« Notre message concerne la reconnaissance de nos droits, pas spécialement en tant que femmes, mais en tant qu’êtres humains, pour que nous puissions marcher comme nous le voulons sans nous sentir menacées, sans avoir peur d’être harcelées »
Il est près de 15 heures, ce vendredi 12 mars 2021. Tous les pas convergent vers le terrain de basket de l’Université Quisqueya, où va se dérouler un flash-mob, une mobilisation éclair. 100 jeunes femmes, en collaboration avec l’Institut Français en Haïti et l’Agence française pour le développement, sont venues danser dans cet évènement organisé sur le thème « nous sommes la moitié de l’humanité ».
Casquette ou mouchoir sur la tête, ou autour des hanches, elles bougent sur la musique. Pour ces femmes, le message est clair. Le thème, imprimé sur leurs maillots blancs, ne prête pas à équivoque : la moitié de l’humanité ne peut pas passer sous silence. Ce n’est pas une affaire de femme, mais une question de droit, de droits humains. C’est une question d’égalité de chance et d’opportunités.
Comme si leur corps était le véhicule de leurs revendications, c’est à travers l’art que ces jeunes femmes ont décidé de promouvoir la lutte des femmes pour leurs droits.
Beaucoup de préparations
Ericka Julie Jean Louis est danseuse et chorégraphe. Elle est aussi la chanteuse principale du groupe Compas Siromiel, composé exclusivement de femmes.
Depuis deux ans déjà, Jean Louis essaie de faire de l’artivisme : elle utilise son art pour faire passer des revendications qu’elle considère nobles. C’est elle qui a monté la chorégraphie de l’activité.
« C’est un cri que nous n’avons pas cessé d’émettre, pour revendiquer nos droits, pour réclamer ce qui nous est dû, depuis des décennies, voire des siècles », dit Ericka Julie Jean Louis.
Pour l’activité, un appel à candidatures avait été lancé pour recruter diverses femmes, venues de partout. Des volontaires, des membres de structures féministes, des membres d’écoles de danse, des passionnées de danse et de théâtre y ont répondu.
« Le défi de coacher 100 jeunes femmes, dans un temps record, sans pouvoir les réunir en même temps, m’a motivée à participer, dans un premier temps. Mais aussi, c’était une opportunité de plus pour utiliser mon art dans la défense d’une cause louable », fait savoir la chorégraphe. Un flash mob n’est spontané que pour le public. Derrière les rideaux, il y a beaucoup de préparations.
« Il faut réunir une quantité importante de gens dans un espace cible, et préparer la chorégraphie. Elle peut avoir trois mouvements ou dix, ou cela peut être une chorégraphie entière. Or, on est encore dans une période où les activités sont restreintes, en raison du Covid-19. Il n’y a pas vraiment de rassemblement important de public », explique Ericka Julie Jean Louis.
Aller au-delà
Thara Lajoie a pris connaissance de l’activité sur les réseaux sociaux. Elle n’a pas hésité à s’inscrire. « J’ai participé à l’atelier de théâtre et j’ai suivi des séances de répétition. Par cette danse, on voulait dire que nous les femmes, sommes la moitié de l’humanité, ce qui est d’ailleurs écrit sur nos maillots. C’est notre façon de faire entendre notre voix, de dire que nous existons en tant qu’êtres humains. »
Pour Emanuela Pierre Louis, l’une des danseuses, tout ne s’arrête pas au flash mob. « Des organisations vont continuer à lutter, affirme-t-elle. Et nous aussi, nous allons continuer à influencer nos quartiers, les écoles, les universités, dans ce que nous entreprendrons et à travers qui nous deviendrons. »
Ginite Popote est la responsable de l’institution « Bagèt Sant Dans Ayiti », une école de danse dont la majorité des membres sont des femmes. Trente filles contre cinq garçons. Selon elle, ce n’est pas seulement une mobilisation spontanée, mais un message-clé qu’elle espère voir arriver très loin.
« Notre message concerne les nombreuses problématiques sur les femmes en Haïti, en dépit de la lutte colossale que mènent les féministes. C’est pour la reconnaissance de nos droits, pas spécialement en tant que femmes, mais en tant qu’êtres humains, pour que nous puissions marcher comme nous le voulons sans nous sentir menacées. Sans avoir peur d’être harcelées. »
La directrice espère que le message sensibilise ceux qui occupent les postes de décisions, mais aussi tous les hommes sur le respect auquel les femmes ont droit en tant que personnes. « Le monde est constitué d’hommes et de femmes. C’est pour nous une question de complicité et de complémentarité », dit-elle.
Satisfaction totale
Il a fallu surmonter des difficultés pour réaliser la mobilisation. Mais comme la majorité de celles qui étaient présentes, la chorégraphe Ericka Julie Jean Louis se déclare satisfaite.
« Les filles n’ont pas eu de répétitions dans l’espace où allait se dérouler l’activité, dit-elle, et on n’a pas pu beaucoup répéter. Pour moi ces filles-là sont extraordinaires. Ce serait positif pour la lutte pour les droits, pas seulement de la femme, qu’il y ait plus de personnes comme elles.
Edelyne Floradin, étudiante en sciences de l’éducation, assistait pour la première fois un flash-mob. Elle estime qu’il en faudrait plus. « Nous ne sommes pas respectés en tant qu’êtres humains, encore moins en tant que femmes. Ces activités ont un impact et portent nos revendications. Les hommes doivent comprendre qu’au-delà de nos différences physiques, nous sommes des humains au même titre qu’eux et nous avons les mêmes droits et les mêmes devoirs. Plus de gens devraient prendre part à la lutte, ce n’est pas une question de femme, mais une question d’être humain. »
John Peter Wendy Thomas, étudiant qui faisait lui aussi partie du public, estime qu’il y a de l’espoir pour la lutte des femmes. Il conclut : « C’est encourageant de voir ces jeunes filles confiantes en elles-mêmes qui n’ont pas peur de se montrer aux autres, en dépit du fait que les femmes soient souvent minimisées au sein de la société ».
Phillerque Hyppolite
Les photos sont de Valérie Baeriswyl
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