Cette entité utilise la majeure partie de son budget de 140 millions de gourdes pour ses frais de fonctionnement, selon une source interne.
Le ministère des Haïtiens vivants à l’étranger prend naissance il y a 27 ans. Il fonctionne depuis sans loi-cadre, et le bien-fondé de son existence même est contesté par les spécialistes.
« Normalement, le ministère ayant la capacité de représenter les Haïtiens à l’étranger est celui des affaires étrangères », déclare Elie Jean Philippe, coordonnateur de la fonction publique à l’Office de management et des ressources humaines (OMRH).
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L’absence d’une législation spécifique délimitant sa mission devrait empêcher l’attribution de fonds de l’État au MHAVE. Néanmoins, la structure affiche 140 millions de gourdes dans le plus récent document de finance du pays.
« La majeure partie du budget est utilisée comme fonds de fonctionnement pour le ministère et ses 110 employés », révèle Israël Jacky Cantave, ancien porte-parole du gouvernement et actuel directeur de cabinet de Judith Nazareth Auguste, la ministre des Haïtiens vivants à l’étranger.
À sa création par arrêté le 27 mars 1995, le MHAVE avait comme dénomination : ministère responsable des Haïtiens vivants à l’étranger. Le nom va être révisé en novembre 2010 par un décret fixant à dix-sept le nombre des ministères.
« Le premier projet de loi a été déposé sans succès au parlement en 2007, fait savoir Israël Jacky Cantave. Il y a eu une deuxième tentative en 2019, mais le processus n’a pas porté fruit. »
C’est pourquoi l’actuelle ministre Auguste a jugé nécessaire de modifier le projet de loi. « Ce document a été soumis au Premier ministre Ariel Henry afin de l’adopter par arrêté en conseil des ministres », confie Cantave.
Dans le lot des entités publiques orphelines de loi-cadre, le MHAVE rejoint entre autres le ministère de l’Environnement et le ministère à la condition féminine et aux droits de la femme. L’improductivité du parlement haïtien explique cet état de fait.
« Il y a toujours eu des dysfonctionnements au niveau du parlement haïtien et les parlementaires ne reviennent pas sur les projets de loi, les arrêtés qui sont souvent pris en leur absence », analyse Elie Jean Philippe.
Cette étape demeure cruciale, cependant pour la régularisation du fonctionnement des institutions. Par exemple, le MHAVE ne devrait pas avoir une enveloppe budgétaire allouée puisque c’est à partir de la loi-cadre que l’on peut le considérer comme une institution étatique, selon le professeur James Boyard, spécialiste en relations internationales.
Malgré tout, le MHAVE ambitionne d’intégrer la diaspora pour leur participation active dans la vie politique, sociale et économique.
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L’actuel leadership souhaite présenter, en février, le plan de reconstruction du grand Sud à des communautés de la diaspora afin de les impliquer dans le processus de reconstruction. « L’entité prévoit aussi de réaliser une tournée dans l’Amérique du Sud et en République Dominicaine pour entretenir avec les résidents haïtiens sur l’importance des documents d’identités et leur faciliter la tâche », déclare Israël Jacky Cantave.
Le MHAVE compte aussi ouvrir un kiosque d’accueil à l’aéroport du Cap-Haïtien pour l’orientation de la diaspora. « Le kiosque leur fournira des documents administratifs en cas où des membres de la diaspora souhaiteraient renouveler leurs passeport, carte d’identité ou extrait des archives », continue Cantave.
Quoiqu’il en soit, l’existence du MHAVE ne fait pas unanimité. Sa création participe d’une démarche démagogique, croit James Osné, spécialiste en relation internationale. « Aucun événement majeur pour la diaspora n’a eu lieu depuis la création de ce ministère, analyse l’expert. D’ailleurs, les titulaires de ce ministère ne sont pas des gens qui ont une certaine représentativité dans la diaspora. »
Les ministres publient rarement le bilan de leurs activités. Il est donc difficile d’évaluer la contribution réelle des titulaires du MHAVE dans l’avancement des intérêts de la diaspora.
« Les Haïtiens de la diaspora n’ont pas besoin d’un ministère pour les aider à s’impliquer ou s’intéresser à Haïti », déclare James Osné.
« Ils ont déjà ce sentiment d’appartenance : c’est pourquoi ils achètent des terrains en Haïti, construisent des maisons même lorsqu’ils ne savent pas quand ils seront capables de retourner dans le pays à cause de l’insécurité », déduit le spécialiste qui croit que l’État haïtien doit renforcer les services consulaires pour pouvoir réaliser les missions attribuées au MHAVE.
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Israël Jacky Cantave, directeur de cabinet au sein du MHAVE, n’est pas de cet avis. Selon l’officiel, l’on ne doit pas confondre le rôle du ministère des Affaires étrangères (MAE) à celui du MHAVE. « La représentation du MAE se fait à l’étranger à travers les ambassades et consulats, dit Cantave. La première gère les affaires politiques, le deuxième réalise les processus administratifs. Le MHAVE réalise un travail complémentaire à celui du MAE. Les consulats, par exemple, renouvellent les passeports alors que le MHAVE s’intéresse à la campagne pour intéresser les ressortissants haïtiens à se procurer ce document voyage. »
Techniquement, le ministre des Haïtiens vivants à l’étranger en Haïti ne peut être reçu dans aucun pays comme étant un officiel. Son travail se matérialise auprès des communautés haïtiennes éparpillées à travers le monde. « On n’était pas obligé d’avoir un ministère des Haïtiens vivant à l’Étranger, estime Élie Jean Phillipe de l’OMRH. L’idée est bonne, mais il n’y a rien de concret qui se réalise dans les faits. »
Photo de couverture: Local du Ministère des Haïtiens Vivant à l’Etranger. Adelson Carvens/ Ayibopost
Photos: Adelson Carvens / Ayibopost
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