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Révélations sur la note présidentielle concernant le port public de P-au-P

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La note censée clore une controverse autour de la signature d’un contrat de très longue durée pour le port public de Port-au-Prince en déclenche une nouvelle

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Deux représentants du Caribbean Port Services (CPS), Philippe Coles et Édouard Baussan, se sont entretenus avec sept membres du Conseil présidentiel de transition (CPT) lundi dernier pour discuter d’un contrat polémique, signé fin 2023 entre le directeur de l’Autorité portuaire nationale (APN) et le CPS, concernant l’exploitation du port public de la capitale.

Ce contrat, critiqué par plusieurs spécialistes pour sa très longue durée et le non-respect apparent de procédures légales, consolide la position dominante du CPS sur le principal port public international du pays, potentiellement jusqu’en 2059.

Plus d’une semaine après cette réunion de haut niveau au sein du CPT, le bureau de communication de la présidence a publié une note déclarant que le contrat avait été signé « dans des conditions légales et régulières » et que « toute la clarification nécessaire a été apportée sur le dossier ».

Pour cet article, AyiboPost s’est entretenu avec des sources proches du Conseil présidentiel, deux anciens ministres de la Justice, ainsi que des spécialistes des questions portuaires.

D’après une source informée des démarches, plusieurs conseillers présidentiels — dont Emmanuel Vertilaire et Edgard Leblanc — ont participé à la rédaction de la note émise par le bureau de communication de la présidence. Aucun des deux n’a pu être joint avant publication.

Aucune cellule juridique n’a été officiellement mandatée par le CPT pour fournir un avis avant la publication de la note.

Lire aussi : CPS obtient un contrat controversé pour le port public de Port-au-Prince

Le texte a été envoyé au bureau de communication pour diffusion. Ce dernier a d’abord refusé de le publier, arguant que toute communication externe doit recevoir l’aval du président du Conseil, Fritz Alphonse Jean.

À ce stade, des menaces de révocation auraient été proférées à l’encontre du personnel du bureau de communication, selon une déclaration publique de Jean. Ce dernier affirme ne pas reconnaître au CPT « la compétence pour produire un tel avis », et appelle à l’intervention de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSCCA).

« C’est l’expression d’une prise en otage de l’État », décrit une source proche CPT. Selon elle, il existe une véritable emprise du secteur privé sur l’administration publique. « Et au niveau de la présidence comme de la primature : tout est permis », poursuit-elle.

Loin d’apaiser les débats autour du contrat signé entre Jocelin Villier, directeur général de l’APN, et le CPS, la note présidentielle enflamme une seconde controverse : le CPT, organe transitoire de gouvernance, a-t-il l’autorité pour statuer sur la légalité d’un contrat public ?

« La CSCCA doit vérifier la légalité du contrat. C’est naturel et normal », déclare à AyiboPost Me Camille Leblanc, avocat et ancien ministre de la Justice et de la Sécurité publique.

Instance administrative suprême du pays, la CSCCA peut, selon lui, déterminer si toutes les autorisations requises figurent dans le contrat, et si sa durée respecte les limites imposées par la loi.

« C’est l’expression d’une prise en otage de l’État », décrit une source proche CPT. Selon elle, il existe une véritable emprise du secteur privé sur l’administration publique. « Et au niveau de la présidence comme de la primature : tout est permis ».

Interrogé précédemment par AyiboPost, le directeur général de l’APN, Jocelin Villier — dont la signature figure à la fin du contrat — avait affirmé qu’il s’agissait d’un contrat conclu dans le respect des lois en 2023.

En principe, le conseil d’administration de l’APN doit approuver tout contrat de bail. C’était le cas pour un précédent contrat signé avec le CPS en 2015, selon un document consulté par AyiboPost.

Mais selon Villier, l’avis du conseil d’administration de l’APN n’était pas requis en 2023, car il s’agissait selon lui d’un simple renouvellement.

Des juristes contestent cette position. Titulaire d’une maîtrise en gestion de projet, Villier a été directeur de la sécurité à l’APN de 2011 jusqu’à sa nomination comme directeur général à la fin juillet 2023.

Pour Me Camille Leblanc, le DG de l’APN signe les contrats « avec et après l’autorisation du Président de son Conseil d’Administration. »

Le contrat étant régulier, les questions peuvent être sur sa durée, selon l’avocat appelant les autorités à chercher des solutions.

« Une durée de 27 ans peut être jugée excessive, surtout dans un contexte de transition, ajoute Me Leblanc. Mais quand on demande au secteur privé d’investir, il faut lui garantir un délai raisonnable pour amortir son investissement. ».

Un autre ancien ministre de la Justice et avocat se montre plus sévère : « La Cour des comptes doit déterminer si les deux contrats — celui qui expire cette année et celui signé en 2023 — ont été établis conformément aux règles. Sinon, ce contrat n’a aucune validité. »

« Logiquement, un tel contrat doit être validé par le conseil d’administration de l’APN, et la CSCCA doit rendre un avis favorable », poursuit-il. « Je ne comprends pas, comment un tel contrat a pu être signé », dit-il, dénonçant au passage des clauses de résiliation « indécentes ».

Même si le port public de Port-au-Prince demeure la propriété de l’État haïtien via l’APN, le CPS détient des baux à ferme lui conférant des droits étendus sur les infrastructures.

Opérations au CPS en 2023

Créée en 2015, cette entreprise privée est le fruit de la fusion de plusieurs anciens opérateurs du port, avec pour objectif de rationaliser les opérations.

Ce modèle accorde au CPS un rôle central dans la chaîne d’approvisionnement maritime du pays, sachant que la grande majorité des biens de consommation sont importés en Haïti.

En pratique, jusqu’à 80 % des conteneurs ont transité à certains moments par le CPS (chiffres de 2017), dans un contexte où Haïti affiche les coûts maritimes les plus élevés de la région.

Depuis juillet 2016, le CPS verse à l’État haïtien quinze dollars américains par conteneur de vingt pieds, selon des documents obtenus par AyiboPost.

Des critiques jugent ce montant extrêmement bas au regard des profits potentiels de l’entreprise, qu’ils accusent de bénéficier d’un quasi-monopole nuisible à la concurrence sur le port public. (Le CPS affirme, de son côté, respecter la loi.)

Haïti importe environ 100 000 conteneurs par an — un chiffre probablement en forte baisse en raison de l’insécurité, selon plusieurs acteurs du secteur.

Les factures de conteneurs varient selon plusieurs paramètres, notamment les redevances étatiques et les frais des lignes maritimes.

Depuis juillet 2016, le CPS verse à l’État haïtien quinze dollars américains par conteneur de vingt pieds, selon des documents obtenus par AyiboPost.

Mais à titre d’illustration, plusieurs factures examinées par AyiboPost mentionnent des sommes de plusieurs centaines de dollars américains par conteneur de vingt pieds facturés aux importateurs par le CPS. Ces montants peuvent même avoisiner les 1 000 dollars, selon le type de conteneur, d’après des entrepreneurs.

« On ne peut pas parler de concurrence loyale quand le CPS utilise les infrastructures de l’État pour un prix aussi dérisoire alors que ses concurrents ont dû beaucoup investir pour construire les leurs », déplorait une source impliquée dans la gestion portuaire.

AyiboPost a tenté de joindre Philippe Coles, PDG du CPS. Il n’a pas donné suite.

Haïti fait partie des pays les moins transparents et les plus corrompus au monde. La grande majorité des contrats publics demeure inaccessible à la population, et la plupart d’entre eux sont signés de manière irrégulière, selon des experts pointant du doigt l’existence d’autres contrats problématiques dans le secteur portuaire.

D’après un rapport 2024 de la Banque Mondiale, les coûts portuaires d’Haïti sont les plus élevés de la région, ce qui augmente le coût des exportations haïtiennes et des intrants importés.

Exporter via les ports haïtiens selon le rapport coûte 15 % de plus que dans la République dominicaine voisine ; importer coûte 35 % de plus, et dans les deux cas, les procédures nécessaires nécessitent deux à trois semaines supplémentaires.

La controverse sur certains contrats signés avec l’État haïtien survient après une correspondance du président du conseil de transition adressée au premier ministre et entrepreneur, Alix Didier Fils-Aimé. Elle se poursuit à la veille de l’ascension de Laurent Saint-Cyr à la tête du CPT – une ascension qui acte le contrôle des postes les plus importants de la transition par le secteur privé.

Un avis non public, rédigé à l’attention d’une autorité gouvernementale, soulève plusieurs préoccupations au sujet du contrat controversé de CPS, notamment l’absence d’appel d’offres ou le défaut du visa de la Cour supérieure des comptes, pourtant obligatoire pour tout engagement portant sur le domaine public.

« Ces éléments révèlent une gestion orientée au profit exclusif d’un seul opérateur — en l’occurrence le CPS — au détriment d’une politique portuaire nationale fondée sur la transparence, la libre concurrence et l’ouverture à d’autres investissements », conclut l’avis consulté par AyiboPost.

Par : 

La photo de couverture montre une vue aérienne du CPS accompagnée de la note présidentielle concernant le port public de Port-au-Prince.

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Widlore Mérancourt est éditeur en chef d’AyiboPost et contributeur régulier au Washington Post. Il détient une maîtrise en Management des médias de l’Université de Lille et une licence en sciences juridiques. Il a été Content Manager de LoopHaïti.

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