SOCIÉTÉ

Que révèle l’épidémie de gale sur l’Haïti d’aujourd’hui ?

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Il y a un lien entre la pauvreté, et la maladie

On l’appelle la maladie des gens pauvres ou plus simplement la gale. Depuis des semaines, les cas de contagion à cette maladie augmentent dans le pays. De plus en plus de cas sont recensés dans la Grande-Anse, et aussi sur l’île de la Gonâve.

« Des interventions de médecins, de particuliers, et d’autorités locales sont en cours, mais l’amélioration n’est pas visible », selon Content Renil, CASEC de la quatrième section de Petit Palmiste.

À Pointe-a-Raquette, sur la plus grande île adjacente d’Haïti, Content Renil se démène comme un diable pour aider la population. Mais le manque d’accès à l’eau, la propension des familles à cacher la maladie et les superstitions rendent son travail difficile.

Dans la Grande-Anse aussi, dans des zones reculées comme Fond-Cochon, le docteur Boutros Gally Pierres et d’autres médecins volontaires se mobilisent contre la gale. Les moyens ne sont pas adéquats, les traitements sont alternatifs. Mais le jeune médecin et son équipe de bénévoles regroupés au sein de la Brigade d’intervention médicale ne se découragent pas.

La gale, maladie qui provoque des démangeaisons importantes sur la peau, peut indirectement provoquer la mort, si le patient est surinfecté.

Toujours présente 

L’existence de la gale est connue depuis des siècles. Mais c’est en 1865 que sa cause a été découverte, un parasite appelé sarcopte.

D’après le médecin Jean Hugues Henrys, épidémiologiste, c’est une maladie qui a toujours existé en Haïti. « Dans des communautés où l’eau est rare, ou où les gens ne peuvent ni se baigner ni laver leurs vêtements, il est courant que la gale apparaisse. Si on en parle plus aujourd’hui, c’est surtout parce que les moyens de communication sont plus développés, grâce aux réseaux sociaux », explique le spécialiste.

Dans la Grande-Anse, les moyens ne sont pas adéquats, les traitements sont alternatifs

Ce sont en effet sur les réseaux sociaux que les images ont commencé à circuler depuis quelques semaines. Cependant, à Pointe-à-Raquette, la maladie se propageait déjà. Selon le coordonnateur du CASEC de Petit Palmiste, il y a six ou sept mois que les signes de la maladie se faisaient voir. « Mais les gens se grattent en cachette, regrette le responsable. On ne pouvait pas savoir ce qu’ils avaient. Et ainsi la maladie s’est propagée. »

L’eau n’est pas très disponible dans la section. « Nous avons fait de grands efforts, mais le problème de l’eau n’est pas encore résolu totalement, dit Content Renil. Il y a des endroits où on a beau fouiller la terre, on ne trouve rien. De plus, les gens ne suivent pas les recommandations des médecins, qui leur demandent de ne pas porter les mêmes vêtements, de les laver à l’eau bouillante. »

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Selon le docteur Boutroce Gally, le froid est un autre facteur qui favorise les pics de l’épidémie. Plus il fait froid, moins les gens se baignent, et plus rapidement la maladie circule. « La gale est très caractéristique, dit le médecin. Il est facile de l’identifier. Elle attaque surtout les replis du corps. Les doigts, la pointe des seins, les aisselles ou l’anus sont très vulnérables. Et la maladie est contagieuse. Dès qu’on touche un malade, on l’attrape. »

Le parasite est très résistant. « Il peut vivre longtemps. Les mâles et les femelles se reproduisent sous la peau des patients, et c’est ce qui cause les démangeaisons », dit Boutroce Gally Pierres.

Médicaments rares

Le Galocur vient en tête des méthodes de traitement selon les médecins. Mais Hugues Henrys avertit des effets néfastes d’une mauvaise utilisation. « Les produits pour combattre la gale ne sont pas sans effets secondaires. On peut même dire que ce sont des poisons. Parmi les photos de patients qui circulent sur les réseaux sociaux, je vois beaucoup de gales doublées d’une infection. Et dans ces cas l’utilisation de certains médicaments est problématique. »

À Pointe-à-Raquette, Content Renil se lamente du manque de disponibilité des médicaments. « J’ai des amis qui veulent envoyer quelques médicaments, explique Content Renil. Le MSPP a envoyé six gallons de Galocur — l’un des traitements — mais la commune d’Anse-à-Galets en a pris quatre, alors qu’il n’y a pas de cas là-bas. »

Les produits pour combattre la gale ne sont pas sans effets secondaires.

Non seulement le Galocur se vend cher, mais la demande a augmenté ce qui le rend rare, selon Gally. « Nous avons alors fait des recherches pour trouver des médicaments de substitution, dit le médecin. Et dans d’autres pays, comme à Cuba par exemple, on utilise des traitements naturels. Nous prescrivons aux patients de se baigner avec de l’eau de riz, ou encore de mettre des feuilles de goyave dans l’eau. Ce sont d’excellents moyens contre les démangeaisons. La feuille de tabac aide beaucoup également. »

Attaques mystiques

En plus de la réticence des gens qui ne veulent pas que cela se sache, s’ils ont la gale, la superstition est pour beaucoup dans l’augmentation des cas.

« Recemment, je parlais à une jeune femme qui me disait qu’elle a été victime d’un koutpoud. Elle se grattait beaucoup. Je lui ai donné des médicaments, parmi un stock qu’un ami m’avait envoyé. Cela s’est apaisé. Mais elle a continué à mettre les mêmes habits, alors la maladie a repris, avec plus de force. Elle est maintenant convaincue que cette maladie n’est pas innocente », raconte Content Renil.

Un autre ami, proche du responsable, a cru lui aussi a une sorte d’attaque mystique. « Des plaies s’étaient formées sur ses parties génitales, dit Content. Il m’a dit que s’il fréquentait les femmes d’autrui, il aurait cru que c’était une attaque d’un mari jaloux. »

Le docteur Gally rencontre ces cas lui aussi, dans le département de la Grand-Anse. Cela complique d’autant plus la prise en charge, que déjà dans certaines zones il n’y a aucun médecin. « Les gens sont tentés d’aller chez des guérisseurs qui parfois leur donnent des substances qui aggravent le cas. Il y a possibilité de surinfection, et dans ces cas, il est difficile de traiter cette personne. »

Sur l’île de la Gonâve, Content Renil se plaint du manque d’intervention du ministère de la Santé publique. Grâce à des particuliers, une clinique mobile doit commencer ce samedi, pour aller dans les zones les plus reculées.

Jameson Francisque

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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