La nouvelle de l’arrestation du magistrat de la Cour de cassation, dimanche 7 février, a fait trembler la République
Le juge Yvickel Dieujuste Dabrésil a été arrêté en compagnie d’une vingtaine de personnes, dont l’inspectrice générale de la Police nationale d’Haïti (PNH), Marie Louise Gauthier et sa sœur, Marie Antoinette Gauthier, ancienne candidate à la présidence. Le pouvoir en place les accuse de « tentative de coup d’État et de complot contre la sûreté intérieure de l’État ».
« Les agents de l’USGPN, Dimitri Hérard plus précisément, l’ont battu, révèle Me Jean Wilner Morin, président de l’Association nationale des magistrats haïtiens. Le juge me l’a dit lui-même. »
Depuis fin 2019, Yvickel Dabrésil et ses collègues Joseph Mécène Jean Louis et Wendelle Coq Thélot faisaient partie des juges de la Cour de cassation qui se trouvaient sur une liste de l’opposition comme personnages susceptibles de remplacer Jovenel Moise à la fin de son mandat, le 7 février dernier.
De Orouck à la Cour suprême
Le magistrat Yvickel Dabrésil a 52 ans. Il est originaire d’Anse-à-Veau, dans le département des Nippes, plus précisément dans la localité de O’rouck. Il est fervent catholique et père d’une famille nombreuse, raconte le magistrat Jean Claude Dabrésil, son cousin.
Le juge est aussi très attaché à sa terre natale. Sa femme et lui y retournent souvent et restent très actifs dans les activités religieuses. Il a été le premier à offrir une école secondaire à O’rouck, le Collège Univers Frères Dabrésil, en 2000. Il abandonna ce projet dix ans plus tard, parce que l’effectif des élèves diminuait, explique Jean Claude Dabrésil.
Pourtant, ses parents ne voulaient pas que leur progéniture fréquente les écoles rurales de O’rouck. Les enfants Dabrésil ont dû quitter leur chez-soi pour la ville de Petite-Rivière de Nippes, pour leurs études primaires.
Après son certificat d’études primaires, le juge Dabrésil a habité à Carrefour où il a poursuivi ses études secondaires au Collège Catherine Flon. Quelques années plus tard, il est admis à la Faculté de droit et de Sciences économiques (FDSE), puis à l’Institut national de gestion et de hautes études internationales (INAGHEI).
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D’après le magistrat Wando Saint-Villier, le juge Dabrésil a accumulé plus de 25 ans d’expérience. « Ce n’est pas un juge décrié dans le système, au contraire, il est très réservé en tant que magistrat », rapporte l’ex-président de l’Association professionnelle des magistrats (APM).
Sa carrière dans la magistrature commence en 1995, en tant que juge de paix de Petite-Rivière de Nippes. À partir de là, Yvickel Dabrésil accumule les promotions rapidement. Trois ans plus tard, en 1998, il est substitut du commissaire du gouvernement du parquet près le Tribunal de première instance d’Aquin.
Un an après, il devient commissaire du gouvernement du parquet près le Tribunal de première instance d’Anse-à-Veau. En 2000, il est promu doyen de ce même tribunal. En 2004, Dabrésil intègre la cour d’appel des Cayes qu’il quitte en 2008 pour celle de Port-au-Prince. C’est là qu’il passe le plus de temps dans sa carrière, soit neuf ans. En 2019, il siège en tant que juge à la Cour de cassation.
Un dossier chaud
Un an après sa nomination à la Cour d’appel de Port-au-Prince, en août 2009, il s’est vu confier le dossier du double meurtre du directeur de la radio Haïti-Inter, Jean Dominique et de Jean-Claude Louissaint, le gardien, le 3 avril 2000. Mais il n’y a pas fait de grandes avancées, et le tremblement de terre de 2010 est arrivé.
Il faudra attendre 2013, pour que les choses bougent un peu. Yvickel Dabrésil a convoqué l’ex-président René Préval et l’ex-président Jean Bertrand Aristide. Ce dossier, où l’on parle de crime d’État, a été l’un des plus gros de sa carrière. Il a essuyé des menaces de mort et des intimidations. Il n’a pas pu boucler l’affaire avant d’être promu à la Cour de cassation.
D’après Sauveur Pierre Étienne, de l’Organisation du peuple en lutte, c’est sous l’instigation de Guyler C. Delva, conseiller du président à cette époque, que le juge est revenu en Haïti pour déterrer ce dossier. « Il n’était pas parti en exil, mais il s’est plutôt mis à couvert, pour éviter qu’il ne soit victime dans cette affaire », précise Me Wando Saint-Villier.
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Dans les médias, toujours en 2013, des déclarations de personnalités politiques laissaient entendre que le juge aurait reçu une voiture en Haïti et une maison en Floride de la part de l’administration de Michel Joseph Martelly en place à l’époque. Aucune preuve tangible ne vient corroborer ces allégations.
« Il y a eu de graves accusations », se rappelle Me Wando Saint-Villier. Le nom de Jean Bertrand Aristide était sur toutes les lèvres, parce qu’il aurait ordonné l’assassinat du directeur de Radio Haïti-Inter et de son gardien. En janvier 2014, neuf personnes, dont des proches de l’ancien président ont été officiellement inculpées dans ce dossier.
« C’est quelqu’un que je connais depuis longtemps, parce que comme lui, je suis originaire d’Anse-à-Veau, raconte Me Saint-Villier. Je ne l’ai jamais connu comme une personne active en politique. Mais il est vrai aussi que les magistrats qui s’impliquent dans la politique ne le font pas toujours au grand jour, puisque l’article 5 de la loi sur la magistrature l’interdit. »
Arrestation ou persécution ?
Mais depuis que l’opposition l’a désigné comme potentiel successeur du président Jovenel Moïse, la situation a changé. Ce même juge qui était accusé d’être instrumentalisé par le PHTK est arrêté par les policiers du palais national, sous le gouvernement de Jovenel Moïse, pour tentative de coup d’État.
« L’arrestation du juge Dabrésil est illégale, parce qu’il jouit d’une immunité étant donné son statut, explique Me Jean Wilner Morin. Un juge de la Cour de cassation ne peut être jugé que par-devant la haute Cour de justice. Donc, c’est une persécution, un enlèvement suivi de séquestration. »
Au regard des messages vocaux et des images qui circulent sur les réseaux sociaux, Me Morin estime qu’il est évident que cette histoire est un montage. À ses yeux, en analysant le contenu de ces médias, ce ne sont que des preuves de plus que le juge est victime de persécution et d’enlèvement.
La famille et les amis du juge Dabrésil, vu la façon dont il a été appréhendé et l’endroit où il a été retenu, parlent de mauvais traitement. « Ils ne lui ont pas permis de prendre une douche ou de manger, bien qu’il soit hypertendu et diabétique », dénonce Me Jean Wilner Morin.
Ce n’est que vers 5 heures de l’après-midi que le juge a pu enfin manger. Mais durant la nuit, il ne se sentait pas bien. Et jusqu’à tard durant la journée du lundi 8 février, il n’a toujours pas pu se laver. Lundi après-midi, Me Jean Wilner Morin assurait que le juge allait mieux et qu’il prenait ses médicaments.
Cependant, à ce moment, Dabrésil et les autres personnes arrêtées étaient encore à la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), avant qu’un arrêté présidentiel l’envoie brusquement à la retraite. Le mardi 9 février, toutes les personnes arrêtées, dont le juge, ont été transférées à la prison civile de la Croix-des-Bouquets.
Dans les jours qui ont suivi son arrestation, le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, l’Association professionnelle des magistrats, le Réseau national des magistrats haïtiens, etc. ont exigé sa libération sans condition. Des organisations de la société civile, comme le Réseau national de défense des droits humains, ou la Fondasyon Je Klere sont aussi montées au créneau.
En marge de ces protestations, la doyenne du Tribunal de première instance de la Croix-des-Bouquets, Me Grécia Norzéus, a ordonné la libération du magistrat Dabrésil le mercredi 10 février, mais les autorités pénitentiaires ont refusé de le relâcher.
D’après Me Marthel Jean Claude, président de l’APM, c’est sous l’ordre du ministère de la Justice que le juge est encore en détention. Le greffier de ce même tribunal, Christopher Lesperance, a été immédiatement mis en disponibilité sans solde, par le ministre Rockefeller Vincent pour « faute administrative grave ».
Hervia Dorsinville
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