intimidés dans les centres de vote,  bourrages d’urnes, bureaux  de vote saccagés, urnes et bulletins emportés, bulletins éparpillés dans les rues, résultats douteux sortis d’une nouvelle méthodologie statistique pour les cons.

Ce sont là autant de faits épiques qui jalonnent l’organisation des seules élections tenues depuis 4 ans en Haïti par le pouvoir « tèt kalé ».

On s’étonne et regrette presque de ne pas avoir entendu retentir l’écho assourdissant de la voix des flagorneurs  criant  que « c’est pour la première fois !».  Et force serait de constater qu’ils n’auraient pas tort, comme souvent d’ailleurs, de revendiquer  la paternité de la bêtise et du grotesque érigés en méthode de gouvernement.

Du côté des tuteurs internationaux, officiellement, on s’est contenté de verser dans une théâtralité qui représente un certain  hommage du mensonge à la vérité, ou « du vice à la vertu » pour paraphraser La Rochefoucauld dans sa définition de l’hypocrisie. Ainsi, la mission d’observation de l’Union Européenne a avoué «avoir relevé quelques petites irrégularités qu’elle déplore d’ailleurs » ; mais, rapidement, elle a conclu que « ces incidents  n’ayant concerné que 5%  des centres de votes », que « c’était là une marge d’erreur acceptable ; et qu’en conséquence, ces irrégularités ne pouvaient pas remettre en cause la validité du vote ».

La messe étant dite, il ne restait plus qu’à dire le benedictus et renvoyer les fidèles à leurs corvées domestiques.

Ainsi, entra en scène, notre, désormais, monument national, Monsieur,  ô con, que dis-je,  Opont, qui nous a rejoué, sans surprise et sans variante ou presque,  le même scénario des élections de 2010 : une simulation de publication de résultats provenant de calculs mathématiques improbables.  Et quels résultats ?

  • Résultats tronqués et standardisés par des programmes installés sur les serveurs et les ordinateurs du centre de tabulation,
  • Résultats prédits avec une fiabilité étonnante par des sondages qui ont les vertus méthodologiques d’anticiper les fraudes et les irrégularités.
  • Résultats contestés du bout des lèvres par les uns et applaudis chaudement par les autres qui sont choisis pour devenir les boucliers du temple de l’imposture.
  • Résultats commentés par les analystes les plus érudits de l’actualité socio-politique et économique haïtienne qui trouvent ainsi prétexte à spéculation sur des chiffres et des statistiques, montrant ainsi toute leur maitrise des paramètres conjoncturels et des variables aléatoires de l’histoire immédiate d’Haiti.

Tout est fait, comme en commun spectacle, de manière que, chaque acteur ayant joué son rôle à la perfection, le cycle de l’imposture haïtienne se réinvente au profit des mêmes acteurs et au bénéfice des mêmes intérêts.

De la  manipulation de l’opinion par les sondages au mensonge de l’analyse statistique des résultats

Pourtant, nous savons tous que les faits étant têtus et qu’invariablement, les mêmes causes produisant les mêmes effets, il ne pouvait en être autrement…..sinon que de s’arranger avec les statistiques. Et c’est pour cela qu’il nous parait pertinent, d’un point de vue pédagogique, de relever  l’imposture qui s’est abritée derrière un semblant de « méthodologie »  et de « rigueur » pour, tour à tour,

  • Nous vendre une manipulation de l’opinion sous forme de sondage comme une prédiction statistique fiable.
  • Nous présenter comme un scrutin valide une fraude politiquement et diplomatiquement concoctée par la communauté internationale et le pouvoir en place avec la soumission et la vassalisation des acteurs étatiques et non étatiques haitiens.
  • Nous suggérer, par une certaine posture analytique, d’accepter comme des résultats valides les calculs douteux et mathématiquement improbables communiqués sous forme de trac par la machine à distiller les conneries qu’est  devenue le  Conseil Electoral Permanent.

Ô statistiques quand tu nous sondes pour mieux nous manipuler!

Evidemment, que ce soit en Haïti ou ailleurs, les élections ramènent toujours sur le tapis l’éternelle question de la validité des sondages. Et pour cause d’ailleurs. Car les enjeux électoraux sont si sensibles et énormes que  sondage d’opinion rime souvent avec manipulation. Au vrai, en contexte électoral,  le sondage apparait comme un outil de communication politique. Et comme tel il peut être au service de puissants groupes d’intérêt. D’autant que tout le monde connait, les relations étroites qu’entretiennent instituts de sondages, médias, intérêts financiers et politique ?

En présence de tels enjeux  le doute reste la seule vertu du statisticien (et du citoyen)  face à des chiffres dont il ne connait pas l‘origine. Et c’est bien pour nous prémunir de ces dangers que  la méthode statistique nous impose la prudence par rapport à des chiffres qui peuvent être mis à contribution pour servir des desseins inavoués et inavouables. En effet rappelons deux des règles de prudence qui gouvernent l’utilisation des statistiques et des sondages: « il ne faut jamais commenter un chiffre dont on ne sait pas comment il a été fabriqué  et dont on doute de la validité des données d’où il provient.» et « Les chiffres ne parlent pas d’eux-mêmes, ce sont des hommes et des femmes, au service d’intérêts, pas toujours avouables, qui les font parler ».

C’est pourquoi  Alain Desrosière, spécialiste français de l’histoire des statistiques, nous présente dans son ouvrage « l’argumentation statistique », paru en 2 tomes dans les éditions Presses de mines, les dangers de la quantification par les statistiques. Car derrière des sondages et des statistiques, il y a des commanditaires et  plus en arrière encore il y a  des visages et des intérêts. Evidemment, Il est certain  que nous réagirions différemment aux résultats d’une étude qui veut montrer le coté inoffensif du tabac sur la santé des fumeurs selon que nous sachions qu’elle est commanditée ou non par des compagnies de cigarettes. Et ce, qu’importe, que cette étude fut menée par les experts de la prestigieuse Massachussetts Institute of Technology de Boston !

Il est donc reconnu que les sondages ont un effet  pervers et  dévastateur sur la vie politique ? C’est sans doute  l’avis  exprimé par les politologues français  du centre de recherches politiques de Sciences Po, qui, dans les cahiers politiques du CEVIPOF, ont écrit en janvier 2005 que : «Loin des objectifs de la connaissance des opinions, et même de la “prévision électorale”, les sondages peuvent parfois servir à des fins d’instrumentalisation, voire de manipulation de l’opinion publique».

Cela étant dit, précisons aussi qu’au-delà de la tentation et des possibilités de manipulation inhérentes à tout sondage d’opinion, le débat doit aussi porter sur le fondement de la méthode retenue pour sa réalisation. Evidemment, ceux qui connaissent le jargon des statistiques savent qu’il n’y a que deux grandes catégories de sondage : les sondages raisonnés ou empiriques et les sondages aléatoires. Et dans les deux cas, la validité de la méthode et la fiabilité du travail reposent sur la capacité des sondeurs à pouvoir disposer d’un échantillon qui est représentatif de la population.

A ce stade, Il devient nécessaire de préciser que par échantillon représentatif de la  population, on désigne un petit groupe d’individus prélevé (hasardeusement ou de manière calculée) dans la population totale et qui doit présenter exactement  les mêmes caractéristiques que la population mère d’où il est tiré. Ainsi, s’il y a 3% de personnes handicapées,  5% d’athées et 18% d’ouvriers dans la population mère, notre échantillon doit contenir aussi 3% de personnes handicapées, 5% d’athées et 18% d’ouvriers. Et cela, invariablement et systématiquement pour tous les groupes représentés dans la population mère.

Il ne fait aucun doute qu’il est théoriquement et pratiquement possible de disposer à un moment donné de cet échantillon représentatif. Cependant, on ne peut pas moins nier l’existence de contraintes à satisfaire pour y parvenir. Et, que ce soit pour un échantillonnage représentatif pour des sondages, que ce soit pour des listes électorales valides, la principale contrainte par rapport à la disponibilité de données fiables reste la  connaissance exacte du profil, de la structure et du chiffre de la population mère à des intervalles de temps pas trop éloignés du dernier recensement général organisé.

Or dans le contexte haïtien de 2015, douze  ans se sont écoulés depuis le dernier recensement  qui date de 2003 et qui chiffrait, selon l’IHSI, notre population à 8,37 millions d’habitants. Aujourd’hui  qui peut garantir  avec exactitude la connaissance de la structure, du profil et du chiffre de la population haïtienne ?

N’est-il pas vrai que 12 ans après, sous l’influence  des flux migratoires et des flux de naissance et de décès, la structure et le chiffre de cette population ont subi des variations qui nécessitent des correctifs ? N’est t-il pas vrai que nous ne maitrisons pas toujours les flux de naissance et de décès qui affectent la structure de notre population en raison du déficit connu de notre état civil ?  N’est-il pas vrai que le séisme du 12 janvier, avec ses 250.000 morts supposés ou attestés  et ses 1.5 millions de déplacés, a modifié la structure de notre population? N’est-il pas vrai qu’un  nouveau recensement était un impératif stratégique à garantir après 12 ans? N’est-il pas vrai que 12 ans est une échelle de temps trop longue en matière de statistique des populations pour qu’il n’y ait pas de recensement général quand il y a des enjeux aussi stratégiques que des élections nationales ? N’est-il pas vrai qu’en l’absence de recensement général après 12 ans toute connaissance de cette population ne peut être que spéculative sinon approximative ?

Aujourd’hui évoquer le chiffre exact de  la population haïtienne, c’est jouer à pile à face. Et cela relève d’un pari hasardeux qui laisse la place à de grandes approximations…et de sordides manipulations. C’est à peu près comme pour  le taux de change, à chacun le sien et  selon ses opérations : 10.1 millions selon le site de statistiques mondiales, 10.32 millions selon la banque mondiale, 10.085 millions selon IHSI, alors que d’autres sources parlent de 11 millions voire de 12.5 millions. De toute évidence il est certain que personne ne peut  quantifier avec exactitude aujourd’hui  la  population haïtienne? Dès lors, connaitre sa structure et  prétendre disposer de critères objectifs  pour en tirer un échantillon représentatif  ou pour  établir des listes électorales fiables pour des élections honnêtes est une gageure hautement improbable?

En effet, voilà comment « statistique canada » résume les principes élémentaires sur les sondages et  par extension sur l’établissement des listes électorales  « Les données de la base de sondage, c’est-à-dire de la population totale, doivent être exactes et à jour, car elles servent à la stratification, à la sélection des échantillons, à la collecte, au suivi, au traitement des données, à l’imputation, aux estimations, au couplage des enregistrements, à l’évaluation de la qualité et aux analyses. Si ces données présentent des erreurs et des fluctuations, cela entraînera probablement un biais ou une diminution de la fiabilité des estimations du sondage. » ….Et décrédibilisera  toute autre exploitation qui en résulte (c’est nous qui ajoutons).

 

Mais ce sont là des faits et des évidences qui sont connus de  tous les acteurs étatiques et non étatiques. Et pourtant, ils se sont tous parés et ont tous dansé au grand bal de l’imposture électorale. Ils se sont tous prêtés au jeu de la roulette électorale. Parce que sans doute chacun avait reçu un gage, une promesse de la communauté internationale. Et que chacun croyait détenir le ticket gagnant….Mais ils ont oublié que  la roulette que fait tourner  Monsieur Opont est une machine à conneries qui se joue de tout le monde…et où seuls sortent  gagnants ceux qui sont capables de se montrer toujours plus indignes, toujours plus infâmes.

Des résultats analysés statistiquement comme reflets d’une réalité dont les variables sont maitrisées !

Mais dans toute cette ambiance morbide, ce qui nous a surpris, c’est l’insoutenable légèreté  des analystes qui ,en tentant des analyses statistiques les plus improbables, veulent nous faire accepter ces résultats comme un verdict des urnes ou comme le jeu des variables aléatoires de la conjoncture socioéconomique du pays ou encore comme l’acceptation par l’électorat du profil technocratique des candidats des partis donnés en tête de liste.

Mais plus encore, ce qui nous a scandalisés aussi, c’est l’improbable méthodologie de détermination des résultats. Avouons que c’est particulièrement grave pour être signalé. Car nous assistons de plus en plus à un effondrement de la pensée et de la raison en Haïti. Comment peut-on méthodologiquement soutenir le mode de calcul mis en place par le CEP pour les résultats des sénatoriales ?  Disons-le d’entrée de jeu, il n’y a aucune théorie mathématique, allant de l’analyse combinatoire au calcul des probabilités, qui peut justifier le mode de calcul du CEP. Rappelons que pour qu’un espace d’évènements aléatoires soit probabilisable donc mesurable, il faut rigoureusement que « tout évènement de cet espace puisse avoir une probabilité comprise entre 0 et 1, y compris les valeurs de 0 et de 1 ».

Or dans la nouvelle méthodologie  statistique pour les cons de Monsieur Opont, il est interdit à un candidat la possibilité d’obtenir 100% des voix……Plus grave encore, il est mathématiquement impossible à un candidat  au sénat d’être élu au premier tour. Car il ne pourra jamais atteindre les 51% de voix  nécessaire quand bien même il aurait reçu la totalité des votes  de tous les votants……Cette impossibilité d’atteindre la probabilité de l’évènement certain  et de tout autre évènement sur l’ensemble mesuré, qui est l’univers des votes,  invalide méthodologiquement le mode de calcul. Car l’espace d’évènements, qui est l’ensemble des votes obtenus, échappe au calcul et n’est plus un espace mesurable et probabilisable.

Mais le CEP  agit-il par ignorance ?, ou est-ce une nouvelle tentative de fraude dictée par les experts la communauté internationale qui pensent qu’en Haïti il n’y a que des vendus ou des cons? Car la vérité est que quelle que soit la méthode privilégiée, dans le cadre de ce scrutin, dans lequel il faut choisir deux sénateurs et un député, on aboutira toujours à une impasse méthodologique dans les calculs. Dès lors la frontière entre la fraude et l’erreur de méthodologie devient très mince. Cela, en raison du fait que les scénarios de choix possible pour répartir les votes valides des électeurs sont nombreux, et que leur prise en compte nécessitait une logistique électorale qui n’a pas été bien évaluée…comme c’est le cas d’ailleurs dans presque tout ce que fait la communauté internationale en Haïti.

Et c’est en cela qu’il faut dénoncer la paresse intellectuelle des uns et la volonté de frauder des autres comme une grande imposture à combattre. Et c’est cette nouvelle imposture qui est la plus dangereuse actuellement. Car sous couvert d’argumentation statistique, tout bonimenteur qui se contente de distiller dans son discours, quelque moyenne et quelque proportion prises çà et là, sans contextualisation aucune des résultats, sans recul sur la validité des données utilisées, sans questionnement sur les méthodes de calcul, jouit automatiquement d’une bonne réputation.

Ainsi la référence à la statistique  est devenue, aujourd’hui en Haïti, un signe d’objectivité, et un substitut à la vérité. C’est en raison des enjeux  de pouvoir qu’induisent la puissance et la maîtrise de l’information statistique que nous croyons opportun d’attirer l’attention de tout un chacun sur les pièges de l’argumentation statistique. Aussi Il est important de vulgariser l’enseignement des statistiques pour permettre au citoyen d’aiguiser son esprit critique et d’être à même de décrypter les informations qu’il reçoive, notamment par les médias, afin qu’il devienne acteur de son destin et responsable de ses choix.

La méthodologie de la pensée statistique nous oblige à intégrer, dans notre approche du monde et des faits, les concepts aléatoires comme étant soumis à de signaux et des bruits perturbateurs qui, même quand ils sont faibles, sont porteurs de risques et d’incertitudes. D’où l’invariable nécessité d’introduire, dans nos statistiques, un intervalle de confiance pour doser les marges d’erreur. Quand on ne prend pas le temps de questionner les chiffres qu’on analyse, on colporte de la rumeur. On fabrique de l’opinion. Or, comme le disait Gaston Bachelard, « la science dans son besoin d’achèvement, comme dans son principe, s’oppose radicalement à l’opinion. Car  l’opinion ne pense pas, elle pense mal, elle traduit des besoins en connaissances. …en désignant les objets par leur utilité, elle s’interdit de les connaitre. De sorte qu’on ne peut rien fonder sur l’opinion…et qu’il faut d’abord la détruire.» …..Aujourd’hui l’opinion qu’il faut détruire en Haïti est cette vague d’imposture qui nous submerge. Elle  est le premier obstacle à surmonter pour repenser et reconstruire Haïti. Car, dans ce monde qui ne vit pas de nos humeurs,  «Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit.»

Erno Renoncourt, septembre 2015.

La rédaction de Ayibopost

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