EN UNELE SUJET DU MOISSOCIÉTÉ

Qu’est ce qu’être Haïtien?

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Je ne saurais remercier assez ce professeur qui un jour en classe de troisième eut à soulever cette interrogation. Un professeur de sciences sociales qui à travers son discours m’a inculquée bien plus que l’histoire de notre peuple. Un professeur qui tout au long de mon parcours académique me poussait à la réflexion sur soi et sur le devenir d’Haïti. Un professeur qui nous a fait comprendre que l’Histoire ne se résume pas au passé, qu’elle inclut aussi le présent, qu’elle s’écrit aujourd’hui petit à petit avec chacun de nos actes.

À sa question « Qu’est-ce qu’être haïtien? », je n’ai pas pu répondre tout de suite. Il a fait le tour de la classe où chacune essayait tant bien que mal de répliquer en se référant machinalement à des notions de civisme apprises dans les livres, sans jamais pouvoir articuler de réponses adéquates. N’ayant trouvé que des éléments de réponses flous, je ne me suis pas prononcée, mais dans mon for intérieur, sa question me perturbait; elle ne m’a d’ailleurs jamais lâchée. De temps à autre, elle refaisait surface, revenait comme pour me hanter, se promenant dans mes pensées, virevoltant comme une feuille au gré du vent.

Au fil du temps, j’ai récolté sur mon chemin, à travers mes observations et mon expérience personnelle, assez de matière pour selon moi, affiner ma réponse, car il ne suffit pas de naître sur le territoire haïtien pour se qualifier de tel. Être haïtien, c’est avant tout aimer son pays au point de vouloir le valoriser et contribuer à sa prospérité. Nombreux sont ceux qui parmi nous ne sont haïtiens que de naissance. Pourtant, être haïtien dans l’âme est la clé à tous les maux auxquels est confronté Haïti. Aimer ses frères et sœurs haïtiens(nes), s’entraider, avoir la capacité d’agir en faisant primer l’intérêt commun… Telles sont les valeurs à cultiver, à inculquer à tout petit Haïtien. Donnez-leur cette envie d’aider, de partager, d’entreprendre des choses pour leur pays, mais surtout l’envie de rêver d’une autre Haïti.

J’ai le vague souvenir d’une leçon étudiée à l’école :

« Il faut aimer et servir son pays ».
« Être un bon citoyen c’est respecter ses droits et faire ses devoirs ».

J’ai aussi le souvenir de n’avoir appris dans mes livres d’éducation civique et d’histoire que les actes posés par nos ancêtres. De l’esclavage à l’indépendance, nous retrouvons de vrais exemples, mais qu’en a-t-on fait aujourd’hui? Qui sont nos exemples? Qui sont aujourd’hui les piliers de la société haïtienne? Qui donne aux jeunes envie de protéger et de servir leur pays? Rares sont les exemples aujourd’hui et trop peu connus sont-ils. Comment faire pour orienter les jeunes d’un pays avec si peu de modèles? Avec si peu d’éléments capables d’attiser leur fierté d’être haïtiens? Comment les détourner d’une influence presqu’exclusivement externe? La jeunesse haïtienne a grand besoin de leaders, de modèles qui mettent en avant la culture haïtienne, d’exemples qui captent leur attention et la recentrent sur Haïti. Comment savoir ce que c’est que d’être Haïtien sans ces références?

Être haïtien est avant tout selon moi être fier de son pays. Nous sommes un peuple noir, qui a eu le courage de combattre l’oppression en se libérant des chaînes de l’esclavage. Être haïtien c’est aussi aimer son pays, pas avec de jolis mots, mais par ses choix et actions. C’est apprendre au petit haïtien qu’être noir n’est pas honteux; qu’avoir les cheveux crépus, c’est dans sa nature; qu’il est beau tel qu’il est et qu’il peut en être fier. C’est aussi arrêté de vouloir vivre en ayant comme modèle « le blanc », arrêter de vouloir le mettre sur un piédestal alors que lui, ne cesse de nous mépriser. C’est surtout et avant tout prendre conscience de notre identité!

Je partage souvent avec des proches mon impression selon laquelle l’esclavage aurait altéré le gêne de l’haïtien. Sinon comment expliquer ce rejet de soi présent dans toutes les couches sociales, ce rejet de notre propre personne et de notre propre race? Plus de 200 ans après notre indépendance, je crois que nous vivons sous une autre forme d’esclavage. L’emprise psychologique qui règne sur tout notre peuple fait de nous des aliénés.

Pour l’haïtien lambda, tout ce qui vient de l’extérieur est mieux que ce qu’il y a en Haïti. Il est toujours mieux d’être « grimèl » ou « grimo » que d’être noir. Le noir étant associé à la pauvreté, à la laideur, une « grimèl » sera tout de suite mieux accueillie, mieux servie et un blanc sera d’office traité comme un roi. Il y a évidemment divers degrés dans ce rejet de la noirceur, car un noir avec les cheveux « siwò » ou avec des traits fins ne sera pas traité comme un noir qui a les cheveux crépus et le faciès enlaidi d’un gros nez. « Nèg nwa », « nèg sal », « ti gason gad janw nwa! », « wouy tèt ou grenn !» sont autant d’expressions courantes qui illustrent cette tendance que nous avons à dénigrer ce que nous sommes, c’est-à-dire un peuple noir. Hélas, ce sont des choses qui perdurent encore aujourd’hui! Comment donc faire face à ce déni de soi qui depuis l’esclavage ne fait que progresser?

Dans certaines familles des jeunes filles doivent, selon les conseils salutaires de leurs parents, se marier avec quelqu’un ayant le teint plus clair, le couple mixte venant avec l’opportunité d’améliorer la race.

Une des alternatives à ce problème serait selon moi de mettre l’emphase sur le sujet à l’école, en apprenant aux petits enfants qu’être noir à autant de valeur, qu’être blanc ou jaune. Il faudrait également permettre aux enfants d’embrasser pleinement leur culture. Par exemple, les écoles qui n’autorisent pas le port de tresses ou de « ti kouri » sous prétexte que ce ne sont pas des coiffures adaptées ou que ce sont des coiffures de « bonne », véhiculent un message biaisé encourageant les enfants à rejeter leur propre nature afin d’être « plus jolies » aux yeux de notre société.

Ces exemples sont, selon moi, représentatifs des manières de faire qui, si elles changent, permettraient de renforcer chez tout un chacun l’amour de son pays, de sa personne et de sa culture. Comment inverser la donne de la société dans laquelle nous vivons? J’ai la conviction que tout devrait commencer par l’exemple, pas ceux de 1804, mais plutôt par des exemples contemporains. Force est de constater que le véritable problème en Haïti est le manque de patriotisme des Haïtiens. Ils n’aiment pas ou ils n’aiment plus leur pays. Mais comment aimer son pays si on ne s’aime pas lorsqu’on a le teint plus foncé ou encore lorsqu’on ne correspond pas aux modèles occidentaux ou européens? Comment aimer son pays si on refuse de travailler sa terre par complexe d’infériorité? Il est pourtant évident que tout pays qui veut avoir un minimum d’indépendance sait qu’il doit manger ce qu’il produit afin de renforcer l’économie. En Haïti, environ trois quarts de ce que nous consommons vient d’ailleurs, d’abord parce que nous croyons presque tous que les produits des « blancs » sont meilleurs et ensuite parce que les prix du marché rendent plus accessibles les produits étrangers que les produits locaux comme c’est le cas par exemple pour le riz, ce qui permet à ces pays « riches» de s’enrichir un peu plus au détriment de notre propre pays.

Nous sommes à plus de 200 ans de l’esclavage, mais nous continuons tous à vivre enchainés, aliénés par cette manière de penser et par « le blanc » lui-même. Nous voulons, ressembler aux blancs jusqu’à nous décolorer la peau pour certains… Nous nous renions, rejetant tous les jours qui nous sommes au profit « du blanc », de leurs produits, de leur économie, tuant ainsi à feu doux notre propre pays.

Je tiens à réitérer ma précédente déclaration en disant que l’esclavage n’est pas fini! Le plus important pour tout haïtien est se défaire, se libérer, de l’esclavage non pas de manière physique, mais psychologique. Et à cette question posée par mon professeur, je réponds qu’être Haïtien c’est avant tout s’aimer, aimer ses confrères haïtiens puis aimer et valoriser son pays. Et vous, êtes-vous Haïtiens?

 

Stéphanie Saint-Louis

 

 

 

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