Des documents obtenus par AyiboPost viennent compliquer les explications fournies par le ministère de la Culture et de la Communication dans ce dossier
Un organisme de défense des droits humains accuse des cadres de l’Institut de sauvegarde du patrimoine national (ISPAN) ainsi que des responsables du ministère de la Culture et de la Communication de possibles détournements de fonds dans le cadre d’un projet consacré à la restauration et à la protection du patrimoine.
Cette initiative de l’ISPAN représente un budget de plusieurs centaines de millions de gourdes pour l’exercice fiscal 2024-2025.
La Fondasyon Je Klere (FJKL) a remis en question, dans un rapport daté du 18 septembre, des décaissements impliquant des personnalités du ministère de la Culture et de la Communication.
Au lendemain de la publication de la dénonciation, le ministère a publié un « démenti formel » concernant une somme de 1,6 million de gourdes citée dans le rapport, montant qu’aurait perçu directement le ministre Patrick Delatour.
Contrairement aux accusations de la FJKL transmises à l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) le 18 septembre 2025, « aucune carte de débit n’a été émise au profit du Ministre de la Culture et de la Communication, l’Architecte de monuments Patrick Delatour. Aucun frais n’a été non plus accordé au Ministre, à partir de ce fonds », a soutenu le ministère.
AyiboPost ne peut pas confirmer si le ministre a effectivement bénéficié de fonds indus dans ce projet.
Mais des interviews menées auprès de personnalités impliquées dans l’initiative à l’ISPAN et au gouvernement et des documents obtenus viennent compliquer l’explication du ministère.
Une version d’un document interne de l’ISPAN liste un ensemble de personnes devant recevoir des « frais de gestion » pour l’exercice 2024-2025. Le ministre en faisait partie avec un montant d’un million six cent mille gourdes.
AyiboPost s’est entretenu avec un des trois signataires du document. Ce haut cadre de l’ISPAN affirme à deux reprises l’avoir effectivement signé et scellé.
Le ministre n’a pas droit à des frais sur le budget d’investissement de l’ISPAN et l’administration publique ne verse pas ces montants sur carte de débit pour des raisons de traçabilité et d’audit, a déclaré le haut cadre.
« On vient de travailler sur ce document, on en a une autre version, a-t-il déclaré. Dans le document qu’on a fait, le ministre n’est pas là-dedans et aucun virement n’a été fait. »
Une version d’un document interne de l’ISPAN liste un ensemble de personnes devant recevoir des « frais de gestion » pour l’exercice 2024-2025. Le ministre en faisait partie avec un montant d’un million six cent mille gourdes.
Questionné sur les raisons pour lesquelles le ministre avait signé le document, si c’était illégal de recevoir de l’argent sur le projet, l’autre signataire a déclaré : « Cela m’est déjà arrivé de signer des documents sans avoir le temps de les analyser. Je demande alors au comptable ou à mon secrétaire de ne pas les envoyer parce que j’aurais à les vérifier après. Je prévois que quelque chose comme cela est arrivé. Entre l’administrateur de l’ISPAN qui pense que le ministre a droit à cela, et l’administrateur final qui révise tout et sait que le ministre n’a pas droit à cela, il le lui dira. C’est son job de ne pas laisser le ministre, qui est un architecte sans connaissance des systèmes financiers et comptables, [poursuivre]. »
Après les changements mentionnés par le cadre de l’ISPAN, AyiboPost n’est pas en mesure de confirmer, au moment de la publication, qui a réellement bénéficié de fonds, ni à quelle hauteur.
AyiboPost a transmis au ministre Delatour, via WhatsApp, la page en question. Il n’a ni réagi ni répondu à une demande de commentaire envoyée à l’adresse électronique de son ministère.
Contacté par téléphone lundi, un porte-parole du ministère de la Culture et de la communication, Paul Villefranche, a déclaré qu’il s’agissait d’un « faux » fabriqué grâce à des outils technologiques. Villefranche n’avait pas reçu la page d’AyiboPost au moment de l’appel, mais il savait qu’elle avait été envoyée aux numéros WhatsApp du ministre et était informé de la demande de commentaire détaillée.
Le projet « Aménagement, restauration et protection de sites patrimoniaux » doit être mis en œuvre par l’ISPAN, un organisme autonome placé sous la tutelle du ministère de la Culture et de la Communication.
La FJKL dénonce des versements d’argent à des fonctionnaires de ce ministère dans le cadre du projet. Après la note du ministère, l’ISPAN a publié un texte de clarification. Ni l’un ni l’autre n’ont démenti explicitement le transfert potentiel de fonds vers des employés du ministère de la Culture et de la communication.
Selon un spécialiste en droit public contacté par AyiboPost, si le ministre Delatour avait effectivement perçu de l’argent provenant d’un projet budgétisé pour un organisme autonome placé sous son autorité, il s’agirait d’un cas manifeste de conflit d’intérêts.
Lire aussi : Les dessous du « pacte de corruption » entre des membres du CPT et la BNC
Toujours selon cette spécialiste, l’ISPAN n’a pas le droit légal de verser des rémunérations issues de ses projets à des fonctionnaires de l’administration centrale de l’État.
D’après l’article 106 du décret de 2005 réglementant l’administration publique, cité par la spécialiste, « les fonctionnaires de l’Administration centrale peuvent être mis à la disposition des Collectivités territoriales ainsi que des organismes autonomes pour y accomplir des missions d’aide ou d’encadrement administratif ».
Dans une telle configuration, poursuit le décret, « ces fonctionnaires continuent d’être rémunérés par leur administration d’origine ».
Questionné par AyiboPost le cadre de l’ISPAN a déclaré : « L’ISPAN ne rémunère pas les fonctionnaires détachés au projet, l’institution leur octroie des frais, ce qui est parfaitement légal ».
L’État verse souvent des salaires extrêmement bas, ce qui pousse certains ministères et organismes autonomes à attribuer des primes et frais additionnels à leurs agents. Le directeur de l’ISPAN recevrait par exemple 69,000 gourdes net et 30 000 gourdes sur sa carte de débit.
La pratique de versement de frais et de primes plusieurs fois supérieurs aux salaires des bénéficiaires et parfois en marge de la légalité favorise des dérives et la corruption, selon des spécialistes en administration publique.
L’ULCC a été saisie du dossier. Dans le cadre d’une enquête classique, l’institution doit rassembler les pièces, auditionner les acteurs au sein des ministères et institutions concernés et déterminer si la loi a été violée avant de formuler des recommandations à la justice.
L’État verse souvent des salaires extrêmement bas, ce qui pousse certains ministères et organismes autonomes à attribuer des primes et frais additionnels à leurs agents. Le directeur de l’ISPAN recevrait par exemple 69,000 gourdes net et 30 000 gourdes sur sa carte de débit.
L’insécurité complique l’accès aux sites sous la responsabilité de l’ISPAN. Mais changer d’exercice fiscal à partir du mois d’octobre aurait entraîné la perte des sommes déjà budgétisées, dans un climat politique fragile. Une des sources impliquées dans le projet dit avoir eu des préoccupations à ce sujet, ce qui explique les démarches pour décaisser les fonds.
AyiboPost ne dispose d’aucune donnée concrète sur les activités effectivement réalisées ni sur les montants réellement dépensés pour l’exercice fiscal malgré plusieurs requêtes.
Les documents consultés par AyiboPost peuvent avoir été annulés au gré des échanges entre les ministères et l’ISPAN dans un contexte d’opacité persistante des institutions publiques haïtiennes.
Un responsable de l’ISPAN contacté avait promis de fournir des preuves d’activités réalisées durant l’année fiscale sur le projet. AyiboPost n’a pas pu le rencontrer avant publication. Cet article sera mis à jour si la rencontre prend place.
AyiboPost a également pris contact avec l’un des architectes participant au projet. Celui-ci affirme avoir signé très récemment un contrat de programmation architecturale d’un montant de 650 000 gourdes par mois pour août et septembre. Il doit remettre son rapport avant le paiement final prévu le 30 septembre 2025.
Le professionnel explique avoir déjà remis un rapport préliminaire à l’ISPAN, portant notamment sur la méthodologie appliquée ainsi qu’un prototype de programmation architecturale.
Ce spécialiste déclare ne pas disposer d’informations concernant le reste du projet.
Par : Widlore Mérancourt
Couverture | Portrait de Patrick Delatour, ministre de la Culture et de la Communication. Photo : ISPAN HAITI
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