Pourchassé et frappé par des agents frontaliers aux États-Unis, l’homme est devenu le visage du racisme de la politique migratoire américaine. Il se confie à AyiboPost
Mirard Joseph se trouve parmi les milliers de migrants que l’administration américaine avait massivement refoulés en Haïti à partir de septembre 2021. Traqué et battu par des agents à cheval de la police aux frontières américaines, son cas avait suscité la colère en Haïti comme aux États-Unis. La photo hypermédiatisée de la course-poursuite a ravivé le débat sur le racisme de la politique migratoire américaine, à une époque où les réfugiés ukrainiens de l’Europe sont accueillis à bras ouvert et sans controverse.
Mirard Joseph, 43 ans, avait quitté Haïti pour entamer une nouvelle vie au Chili en juillet 2017. L’insécurité qui battait son plein dans le pays l’a poussé à rejoindre sa femme qui était déjà au pays de Gabriel Boric.
« Des bandits avaient pris le contrôle de la zone où j’habitais à Croix-Des-Bouquets », explique Mirard Joseph pour expliquer la décision, dans une entrevue exclusive accordée à AyiboPost. L’homme travaillait comme agent de sécurité dans une entreprise à Santo 2.
Alors qu’il fuyait le pays, Mirard Joseph allait être victime d’actes de banditisme au Chili. Il a été braqué dans son quartier à Lo espejo de Santiago.
Il passera quatre ans au Chili. Quatre ans difficile. Quatre ans de travail pour de maigres salaires afin de pouvoir subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille.
Mirard Joseph dit avoir dépensé environ 9 000 dollars américains pour le voyage.
« Quand je suis arrivé au Chili, les choses n’allaient pas comme je le souhaitais, dit Joseph. Je travaillais dans une entreprise de fabrication de pièces de bateau et d’autres pièces électroniques pour la modique somme de 280 000 pesos. Après plusieurs demandes, mon salaire a été révisé à la hausse et je percevais 300 000 pesos (environ 38 000 gourdes). Je devais payer 120 000 pesos (environ 15 000 gourdes) le mois pour le loyer alors que j’ai cinq enfants en Haïti sous ma responsabilité. »
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En réalité, Mirard Joseph est père de six enfants. Il a eu quatre enfants avec sa femme et deux autres avec deux femmes différentes. La sixième enfant, une fille de deux ans, a pris naissance au Chili. Les autres résident en Haïti.
Mirard Joseph évoluait en situation irrégulière au Chili. Ceci avait négativement impacté divers aspects de sa vie, notamment ses revenus. « Le salaire de mes collègues chiliens était plus élevé que le mien alors que je travaillais beaucoup plus qu’eux », se plaint-il.
Sa femme qui détient une carte de résidence et travaillait dans une entreprise de production alimentaire n’empochait pas un salaire important non plus. Les demandes pour régulariser la situation migratoire de Joseph au Chili étant à la traine, le couple se laisse tenter par l’idée de se rendre aux États-Unis.
L’aventure commence le 8 juillet 2021. Mirard Joseph et sa femme, Madeleine Prospère, accompagnés de leur fillette rejoignent des centaines d’Haïtiens qui ont pris le risque de traverser plusieurs pays de l’Amérique du Sud pour arriver sous le pont Del Rio, au Texas. Ils se sont fait dépouiller en cours de route.
« Quand nous sommes arrivés au Panama, des voleurs nous ont braqués. Ils nous ont enjoint de nous mettre face au sol, puis emporté toutes nos affaires », témoigne Mirard Joseph. Cette expérience n’a pas branlé leur objectif de fouler le sol du pays de l’Oncle Sam. Pour continuer la route, Mirard Joseph recherche du soutien. « J’ai contacté des amis depuis le Chili pour leur demander de m’envoyer de l’argent pour que je puisse continuer le parcours », poursuit-il.
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Le voyage coûte cher et demande de l’énergie ainsi que du temps. Le couple passe deux mois en route avant d’atteindre Del Rio, au Texas. « Le trajet du Chili au Mexique nous a pris un mois. De plus, nous avons passé un mois dans un hôtel au Mexique avant qu’on nous donne l’accès pour traverser au Texas », confie Mirard Joseph.
Sans compter les transferts d’argents de sa famille et des proches amis, Joseph dit avoir dépensé environ 9 000 dollars américains pour le voyage.
Les nouveaux arrivés sous le pont reçoivent des cartes d’identification. « On ne nous avait pas donné à manger », dit Joseph.
Pour ne pas mourir de faim, l’homme et un ami traversent la rivière Del Rio afin de se ravitailler en eau et en nourriture le 19 septembre 2021. « En traversant la rivière à mon retour, j’ai remarqué plusieurs agents, déclare Mirard Joseph. Certains d’entre eux étaient à cheval, d’autres en voiture. C’est là que j’allais vivre une situation difficile. »
Les agents de sécurité frontalière américaine l’interceptent. Il décrit la scène au magazine Time comme l’un des pires moments de sa vie. « On m’a maltraité, dit Mirard Joseph. Le policier m’avait bloqué le passage avec son cheval. Il m’a frappé avec son fouet. Ensuite, il m’a enveloppé et tiré avec le filet du fouet. Mes vêtements ont été déchirés », raconte Joseph.
Les photos de la scène, capturées par le photojournaliste Paul Ratje, ont fait le tour du monde. Joseph en a pris connaissance via un ami qui était encore au Mexique. « Je ne pensais pas que ça allait être médiatisé », dit-il.
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Après cette expérience qu’il décrit comme traumatisante, Mirard et sa femme avec leur fillette de deux ans passent trois jours en prison sur le sol américain. Ils sont ensuite embarqués à bord d’un avion le 23 septembre 2021. « La déportation était humiliante », dénonce-t-il.
Mirard Joseph était complètement enchaîné. Sa femme avait des chaines au pied, mais pouvait utiliser ses mains pour porter sa fille. « On m’a menotté les bras jusqu’aux pieds, dit Joseph. Je ne pouvais pas bouger. Ce sont [les agents] qui m’ont aidé à montrer l’avion. »
Les dépenses et le refus des autorités d’entendre les demandes d’asile laissent un goût amer. Le traitement révolte aussi. Raison pour laquelle Mirard Joseph fait partie de plusieurs dizaines de migrants à avoir porté plainte contre l’administration américaine le 20 décembre 2021. Ils dénoncent la brutalité des agents de l’immigration américaine sur la frontière. Le dossier n’a pas réellement bougé notamment à cause de la guerre d’Ukraine, selon des avocats.
Entre-temps, Joseph se prépare pour retourner au Chili. Il rejoindra sa femme et son enfant. Ces derniers ont quitté le pays le 12 décembre 2021.
Image de couverture : Un agent de la patrouille frontalière américaine tente d’empêcher le migrant haïtien Mirard Joseph d’entrer dans un campement sur les rives du Rio Grande près du pont international Acuña-Del Rio à Del Rio, Texas, le 19 septembre 2021. Paul Ratje—AFP/Getty Images
Ce texte rentre dans le cadre de l’exploration d’AyiboPost sur la migration Haïtienne. Cliquez ICI pour lire les reportages, les tribunes d’experts et regarder les documentaires.
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