SOCIÉTÉ

Réactions après l’assassinat de Monferrier Dorval

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Lisez également une entrevue qu’a accordée l’ancien bâtonnier à Ayibopost sur la réforme constitutionnelle, deux jours avant son violent meurtre

Le bâtonnier de l’ordre des avocats de Port-au-Prince s’est éteint à 64 ans. Monferrier Dorval se trouve victime de l’anarchie et de l’insécurité qu’il a passé sa vie à dénoncer. Il est mort assassiné chez lui, non loin de la résidence privée du président Jovenel Moïse à Pèlerin 5, le vendredi 28 aout dernier.

Hier 1er septembre, sa maison a été vandalisée, malgré la présence d’officiers de police. Des dizaines d’étudiants ont aussi défilé dans les rues pour exiger que la justice fasse son travail.

Si le professeur Monferrier Dorval croyait en la nécessité d’un « changement de Constitution » dans le pays, il s’est opposé publiquement aux velléités du président Jovenel Moïse d’organiser des élections à court terme dans le pays. C’est pourquoi, il a refusé de lancer le processus visant à désigner un membre du barreau au nouveau conseil électoral provisoire qu’ambitionne de mettre en place l’exécutif.

Le batonnier montrait aussi son désaccord avec le président de la République lorsqu’il a signé un document de la Fédération des barreaux contre les multiples décrets inconstitutionnels pris par le pouvoir, parmi eux le décret qui met en place un nouveau Code pénal.

Monferrier Dorval a dédié sa vie au droit. Il a fait des études en Haïti et en France.

C’était un homme discret qui vivait seul, rapporte son cousin Aramic Louis. Un de ses collègues, Marc-Antoine Maisonneuve loue sa « tolérance » et son « humilité ». « L’assassinat du bâtonnier dans un pays en manque de citoyens qualifiés est une attaque contre le savoir, contre le progrès », conclut Chery Blair, avocat et membre du conseil scientifique au barreau de Port-au-Prince.

Une pluie d’hommages vient accompagner la nouvelle de l’assassinat de Monferrier Dorval. Une investigation est en cours, mais rien n’indique si, pour une fois, elle sera conclue et les auteurs de l’acte répondront de leurs forfaits devant la justice.

Par souci de clarté, les interviews ont été édités.


Aramic Louis. Cousin du défunt, spécialiste en sécurité et ancien secrétaire d’État à la sécurité publique

C’est à Grande Saline que Monferrier Dorval est né. Il a fait ses études primaires à l’école nationale de la zone avant d’être admis au Lycée Alexandre Pétion puis à l’Université d’État d’Haïti.

Monferrier Dorval a toujours refusé de plaider les dossiers de viol, de kidnapping et de drogue puis qu’il n’était ni assoiffé d’argent, de pouvoir ou de gloire.

C’était un homme indépendant qui se donnait entièrement à la cause et l’enseignement du droit. Quand on considère les innovations qu’il a apportées dans les débats, j’estime que son assassinat est un coup dur pour la famille et la communauté Grande-Salinienne et surtout pour la profession d’avocat et Haïti.

Il était un homme discret.

Il vivait seul dans sa maison à Pèlerin. Il ne s’était pas marié, mais il a une fille qui vit actuellement aux États-Unis d’Amérique.

Il est assassiné sans avoir terminé un ouvrage qu’il projetait d’écrire sur la Déontologie du Droit en Haïti.

En sa mémoire, je compte réactiver l’organisation pour le développement de la Grande Saline (ODEGSA). C’est une structure à caractère sociale œuvrant dans le développement communautaire que nous avons créé dans la commune de Grande Saline.


Marc-Antoine Maisonneuve. Avocat au barreau de Port-au-Prince

À la faculté de Droit et des sciences économiques où je suivais des cours de Droits constitutionnels du professeur Monferrier Dorval, certains étudiants, imprégnés de son charisme, tentaient d’imiter sa manière de parler. Ils sont même allés jusqu’à mimer son comportement, puisque pour eux, Dorval était personnification de l’humilité et de la modestie.

Pour avoir été aussi travailleur social, le professeur Dorval mettait beaucoup d’emphase sur les droits sociaux, économiques et culturels dans ses cours de droit constitutionnel.

J’ai récemment interagi avec lui dans le cadre d’une affaire m’opposant à Me Osner H. Fevry. C’était le dossier des 13 enfants tués dans l’incendie de l’orphelinat de l’église de la compassion de la bible à Kenscoff en février dernier.

Me Fevry qui défendait les responsables de l’orphelinat m’accusait d’avoir organisé une manifestation devant son cabinet dans le but de l’incendier.

Après une plainte déposée au barreau de Port-au-Prince par Osner Fevry, le bâtonnier a décidé d’écouter l’affaire lui-même. En faisant preuve de sagesse, de tolérance et d’humilité, il nous a aidés à trouver une solution à l’amiable. L’après-midi même du meurtre, le bâtonnier m’avait appelé et on a parlé au téléphone sur ce dossier. 


Chery Blair. Avocat et membre du conseil scientifique au barreau de Port-au-Prince.

C’était un véritable homme, un pur intellectuel qui m’a appris à m’améliorer tous les jours. Il croyait qu’on peut parvenir au changement du pays grâce à la formation et la science. C’est pourquoi il s’adonnait à la formation des jeunes étudiants et la production scientifique à travers les sciences juridiques.

L’assassinat du bâtonnier dans un pays en manque de citoyens qualifiés, est une attaque contre le savoir, contre le progrès. C’est un acte politique qui invite les citoyens à mourir ou à laisser le pays.


Ci-après, la retranscription d’une entrevue sur la réforme constitutionnelle, enregistrée le 26 aout 2020 avec Monferrier Dorval.

Qu’est-ce qui différencie la réforme de l’amendement constitutionnel?

Monferrier Dorval : En principe, on dit amendement quand on veut apporter des modifications mineures. Ce mot a un sens américain qui signifie révision. Mais dans le droit français comme pour nous en Haïti, ce terme désigne une petite modification.

Dans toutes les Constitutions haïtiennes, on parlait de révision, mais pour celle de 1987, on parle d’amendement avec un « s ». Donc, en Haïti, un amendement est une réforme qu’on peut attribuer à une révision partielle.

Moi, je préfère parler de changement de Constitution.


Comment amender la constitution de 1987 en respectant ses prescrits dans le contexte actuel?

Monferrier Dorval : Si c’est ainsi, on doit attendre les élections avant de penser à lancer un tel processus. Car, pour suivre la procédure d’amendement tracé par la Constitution de 1987, il vous faut un Parlement.

Y a-t-il une possibilité d’opérer des changements au sein de la Constitution sans un Parlement?

Monferrier Dorval : Avec ou sans Jovenel Moïse, le changement de Constitution sera fait.

Le problème existait bien avant Jovenel Moïse, bien avant le secteur démocratique et tous ceux qui parlent aujourd’hui. La question est vieille depuis 1987 lorsque Hubert de Ronceray eut à déclarer : « Avec cette Constitution, le président n’aura pas le pouvoir d’un caporal ».

Nous sommes dans une situation idéale pour changer la Constitution. Sinon, nous ne pourrons jamais le faire.

Pour opérer ces changements, des parties se battent et personne ne souhaite voir un changement de Constitution si ce n’est l’initiative de son propre camp. Cependant, ils sont tous d’accord sur la nécessité d’un changement.

Pourquoi dites-vous que la situation est idéale?

Monferrier Dorval : Parce que le Parlement qui est le principal élément de blocage n’est pas là. Le Parlement n’acceptera jamais d’abandonner les multiples avantages que lui confère la Constitution actuelle. Il a des pouvoirs énormes, sans contrepoids, il n’acceptera jamais de perdre ce pouvoir.

La Constitution a transféré trop de pouvoir au Parlement alors que le Parlement n’a aucun contrepoids.

Aujourd’hui, Jovenel Moïse veut changer la Constitution, les autres le critiquent arguant qu’il n’y a pas de Parlement alors qu’eux, ils auraient bien aimé opérer ces changements en l’absence d’un Parlement.

Samuel Celiné

Cet article a été mis à jour pour clarifier la position de Me Dorval sur l’actualité. 11:15 3.9.2020

Poète dans l'âme, journaliste par amour et travailleur social par besoin, Samuel Celiné s'intéresse aux enquêtes journalistiques.

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