SOCIÉTÉ

Que font les maris des prostituées quand celles-ci travaillent? Ils expliquent.

0

En Haïti, la prostitution demeure un territoire majoritairement réservé aux femmes. L’on sait peu des hommes qui partagent le quotidien et la vie de ces dames, après les périodes de durs labeurs. Témoignages

Originaire de Petit-Trou-de-Nippes, Célestin vit à Le lambi depuis 2008. Sa vie a basculé en septembre 2009 lorsque, épris de jalousie pour son commerce qui florissait à « Kay Gwo manman », son oncle qui l’accueillait chez lui aurait décidé de réduire en cendres tout ce qu’il possédait.

Dans son malheur, Célestin est chaleureusement accueilli par une voisine : Marlène. Marlène, malgré son physique ingrat est une prostituée qui passe ses journées au bord de mer à Le lambi, « Kay Gwo manman ». Célestin connaissait déjà les activités de la dame, mais faute de mieux, lui a offert son cœur afin d’emménager avec elle.

La femme de Célestin devant sa cahute a Kay Gwo Manman. Photo : Samuel Céliné

C’est ainsi que le jeune homme est aujourd’hui le conjoint de Marlène. Tous les matins, quand il n’y a pas de travail pour cet homme à tout faire, il accompagne sa concubine sur son lieu de travail et attend qu’elle finisse avant de rentrer.

Au bord de mer, Célestin passe la journée à bavarder avec d’autres hommes autour de quelques coups de « tafia ». Cette stratégie vise à faire passer le temps. Mais du même coup, ces messieurs ne se préoccupent guère de la prostitution de leurs concubines qui s’offrent à d’autres hommes sous leurs yeux.

Par amour

Tout comme Celestin, Franck vit depuis quatre mois avec une prostituée à « Kay Gwo manman ». Lui, il n’a pas choisi cette femme à cause d’un mauvais coup du destin, mais par amour. Cet ancien chauffeur de taxi moto, père de deux enfants avec deux femmes différentes, explique qu’il a été trop souvent cocu dans la vie. À l’âge de 37 ans, Franck s’énerve encore d’avoir fait l’objet de railleries de la part des jeunes de son quartier qui couchaient avec ses anciennes concubines.

C’est donc pour se venger de ce sort qu’il a lui-même choisi de se mettre avec une prostituée à qui il avait l’habitude de louer l’une de ses cahutes pour se prostituer à « Kay Gwo manman ».

Lisez également : La fascinante histoire de «Gwo Manman» à Mariani

L’explication de Franck est claire : « Quand tu te mets avec une fille de famille qui te trompe, cela peut te mettre en colère et te faire perdre la raison. Mais lorsqu’on se met avec une prostituée, on connait déjà son travail. L’on peut même rire de ceux qui viendront rapporter des commérages sur elle puisque, l’homme, il sait déjà que la femme travaille pour rapporter quelque chose dans le ménage. »

Si en marchant dans la rue quelqu’un ose l’appeler, je me dis que c’est peut-être un client.

Aussi, rien dans les activités de sa concubine ne perturbe Franck. « Si elle ne rentre pas, je sais qu’elle travaille. Si un ami vient me dire qu’il a vu ma femme quelque part, je sais qu’elle travaille et si en marchant dans la rue quelqu’un ose l’appeler, je me dis que c’est peut-être un client. »

La jalousie ne fait pas non plus partie du vocabulaire de Célestin. Une seule chose l’agace : le fait de voir sa femme rentrer saoule à la maison le soir. « Après de telles journées au bord de mer, elle rentre et s’engueule pour un rien à cause de l’effet de l’alcool », se plaint-il d’un air fatigué. Cependant, après 11 ans dans cette situation, ce n’est pas demain qu’il abandonnera sa dulcinée.

Un foyer et des enfants

À 38 ans, Célestin rêve de former un foyer et d’avoir des enfants. Mais tomber enceinte est synonyme de chômage pour une prostituée qui vit au jour le jour. Célestin pense rarement à ce frein. Pour lui, si sa femme ne met pas d’enfants au monde, la faute est plutôt à un ancien mari de la dame qui, « par des procédés mystiques », l’empêcherait d’enfanter. « À chaque grossesse, l’enfant tombe au bout de trois ou de quatre mois ».

Sur ce point, Franck crie « pas de souci ». Il est déjà père de deux filles tout comme sa nouvelle compagne est mère de deux filles. À la maison, les deux enfants de la prostituée et la première fille de Franck ne forment qu’une seule famille.

Par ailleurs, Franck et sa conjointe discutent de tout. Sur le lit conjugal, elle partage souvent avec lui, les joies et travers de sa journée. Selon ses dires, les commentaires tournent couramment autour de la clémence ou de la méchanceté de certains clients.

Projets d’avenir

Après 11 ans de vie commune, Célestin pense aujourd’hui se mettre en couple avec quelqu’un d’autre pour avoir l’enfant tant désiré. Et si la prostituée s’oppose, il compte bien lui tourner le dos définitivement pour pouvoir suivre son rêve d’être père de famille.

Aujourd’hui, l’âge et la concurrence des plus jeunes, s’adonnant au « petit poisson » (sorte de prostitution, pratiquée par des jeunes filles en bikini offrant des séances sexuelles, sans protection dans la mer de Le lambi), poussent la concubine de Célestin à vouloir abandonner le milieu pour se convertir en femme au foyer.

Cette décision, déjà discutée au sein du couple réconforte Célestin. Mais il la redoute parce qu’il devra subvenir seul aux besoins du ménage.

Il ambitionne de doter la dame d’une boutique, mais le projet, vu sur le long terme, risque de ne pas se concrétiser à cause de l’affaiblissement du corps de Marlène. Célestin seul ne pourra pas financer le démarrage des activités.

Lisez également: Des Vénézuéliennes qui fuient la crise se prostituent à Port-au-Prince

Si Celestin, par la force des choses, rêve d’aider sa femme à abandonner ses activités de prostituée, Franck n’en est pas là. Aujourd’hui, « pour plus de pudeur » sa concubine a choisi de plier bagage et de laisser « kay Gwo manman » pour s’établir quelque part ailleurs.

Selon ce qui a été convenu, ce déplacement a une portée morale : « Elle quitte ces lieux pour ne pas avoir à coucher avec des hommes qui me connaissent, ni avec mes amis ni avec mes proches parents », lance l’homme, d’un air satisfait.

Cette décision est une aubaine pour Frank qui, assis sur sa moto, peut tranquillement attendre la tombée de la nuit pour récupérer les clés de ses cahutes qu’il loue quotidiennement à d’autres prostituées afin de compléter les revenus de sa femme qui, souvent gagne beaucoup plus que lui. La famille vit uniquement de la prostitution.

Photo couverture  : Alexandre Meneghini


Poète dans l'âme, journaliste par amour et travailleur social par besoin, Samuel Celiné s'intéresse aux enquêtes journalistiques.

Comments

Leave a reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *