Dans le dernier rapport de Transparency International sur l’indice de perception de la corruption, Haïti figure au 159e rang sur 176 pays dans le monde. Le seul pays du continent américain à se positionner derrière Haïti est le Venezuela. En République Dominicaine (120e position du classement), des dizaines de milliers de manifestants ont défilé dans les rues pour dénoncer la corruption et l’impunité, le 28 janvier dernier. C’est leur deuxième grand rassemblement de ce genre. En Haïti, la marche contre la corruption lancée par le ”Collectif du 4 décembre” n’a pas drainé beaucoup de monde. Si l’impunité bat son plein, ce ne sont pas les organismes de contrôle qui manquent.
Surfacturation de kits scolaires, rapports accablants sur la gestion des fonds PetroCaribe, chèques pour des fonctionnaires absentéistes, gestion financière douteuse au Sénat… Les scandales de corruption dans la sphère publique en Haïti n’en finissent plus de faire couler de l’encre. Outre la récurrence des cas, c’est surtout le silence des autorités compétentes qui indigne.
Quand ce n’est pas de l’argent en cash distribué pour financer des activités, ce sont des soupçons de gestion chaotique qui sévissent au Sénat. Tout au moins, sous son ancienne administration. Dans un contexte de morosité économique et après des controverses suscitées par la hausse des taxes pour l’année fiscale en cours, les efforts des contribuables pour renflouer le Trésor public semblent ne pas être pris en compte par les parlementaires et d’autres agents d’État.
Des cas de corruption dans la fonction publique se font en effet de plus en plus fréquents, au grand risque que l’on ne vienne à s’y habituer. Pourtant, il existe des institutions chargées de surveiller et d’assurer la bonne gestion des fonds publics.
La CSCCA
La Cour supérieure des Comptes et du Contentieux administratif (CSCCA) telle que nous la connaissons aujourd’hui, est créée par le décret du 4 novembre 1983. Sous l’administration du président Jean Pierre Boyer, une Chambre des Comptes a été créée en 1823 pour vérifier les comptes administratifs. Cette chambre a existé pendant 103 ans. Son activité a été suspendue pendant l’occupation américaine de 1915. Elle est rétablie avec la promulgation de la Constitution de 1946. En 1957, la Chambre des Comptes devient par décret, la Cour Supérieure des Comptes, et en 2005, la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA). Aujourd’hui la CSCCA fait partie des quatre (4) institutions indépendantes prévues par la Constitution amendée de 1987. Ses membres, qui sont au nombre de dix (10), sont élus par le Sénat pour un mandat de dix (10) ans. Leur nomination est faite par le Président.
Selon l’article 200 de la Constitution, la CSCCA est une juridiction financière, administrative, indépendante et autonome. Son organisation et son fonctionnement définis dans le décret du 23 novembre 2005 lui donne la mission de « juger les actes de l’Administration Publique, les comptes des Ordonnateurs et Comptables de deniers publics et d’assister le Parlement et l’Exécutif dans le contrôle de l’exécution des lois et dispositions règlementaires ». La Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif est chargée de « juger les comptes des comptables de droit ou de fait et leur donner décharge de leur gestion ou engager, s’il y a lieu, leur responsabilité civile ou pénale ». Elle vérifie les comptes des différents organismes publics constituant l’Administration Centrale et l’Administration Décentralisée de l’Etat. À moins de faire l’objet de pourvoi en cassation, ses décisions rendues sous formes d’arrêts ne sont susceptibles d’aucun recours.
L’UCREF
L’Unité Centrale de Renseignements Financiers (UCREF) a été créée par la loi du 21 février 2001. Elle répond au besoin de combattre le trafic illicite des stupéfiants et des substances psychotropes, ainsi que le blanchiment d’argent. A travers l’UCREF, l’Etat veut préserver l’intégrité du pays et la fiabilité du système financier. La loi du 21 février 2001 porte également sur le blanchiment des avoirs provenant du trafic illicite de la drogue et d’autres infractions graves. Ces dernières n’ayant pas clairement été définies, il était donc important de statuer sur les autres infractions liées au blanchiment des avoirs. Ce qui a été fait avec la loi du 11 novembre 2013, qui sanctionne aussi le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
Étant le principal organe de lutte contre le blanchiment des avoirs, l’UCREF travaille en étroite collaboration avec les institutions financières du pays qui lui fournissent des informations sur des fonds dont la provenance est jugée suspecte. L’UCREF a pour mission de combattre la drogue (de manière implicite), la corruption, le kidnapping, les trafics d’organes et d’êtres humains, la fraude. Elle achemine les dossiers déclarés irréguliers (après avoir relevé les indices de blanchiment dans les enquêtes) au juge d’instruction qui, par la suite, déterminera la nature de l’infraction en cause.
Pour rappel, le Président Jovenel Moïse est inculpé depuis janvier 2017 dans une affaire de manipulation de fonds et de blanchiment d’argent. Le directeur général de l’UCREF d’alors, Sonel Jean-François, a été démis de ses fonctions et aucune décision de justice n’est encore prise dans cette affaire.
Placée sous l’autorité du Comité national de lutte contre le blanchiment des avoirs, et sous la tutelle du Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique (MJSP), l’UCREF est sectionnée en quatre (4) directions techniques qui assistent le directeur général : la direction de l’analyse, de renseignement et de l’information – la direction des enquêtes – la direction juridique et la direction administrative et financière.
L’ULCC
« Travailler à combattre la corruption et ses manifestations sous toutes ses formes au sein de l’Administration publique », telle est la mission de l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC). Fruit de la Convention interaméricaine contre la corruption, dont Haïti est signataire, l’ULCC a vu le jour par le décret du 8 septembre 2004 qui lui confère une autonomie financière et administrative. Contrairement à l’UCREF, elle sait déjà la nature de l’infraction commise dans les dossiers sur lesquels elle enquête. Et conjointement avec la police judiciaire, elle est en avant-garde de la lutte contre la corruption en Haïti. Ainsi, pour tout ce qui relève de la moralisation de l’administration publique et de la vie publique en général, l’ULCC est la référence.
Étant sous tutelle du Ministère de l’Économie et des Finances (MEF), c’est le ministre qui préside son conseil d’administration. Elle est dirigée dans ses tâches quotidiennes par un directeur général, assisté par un directeur des opérations et un directeur administratif et financier. Les trois (3) forment le conseil de direction. Ses axes programmatiques tournent autour de trois grands points, à savoir l’éducation, la prévention et la poursuite.
D’autres corps de contrôle interviennent également dans la lutte contre la corruption. En sus des institutions précitées, il existe une autre entité du MEF, l’Inspection générale des finances (IGF) « qui réalise des contrôles a posteriori sur l’ensemble des actions de l’État ». La Commission nationale des marchés publics (CNMP) assure, de son côté, la régulation et le contrôle du système de passation des marchés publics. Ainsi doit-elle avoir son mot à dire dans tous les contrats administratifs impliquant un organisme public avec un opérateur économique, selon les prescrits de la loi fixant les seuils de la passation des marchés publics et ceux de son intervention. Elle relève directement de l’autorité du Premier Ministre.
Romaric Fils-Aimé
Comments