« Bien que je n’aie jamais senti l’odeur de chair brûlée et que je n’ai jamais vu le corps d’un noir se balancer au bout d’une corde attachée à un arbre du Sud, j’ai ressenti toutes ces choses en esprit… À travers la créativité de l’artiste jaillit le besoin de montrer cela au monde, dans l’espoir qu’en exposant le mal, la conscience collective protestera. » Katherine Dunham
La mambo et virtuose afro-américaine de la danse s’est éteint le 21 mai 2006
Katherine Mary Dunham est de ceux qui réinventent sans cesse le monde, font de leurs talents un porte-étendard pour mener des combats, pour défendre toutes les causes justes et humaines.
Katherine était noire, danseuse afro-américaine, chorégraphe, activiste militante et mambo. Elle a complètement bouleversé les codes du ballet classique pour devenir l’une des chorégraphes les plus importantes de sa génération.
Née dans une petite ville de l’Illinois à Glenn Ellyn le 22 juin 1909 tout près de la ville de Chicago, d’un père afro-américain Albert Millard Dunham et d’une mère franco-canadienne Fanny June Dunham, cette dernière décède dès que Katherine a quatre ans.
Après la mort de Fanny, le père de Katherine avait du mal à joindre les deux bouts. Ils déménageaient de temps en temps en raison des crises financières et c’est à ce moment qu’elle commence à être exposée au monde du divertissement. Ses cousins l’emmenaient au spectacle et lui faisait écouter l’artiste Betty Smith.
Écrivaine précoce
Katherine publie dès l’âge de douze ans un poème Come back to Arizona dans la revue The Brownies’ Book que menait l’écrivain afro-américain WEB Dubois. Elle développe une sensibilité artistique de très tôt particulièrement pour la danse quand elle commence à étudier le ballet en 1928 sous la direction de l’artiste russe Ludmilla Speranzeva.
Surnommée affectueusement Kaye Dunn, Katherine suit son aîné Albert Dunham à l’Université de Chicago en 1929 et choisit de suivre les cours d’Anthropologie. Elle se spécialise dans les danses et les cultures de la diaspora africaine. En même temps avec quelques amis à Chicago, dans une Amérique surchauffée par les violences racistes et les discriminations, elle fonde à 21 ans sa propre compagnie de danse, « Le Ballet Nègre », avec deux amies Ruth Page et Mark Turbyfill. Sans aucun soutien financier, la compagnie s’effondre après une seule représentation au Bal des Beaux-Arts.
En travaillant avec la danseuse Ludmilla, elle lui confie son désir de combiner les danses des traditions africaines et caribéennes au ballet classique. Cette dernière lui encourage à fonder une école pour mettre en pratique ses idées, c’est ainsi qu’elle fondera une école de danse le Negro Group Dancer.
En jouant un rôle de premier plan dans le spectacle La Guiablesse de William Grant Still. Elle se fait remarquer par la Julius Rosenwald Foundation qui lui accordera une bourse en 1935 afin de poursuivre ses travaux de recherche. Katherine part dans les Caraïbes pour étudier les danses caribéennes et africaines. Elle parcourt la Jamaïque, la Martinique, Trinidad et Cuba, elle apprend la rumba et d’autres rythmes caribéens qu’elle intègrera plus tard dans ses techniques de danse modernes.
Relations en haut lieu
Dès le début de l’année de 1936, Kaye Dunn pose ses bagages en Haïti. Elle se lie d’amitié avec le président haïtien Dumarsais Estimé et d’autres personnalités culturelles haïtiennes comme le docteur Jean Price Mars.
Elle parcourt et sillonne l’arrière-pays, participe à des cérémonies pour découvrir les danses et les rituels vaudous qui eurent une grande influence sur son travail de chorégraphe.
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Katherine soutient sa thèse de maîtrise en 1938, Danses d’Haïti : leur organisation sociale, classification, forme et fonction. Après ses nombreuses années de recherche, elle a été initiée dans le vaudou, elle devient mambo.
En 1949, elle acquiert la résidence Leclerc à Martissant où elle passera près de cinquante ans de sa vie. Aujourd’hui, dans le cadre du projet du parc de Martissant, la FOKAL a fait l’acquisition de cette habitation et a ouvert un centre culturel dédié à la chorégraphe. L’institution se dénomme : Centre Culturel Katherine Dunham.
Artiste révolutionnaire
Katherine Dunham a complètement bouleversé les codes de la danse classique. Seulement composée de danseurs et de danseuses noir.es, sa compagnie est acclamée aussi bien en Europe qu’aux États-Unis. À travers ses pièces chorégraphiques, elle questionne et condamne le racisme et fait découvrir au monde les danses noires, qui étaient seulement considérées comme des spectacles de foires.
Parmi ses créations, l’on compte : L’ag’ya (1938), travaillé lors d’un séjour en Martinique, Tropical Revue (1943), Shango (1945), Bal Nègre (Black Dance, 1946), Faust (Opéra de Charles Gounod qu’elle met en scène en 1965).
Kaye devient la première chorégraphe noire admise au Metropolitan Opera de New York et va chorégraphier Aïda en 1963, l’un des plus grands opéras de l’italien Giuseppe Verdi. Elle ouvre l’école de danse la Dunham School of Dance où l’on enseigne encore aujourd’hui sa technique de danse portant aujourd’hui son nom.
Danseuse militante
Katherine Mary Dunham n’échappe pas au racisme ambiant de l’époque qu’elle dénonce partout où elle passe. Elle condamne publiquement les discriminations raciales et participe au mouvement de la lutte pour les droits civiques.
En 1951, elle crée Southland un ballet autour du lynchage qui sera représenté au Teatro Munisipal de Santiago du Chili. Le spectacle choque l’ambassade américaine du Chili. Considéré comme étant antiaméricain, il ne sera jamais présenté aux États-Unis.
Un an plus tard, le Grand Hôtel de Sao Paulo refuse de laisser Katherine rejoindre son mari dans une chambre parce qu’elle était noire. Soutenue par l’écrivain Jorge Amado, le parti communiste brésilien, elle entame des poursuites judiciaires contre l’hôtel. L’affaire choque au Brésil. Quelque temps après, les députés Gilberto Freyre et Arinos Alfonso font voter un projet de loi interdisant la ségrégation dans les lieux publics au Brésil.
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Katherine crée le Performing Arts Training Center dans les années 1960 pour les jeunes dans les ghettos de East Saint Louis. Le centre donne des cours de théâtre, de danse, d’arts martiaux et de sciences humaines. Et encore à la fin de sa vie à 82 ans en 1992, Katherine entame une grève de faim durant quarante-sept jours pour protester contre l’expulsion des migrants haïtiens dans les camps américains.
Entre Haïti et Katherine Mary Dunham, ce fut une belle histoire d’amour. Elle sera déclarée chevalier de la Légion d’honneur et du Mérite en Haïti en 1952 et Officière des Arts et des Lettres du gouvernement français et haïtien en 1988. Elle reçoit la citoyenneté haïtienne en 1993. Katherine meurt à New York le 21 mai 2006.
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