À côté de la gale et la diarrhée, le VIH terrasse les prisonniers haïtiens. 6 % de la population des détenus en sont atteints
Lors d’une tentative d’invasion les 7 et 8 novembre 2019, dix femmes écrouées à la prison des Gonaïves ont été victimes de viol collectif selon un rapport du Réseau national de Défense des droits humains (RNDDH) et de la Solidarité des femmes haïtiennes. Cet acte a été perpétré par des prisonniers de sexe masculin avec qui ces détenues cohabitaient au local de la prison.
L’action est survenue en marge d’une tentative d’évasion et à la suite du désarmement d’un agent de la Police nationale d’Haïti (PNH) qui assurait la sécurité de cet espace carcéral. Pour protéger sa vie, ce dernier a pris la fuite. Le prisonnier qui avait arraché le revolver de calibre 9 millimètres du policier s’en servira pour tuer un autre prisonnier.
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Dans la soirée du 7 novembre, des détenus investissent l’espace où les femmes étaient incarcérées, perpétrant ainsi le viol collectif. Une enfant de quinze ans, en attente de jugement pour « vol de valise », fait partie des victimes.
Selon les déclarations d’Edwin Prophète, médecin et superviseur médical dans les prisons en Haïti pour AIDS Healthcare Foundation (AHF), les victimes ont été placées en prophylaxie avec des médicaments antirétroviraux (ARV). Ce, afin de bloquer le cycle de réplication du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) dans leur sang afin de diminuer le risque d’une infection.
Pour l’instant, les victimes de viols sont transférées dans la prison civile de Cabaret.
6 % des prisonniers haïtiens infectés par le VIH
Au cours des cinq années qui ont précédé 2018, la prévalence du VIH/SIDA est passée de 2,2 % à 2 % dans le pays selon la dernière Enquête Mortalité, Morbidité et Utilisation des Services (EMMUS-VI). Cependant, Edwin Prophète relate que le pourcentage de la population carcérale infectée en Haïti est trois fois plus élevé comparé à la prévalence du virus au sein du reste de la population active.
« 6 % de la population carcérale en Haïti, soit environ 700 détenus, sont infectés par le VIH », déclare Edwin Prophète qui travaille dans une organisation non gouvernementale (ONG) présente dans 14 prisons du pays.
La population carcérale infectée en Haïti est trois fois plus élevé comparé à la prévalence du virus au sein du reste de la population active.
Selon les données du RNDDH, les 19 prisons d’Haïti accueillaient 11 839 détenus en 2018. « Dès leur entrée à la prison, [les incarcérés] sont soumis à des tests médicaux afin de vérifier leurs états de santé », révèle Edwin Prophète.
« Des patients séropositifs qui se croyaient en bonne santé nient les résultats des analyses médicales », explique de son côté Wendy Adrien, psychologue clinicienne. Ils sont parfois réticents, poursuit-elle, à admettre qu’ils sont infectés et refusent de prendre régulièrement leurs médicaments.
Un environnement propice à la transmission du virus
Bien que le pourcentage de prisonniers infectés soit supérieur au pourcentage observé au sein de la population, cela ne signifie pas qu’un grand nombre de personnes infectées au VIH sont séquestrées dans les prisons. La population haïtienne compte 160 000 personnes qui vivent avec le VIH dont 87 000, soit 58 %, sont des femmes.
Selon les propos d’Edwin Prophète, certains facteurs expliquent le taux élevé de personnes infectées dans les prisons. « Pour se faire tatouer, dit-il, les prisonniers se servent [souvent] de matériels qui ne sont pas stérilisés. Du coup, l’utilisation du même outil par différents prisonniers peut être un moyen de propagation du virus. »
Aussi, la pratique de la bille dans l’appareil génital des hommes est très répandue en milieu carcéral. Edwin Prophète explique que l’instrument utilisé pour cette pratique est aussi un facteur de dissémination du VIH.
« Il est interdit de distribuer des préservatifs dans les prisons en Haïti »
« Il est interdit de distribuer des préservatifs dans les prisons en Haïti », confie le médecin. Quoique tabou en Haïti, le sexe est aussi pratiqué par la population carcérale. « C’est aussi un moyen de transmission du VIH lorsque les contacts se font sans protection », explique le médecin.
Des supports psychologiques nécessaires
En plus des conditions d’incarcération difficiles, c’est un choc pour le détenu d’apprendre qu’il est infecté du VIH. « Les détenus séropositifs doivent accepter qu’ils soient infectés pour ensuite recevoir les soins appropriés », relate la psychologue Wendy Adrien.
La psychologue explique rencontrer des cas de déni et de stigmatisations dans le cadre de son travail avec les détenus devenus séropositifs au sein des prisons. « Dès lors, la prise en charge psychologique de ces [derniers] se révèle cruciale afin d’éviter des cas de dépression et d’autres troubles mentaux ».
Par ailleurs, les personnes infectées par le VIH ne sont pas nécessairement atteintes du Syndrome d’immunodéficience acquise (SIDA). Mais la maladie peut se développer au cas où ces gens refuseraient de prendre les médicaments régulièrement.
Conditions sanitaires des prisonniers haïtiens
« De nombreuses difficultés limitent encore l’accès aux soins à la population carcérale », dévoile Rolandy Édouard, médecin au Pénitencier national. La faiblesse des institutions publiques et sanitaires du pays ouvre la voie à des ONG qui apportent des soins de secours.
Comme c’est le cas dans les centres hospitaliers du pays, dit Rolandy Édouard, le personnel médical dans les espaces pénitenciers est aussi très limité. Et, l’accès aux médicaments de base reste parfois difficile.
Au total, 23 médecins, 62 infirmières et 3 laborantins offrent des soins de santé à 11 839 prisonniers. Le rapport du RNDDH établit le bilan suivant : « un psychiatre et un nutritionniste pour 11 839 détenus, un médecin pour chaque 514 détenus et un infirmier pour chaque 190 détenus. »
Au total, 23 médecins, 62 infirmières et 3 laborantins offrent des soins de santé à 11 839 prisonniers.
Selon le constat d’Edwin Prophète, de nombreuses prisons ne disposent pas de services de base tels que l’eau potable, les toilettes, etc. En outre, 10 % de la population carcérale à travers le pays souffre de malnutrition.
La surpopulation carcérale demeure l’une des principales causes retenues par la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP) pour expliquer la condition déplorable des prisons. L’espace de vie est de 0,5 au lieu des 4,5 mètres carrés par prisonnier comme requis par le standard international.
Le Pénitencier national — plus grand centre carcéral en Haïti — avait été construit pour accueillir 800 personnes. Il compte aujourd’hui 3 648 détenus.
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