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Photos | Voici ce que les gangs ont fait aux facultés du bas de la ville de P-a-P

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« Nous avons perdu des milliers de livres, plus d’une trentaine d’ordinateurs et des appareils de pointe. Les dégâts sont estimés à plusieurs milliers de dollars », révèle à AyiboPost la doyenne de l’INSFSF

L’édifice de l’Institut National de Formation des Sages-femmes n’est plus qu’un amas de murs et de cloisons calcinés par les flammes destructrices depuis son saccage en juillet par des bandits.

Partout dans la cour, des éclats de verre brisé jonchent le sol. Les conduites en métal qui constituaient la plomberie du bâtiment ont été arrachées et emportées.

La bibliothèque remplie de livres de l’unique établissement d’enseignement de cette filière, situé à la rue de la Réunion à Port-au-Prince, a été incendiée.

La biblothèque de l’Institut National de Formation des Sages-femmes en Aout 2024.

« Nous avons perdu des milliers de livres, plus d’une trentaine d’ordinateurs et des appareils de pointe. Les dégâts sont estimés à plusieurs milliers de dollars », révèle à AyiboPost Nadège Daudier, la doyenne de l’institution depuis 2022.

Photo démontrant l’ampleur des dégâts à l’Institut National de Formation des Sages-femmes en août 2024.

Depuis mars, les bandits ont attaqué plusieurs établissements d’enseignement supérieur dans le périmètre.

Ces institutions n’arrivent toujours pas à faire l’inventaire des dégâts enregistrés à cause des bandits qui n’ont de cesse de faire résonner leurs armes dans ces quartiers du bas de la ville, selon plusieurs interviews réalisées par AyiboPost avec des responsables de plusieurs entités.

AyiboPost a visité les locaux de l’INSFSF avec un étudiant sage-femme au début du mois d’août.

Photo démontrant l’ampleur des dégâts à l’Institut National de Formation des Sages-femmes en août 2024.

Les salles de simulation, les mannequins pour la pratique et celle de réanimation néonatale ont été saccagées ou brûlées.

Dans les allées du bâtiment, des blocs de mortier arrachés par les flammes gisent par terre au milieu des carrés noircis de mosaïques.

Des mannequins disloqués et des baies vitrées arrachées ferment les contours d’un tableau de désolation.

Selon Daudier, la doyenne de l’institution, six véhicules de l’établissement ont été emportés, dont deux pick-ups et quatre minibus lors d’une première attaque en mars 2024.

Durant cette période, plusieurs employés ont été pris en otage par des bandits armés dans l’enceinte de l’INSFSF.

Photo démontrant l’ampleur des dégâts à l’Institut National de Formation des Sages-femmes en août 2024.

Fito Voltaire, cinquante ans, est gérant de l’établissement. Il a visité l’espace pour la dernière fois en avril.

L’homme gardait des poules dans l’INSFSF. Il allait leur donner à manger quand près de trois bandits armés lui sont tombés dessus. Un des malfrats a intimé l’ordre de l’abattre. Voltaire a eu la vie sauve grâce à un individu en déséquilibre mental qui a dit aux bandits qu’il était l’un des gardiens de la faculté. Mais ses poules ont été emportées par les malfrats.

Batistin, un autre gérant, n’a pas eu la même chance.

L’homme habitait dans l’enceinte même de la faculté. Il se remémore l’irruption dans l’Institut de près de quatre bandits lourdement armés en avril. Le gardien de 65 ans a été mis en joue, traîné sans ménagement à travers l’enceinte du bâtiment et dépossédé des clefs de l’institution à grand renfort de menaces.

Sous le choc, Batistin a passé plusieurs jours avec une diarrhée et des migraines fréquentes après le drame. « Je n’avais pas l’habitude de vivre ces incidents, et je suis à 22 ans de service à la faculté », confie-t-il.

Photo démontrant l’ampleur des dégâts à l’Institut National de Formation des Sages-femmes en août 2024.

Ronaldo Jeanty, étudiant en troisième année à l’Institut, dit n’avoir que des regrets.

« Après toutes ces années à étudier, c’est dur de voir notre rêve et notre alma mater dans un état aussi déplorable à cause de l’inertie des autorités étatiques à garantir la sécurité dans le pays. Il est inconcevable que l’on s’attaque à l’enseignement et aux livres en Haïti », regrette-t-il.

Ronaldo Jeanty, étudiant en troisième année à l’Institut National de Formation des Sages-femmes.

Depuis les premières attaques sur l’Institut en début d’année, Nadège Daudier confie à AyiboPost avoir plusieurs fois cherché assistance auprès de plusieurs patrouilles policières pour descendre faire l’inventaire des dégâts, mais les agents lui ont fortement déconseillé de s’aventurer dans le bas de la ville.

L’INSFSF a été inauguré le 21 février 2018 à Port-au-Prince dans l’objectif de former des professionnels sages-femmes qualifiés pour les besoins du pays en santé maternelle et infantile.

En 2021, la structure a été intégrée à l’Université d’État d’Haïti (UEH) avec des programmes de formation dans l’Ouest, le Nord et le Sud pour réduire la mortalité maternelle et infantile en Haïti.

Depuis les attaques, la faculté comprenant plus d’une centaine d’étudiants tente de fonctionner en organisant des séances pour les étudiants au local de l’Association Professionnelle des sage-femmes d’Haïti (APSH) à Delmas.

Mais plusieurs étudiants ne peuvent poursuivre leurs études à cause des aléas sécuritaires du pays ces derniers mois, selon Daudier.

Photo démontrant l’ampleur des dégâts à l’Institut National de Formation des Sages-femmes en août 2024.

Plus d’un mois après le débarquement des troupes kényanes en Haïti, les gangs continuent d’opérer dans la zone métropolitaine et plusieurs villes de province.

Selon l’organisation des Nations-Unies (ONU), l’instabilité politique et l’escalade de la violence en 2024 ont contraint 578 074 personnes à abandonner leurs foyers, dont plus de 310 000 femmes et filles et 180 000 enfants.

D’autres établissements d’enseignement ont été saccagés par les bandes armées au bas de la ville depuis le déclenchement des hostilités en février.

Dans la liste, l’on retrouve la Faculté de Médecine et de Pharmacie (FMP), la Faculté des Sciences (FDS), et l’École Nationale des Arts (ENARTS).

Le parking de la Faculté de Médecine et de Pharmacie en août 2024.

Lors de la visite d’AyiboPost au début du mois d’août, un bus trônait à quelques encablures d’une carcasse de voiture brûlée et du portail métallique principal du bâtiment arraché et gisant à même le sol de la faculté de médecine.

Les murs de l’établissement portent l’expression de l’ivresse criminelle des bandits. Un peu partout sur les parois, des trous béants de projectiles se laissent voir à côté de quelques inscriptions obscènes laissées pour rendre compte de leur passage. Les fermetures métalliques de presque toutes les portes ont été sautées à coups de balles, laissant la plupart des salles grandes ouvertes. Dans les couloirs, des piles de dossiers pêle-mêle esquissent le décor d’un établissement abandonné.

L’un des murs de la Faculté de Médecine et de Pharmacie.

À quelques mètres, sur la façade de la cour qui donne sur la Faculté d’Odontologie (FO) de l’Université d’État d’Haïti, la bibliothèque se tapit en contrebas.

Si les livres n’ont pas subi les ravages des flammes, ils ont été saccagés et une bonne partie a été laissée confusément sur le sol de la pièce.

La bibliothèque de la Faculté de Médecine et de Pharmacie.

La Faculté des Sciences (FDS), une entité de l’UEH, subit également des actes de pillage réguliers depuis le pic de l’insécurité au bas de la ville en février dernier. AyiboPost a tenté sans succès d’établir des contacts avec un responsable de l’institution.

L’ENARTS, l’un des rares établissements d’enseignement artistique du pays, a été pillé en ce début d’année. Près de cinq mois après, aucun inventaire des dégâts n’a encore pu être réalisé par les responsables, qui redoutent encore le bas de la ville.

Joint au téléphone par AyiboPost, Yves Penel, directeur général de l’établissement, révèle à AyiboPost que beaucoup de dossiers d’étudiants, des livres importants et des documents de comptabilité ont disparu.

L’un des couloirs de Faculté de Médecine et de Pharmacie.

Les murs ont été percés, des téléviseurs utilisés pour la formation ainsi que plusieurs batteries et onduleurs qui fournissaient l’électricité au bâtiment ont été emportés par les bandits.

Pour l’instant, l’institution essaie de maintenir les formations avec des cours en ligne. Mais plusieurs étudiants ont décroché, selon le responsable.

Dans le dernier concours d’admission pour l’année académique 2023-2024, l’ENARTS avait accueilli 108 étudiants. Présentement, cet effectif s’est réduit à 80, toujours selon le responsable.

« L’attaque des écoles et universités en Haïti est illogique, regrette Penel. Attaquer ces institutions, c’est tuer l’espoir dans le pays. »

Par Junior Legrand

Image de couverture : Ronaldo Jeanty, étudiant en troisième année à l’Institut National de Formation des Sages-femmes. | Photo : Junior Legrand

Les photos sont de Ronaldo Jeanty et Junior Legrand


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Junior Legrand est journaliste à AyiboPost depuis avril 2023. Il a été rédacteur à Sibelle Haïti, un journal en ligne.

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