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Pourquoi l’armée serait-elle un danger pour le peuple haïtien ?

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« Une armée de défense du territoire? Mais qui défendra la population de cette armée? » Tel a été le titre d’un article paru au journal Le Nouvelliste sous la signature du journaliste Aly Acacia. Ce titre se veut être une très bonne question. Mais il y en d’autres qui s’imposent.

L’approche de M. Acacia sur la question est intéressante, et le texte en lui même est le résultat d’un exercice intellectuel bien mené et surtout bien construit. Cependant, j’ai mes réserves.

Vous avez parlé d’un ensemble de 25 pays dans notre zone dont le Panama, le Costa Rica, le St-Vincent, le St-Kitts-and-Nevis, la Grenade, la Dominique, qui ne disposent pas de forces armées. Très bien. Mais aviez-vous, ne fut-ce que par cette rigueur qui vous caractérise, pris en compte l’importance géostratégique d’Haïti comparé à ces pays ? Dois-je en ce sens vous rappeler que la frontière haïtienne se prouve chaque jour plus que poreuse, et que le territoire haïtien continue à être un point de transit des stupéfiants? Et aussi, je voulais attirer votre attention sur le fait que le Panama par exemple dispose d’unités paramilitaires, équipés pour des combats de faibles intensités; que le Costa Rica malgré ses accords de défense avec les États-Unis et le Brésil, a dû subir deux agressions militaires (18 octobre et 1er novembre 2016) de la part du Nicaragua; et que le St-Vincent, le St-Kitts-and-Nevis, la Grenade, et la Dominique, également cités comme exemple, font non seulement partie du Commonwealth. Et aussi, que ces quatre pays, ensemble, n’accumule qu’une superficie de 1754 km2, et comptent tous respectivement des populations inférieures à 150,000 habitants. Et contrairement à Haïti, ces pays jouissent d’une grande stabilité politique et sociale. Ils peuvent donc se permettre le grand luxe de se construire sans armée.

Puisque vous aviez parlé aussi de coup d’État, je ne passerai pas là-dessus sans souligner que certains éléments de la PNH, pour la plupart des commissaires, avaient profité pour en donner une fois. C’était en octobre de l’année 2000, à la fin du second mandat du président René Préval. C’est ce que la presse avait rapporté en tout cas. La suite, vous l’aviez connu. Car vous suivez autant que moi, et même mieux que moi l’évolution de la scène nationale. Les impliqués, dont Guy Philippe plus particulièrement, ont été tous contraints à l’exil en République Dominicaine.

Quoiqu’assez souvent on mentionne que le pays a connu plus d’une trentaine de coups d’Etat, on ne les répertorie pas. Ces coups d’Etat ne sont souvent pas placés dans un registre chronologique et contextuel.

Il y a tellement de considérations à apporter sur un phénomène du coup d’Etat qui dans son essence n’est pas toujours militaire. Il arrive que des civils prêtent souvent mains fortes aux tentatives de putsch, les incitent, les planifient. Prenez le cas de Roger Lafontant ou celui de 2004. A votre crédit, vous avez eu totalement raison d’admettre parallèlement, que dans les Philippines d’après Marcos, l’armée s’est opposée à toute tentative prise illégale du pouvoir. Le problème n’est donc pas un problème essentiel à l’armée.

A titre personnel, je n’ai jamais trop aimé l’Armée post-occupation américaine qui nous a été léguée. A mes yeux, c’était une armée de « boyscout » jouant au « cowboys ». Une Armée mal équipée, instrumentalisée et indisciplinée au niveau des enrôlés. Cependant, tout porte à croire que nous avons encore besoin d’une telle institution, mais mieux pensée dans son essence. Arrêtons donc de faire la politique de l’autruche. Haïti est un des pays les plus vulnérables de l’Amérique Centrale et de la Caraïbe du point de vue de sa sécurité (je prends aussi en compte l’aspect environnemental). Pensez-vous que la PNH et les structures de la Protection Civile vont pouvoir à eux seuls remonter nos défis de sécurité?

Je ne suis pas mieux positionné que les panélistes ayant participé au Jeudi des Saint-Louisiens le 25 mai dernier sur la thématique « Quelle force de sécurité pour Haïti? » pour répondre à vos nombreuses interrogations. Cependant, je tenterai de répondre à quelques unes de vos questions prenant en compte l’hypothèse d’une nouvelle force armée.

1.- Du point de vue géostratégique, qui serait ces éventuels ennemis contre lesquels se prémunir? Cuba? La République dominicaine?

En ce qui concerne cette dernière, elle n’a pas d’ennemis déclarés à ce que l’on sache ; pourtant elle dispose du CESFRONT qui est un corps militaire spécialisé sur la frontière. En matière de défense, les menaces ne viennent pas toujours de l’extérieur, et ne sont pas nécessairement militaires. D’où les notions que sont : l’insurrection, le terrorisme local, le terrorisme international, la piraterie, etc. Des menaces que la police n’est pas toujours préparée à combattre. N’a-t-il pas fallu l’intervention des militaires de la MINUSTHA pour pacifier les quartiers de non-droits lors des troubles qui ont été baptisés parodiquement « Opération Bagdad » ? Sur cette lignée, je reste persuadé que même le GIPNH (SWAT), en tant qu’unité d’élite, n’est pas vraiment entrainé pour engager des combats urbains, voire contrer une véritable insurrection.

2.- Dans combien de temps et avec quel budget atteindrons-nous cette capacité de frappe pour riposter adéquatement?

Il faut d’abord avouer que l’armée est réellement une structure budgétivore. Mais dépendamment de l’orientation que l’on donne à un budget, il peut être investissement avant toute chose. Dans le cas d’Haïti, une armée formatrice de spécialistes et de professionnels dans différents domaines constituerait un investissement solide de l’Etat dans l’avenir du pays. Les ingénieurs de l’armée participeront à la construction de nos routes et ponts dans les milieux ruraux ; les médecins de l’armée soigneront les habitants des zones reculées; et les agronomes de l’armée, sous mandat du ministère de l’Agriculture, accompagneront les agriculteurs.

Une armée dont toutes les composantes seraient contraintes de consommer des produits alimentaires locaux inciterait une relance de la production agricole. L’investissement dans l’armée a aussi une plus-value sociale dans sa contribution directe à la diminution du chômage. L’armée n’est-elle pas par excellence génératrice d’emploi ? L’armée c’est plus qu’une force de dissuasion face aux malintentionnés, elle peut être un vecteur du développement national.

3.- L’armée, créatrice de trafiquants ?

Quant à la lutte contre le trafic de drogue, il se révèle vrai que des hauts gradés de l’armée ont souvent été impliqués dans la protection ou facilitation de les convois de cocaïne, ils sont aussi plusieurs a avoir servi de leur position hégémonique pour blanchir de l’argent sale. Comment éviter la poursuite de telles pratiques? La réponse sera surement imbriquée dans la culture implémentée et les valeurs prônées au sein de l’organisation. Cependant je signale que même après le départ de l’armée, notre institution policière a été aussi confrontée à de pareils problèmes. Combien de hauts gradés de la PNH ont été jugé coupable de blanchiment ?

4- Quelle sera la taille de cette armée? Une grille salariale plus élevée pour éviter la corruption ?

Ce n’est pas surtout la taille qui devrait nous préoccuper. L’Armée haïtienne de 1915 à 1994 n’a jamais véritablement dépassée le stade d’une division militaire en comparaison aux différentes armées la zone de l’Amérique latine. Ce qui compte avant tout c’est la construction d’un esprit de défense national. Ensuite viennent l’endoctrinement des troupes, l’esprit de corps, les armements, l’adaptation tactique et le reste. La taille de l’effectif n’est pas la plus importante des caractéristiques de l’armée moderne. Mieux vaut avoir une armée faible en effectif mais efficace dans ses opérations. D’où, au sein même des armées l’existence des Forces Spéciales. « Plus une armée est quantitativement réduite, plus elle a besoin de troupes de grande qualité » doit-on retenir tout simplement.

En ce qui attrait au lien « salaire-corruption »; si telle considération était vraie, on n’allait jamais accuser, je crois, tel président, tel parlementaire, tel ministre, ou tel haut fonctionnaire de corruption. L’homme est insatiable. C’est donc l’application de la loi par une pénalisation sévère, et rien d’autres, qui peut atténuer les gabegies dans les administrations, qu’elles soient civiles ou militaires.

Les militaires ont certainement commis des bêtises dans le passé. Il n’aurait pas du avoir 1991, la dernière goutte d’eau qui a fait déborder le vase.

Dans la politique haïtienne, “nous » voulons toujours que « les autres » reconnaissent leurs fautes, leurs erreurs et leurs responsabilités dans les malheurs du pays sans que « nous » reconnaissions les ‘‘nôtres’’. S’il faut que les anciens éléments des FAD’H demandent obligatoirement pardon à la nation pour avancer de l’avant, la classe politique traditionnelle au pouvoir depuis les années 90 ainsi que la société civile complaisante devraient aussi penser à leur mea culpa.

L’Armée n’a jamais été à l’essence du problème haïtien. Son retour ne contribuera pas plus à notre malheur collectif et ne sera pas non plus le début de notre renaissance. Le vrai problème dans ce miasme, c’est la façon dont nous concevons, faisons et élaborons la politique en tant que science du pouvoir et science du gouvernement. Il nous faudra redéfinir les intérêts nationaux qui eux mêmes vaudront la peine d’être défendus. Et comme disait Alexis de Tocqueville : « Ce n’est pas dans l’armée qu’on peut trouver remède aux vices de l’armée, mais dans le pays lui-même. » Haïti a besoin d’être repensée. Son système juridique est à rebâtir et ses relations extérieures sont à reconsidérer. Il en va de soi de sa souveraineté. Le réalisme en relations internationales s’articule autour de la sécurité de l’État, « le Droit et la Diplomatie sans la Force ne sont que des vœux pieux » eut à déclarer le Colonel Jean-Thomas Cyprien (FAD’H).

« Qui défendra la population haïtienne d’une nouvelle armée ? », une bonne question à laquelle il faudra répondre à un éventuel retour de la FAd’H. Mais à l’aube de la tragédie de la vidéo, maintenant virale, des policiers torturant des présumés bandits, j’ai aussi une question : « Qui protège la population haïtienne de l’actuelle PNH ? ».

Ricardo Germain

Image: Challenges 

Ricardo Germain, connu également sous le pseudonyme L’Homme A la Plume Rouge, est né un 4 décembre à Port-au-Prince et a effectué des études en Sciences Politiques et Relations Internationales. Après avoir travaillé sous contrat à terme à Anselme’s Acounting Services, au MTPTC, puis à Solutions S.A, il offre actuellement son service à une institution regalienne de l'Etat. Pour qui veut rentrer en contact avec lui, ces adresses sont donc disponibles: ge.ricardo@live.com / ge.ricardo3@gmail.com - ou sur Twitter au compte de @Ricardo_Germain.

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