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Pour la chef Phanise Rosembert, la Soup joumou est plus qu’un simple repas

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« On appelait tout le monde tante et oncle, se rappelle-t-elle. Et quand on leur apportait la soupe, ils nous glissaient un ‘adoken’ dans le creux de la main, en nous souhaitant une bonne année ».

C’est une porte d’entrée sur la culture haïtienne

Ce vendredi 31 décembre, nous arrivons au marché de Pétion-Ville. Il est bondé. Sachets en mains, des gens font leurs emplettes, devant des étalages de fortune dressés ici et là. En face d’un bureau de transfert, une ligne longue comme le bras attend de pouvoir entrer. Le spectacle rappelle les scènes devant les banques commerciales.

Devant ce bureau de transfert, assises par terre, des marchands prennent leur aise pour vendre leurs produits. Le produit phare aujourd’hui est le giraumon. Il y a aussi les vivres, et les épices, à l’attention des clients qui se plieront à la tradition de la soupe de l’indépendance. C’est bien la veille d’un premier janvier en Haïti.

Parmi les clients, Bleuette Dieudonné, Capoise habitant aujourd’hui à Port-au-Prince, achète ce dont elle aura besoin pour sa soupe. Dans son sac, il y a des ignames, des malangas, de la viande, de la banane plantain, et des pommes de terre.

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Dieudonné prépare la Soup joumou depuis qu’elle est petite. « Ma mère a pendant un temps été marchande de nourriture ; c’est elle qui m’a tout appris », dit-elle.

Du haut de ses 62 ans, Bleuette Dieudonné se souvient qu’apporter de la soupe aux voisins était un moyen pour les enfants de se faire un peu d’argent de poche. « On appelait tout le monde tante et oncle, se rappelle-t-elle. Et quand on leur apportait la soupe, ils nous glissaient un ‘adoken’ dans le creux de la main, en nous souhaitant une bonne année ».

D’après la sexagénaire, ça change aussi du repas à la maison. «On croit toujours que l’herbe est plus fraîche ailleurs, poursuit Bleuette Dieudonné. Donc même si c’est la même recette, on a l’impression que la soupe de la voisine a meilleur goût que celle faite à la maison».

Plus qu’un simple repas

Phanise Rosembert est chef. La Soup joumou n’a pas de secrets pour elle. Elle estime que ce plat est bien plus que de la simple nourriture. C’est une porte d’entrée vers la culture haïtienne, comme la gastronomie française l’est pour le peuple français. De plus, d’après elle, le premier janvier est le seul jour en Haïti ou tout le monde peut se voir offrir un bol de soupe où qu’on aille.

C’est pour cela que des personnes remplacent le bœuf par du poulet, car le coût devient moindre.

Mais la Soup joumou n’a pas qu’une seule recette. Et même s’il existe une recette officielle, surtout maintenant que ce plat est inscrit au patrimoine mondial de l’humanité, c’est avant tout une tradition.

La chef croit que tous les Haïtiens devraient apprendre à cuisiner cette soupe. Les étapes sont assez simples. Après avoir préparé les ingrédients, on s’occupe de la viande. Idéalement du bœuf. Une fois la viande bien cuite, on ajoute le joumou qui sera broyé ensuite, passé à la passoire et rajouté dans la marmite, suivi des vivres.

Il ne faut pas oublier le sel et d’autres assaisonnements comme le piment. On peut même y ajouter un peu de citron pour relever le goût. Après un moment de cuisson, on rajoute les pâtes, sans oublier de l’oseille, du céleri, les choux et du beurre pour le goût. On laisse mariner un moment, et le tour est joué.

Cette recette varie, car certaines personnes sont végétariennes et ne mangent pas de viande. Pour d’autres, le prix des ingrédients est trop élevé. Bleuette Dieudonné a dépensé 1500 gourdes au marché de Pétion-Ville, pour acquérir le nécessaire pour la soupe, pour elle et sa fille de 26 ans. C’est pour cela que des personnes remplacent le bœuf par du poulet, car le coût devient moindre. D’autres qui ne peuvent pas se procurer un giraumon entier en achètent des tranches. L’essentiel c’est de participer.

Des initiatives

En décembre 2021, la Soup joumou a été admise par l’Unesco au patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Mais déjà, au niveau national, des initiatives ont tout le temps accompagné ce plat. À Delmas 31 par exemple, au péristyle du hougan Raymond Lerebours, les fidèles ont lancé la « Soup Libète ». Depuis 2019, ce Lakou offre la possibilité à tous ceux qui veulent, de venir passer un moment ensemble et de partager un bol de soupe, et ce, gratuitement.

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D’après Raymond Lerebours, il s’agit là d’un prétexte pour un mouvement de mise en commun citoyen. En effet, dans la préparation et la consommation de la Soup libète, des gens de statut social différent, ou de croyances religieuses diverses, se retrouvent et se mettent en commun pour en boire.

Des églises aussi prennent le même type d’initiative. La paroisse Saint-Louis roi de France, offre la soupe à ses fidèles, ou encore l’Église de Dieu de la pentecôte, au village solidarité. Ce sont autant d’exemples qui montrent qu’un bol de Soup joumou ne rassasie pas seulement, mais permet aussi de communier les uns avec les autres.

 

Mélissa Béralus

Melissa Béralus est diplômée en beaux-arts de l’École Nationale des Arts d’Haïti, étudiante en Histoire de l’Art et Archéologie. Peintre et écrivain, elle enseigne actuellement le créole haïtien et le dessin à l’école secondaire.

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