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Peut-on être athée en Haïti?

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En Haïti, toutes les religions et tous les cultes peuvent être pratiqués librement. Mais que se passe-t-il quand on est non-croyant? Emmanuel, un théologien devenu athée, livre son témoignage aussi instructif que surprenant.

 

Dans la soirée du 10 janvier 2018, le Président Jovenel Moïse révèle certains faits sur sa vie spirituelle et sur la stratégie dont il se sert pour diriger le pays. Il participe alors au concert « In Haiti » organisé par Impact nations (IN), un programme prophétique « pour le réveil, l’évangélisation et la destruction des forteresses sur les nations.»

Accompagné de sa femme, de certains membres de son cabinet et du maire de Port-au-Prince, le Président de la République invite tous les Haïtiens à prendre le chemin du christianisme. Face à une foule remplissant tout le stade, il confie qu’il ne prend jamais de décision sans consulter le ciel. « Je donnerai l’électricité 24/24 parce que le Bon Dieu est avec moi », lance-t-il. Le public exprime son agrément par des cris de joie.

Le président n’est d’ailleurs pas l’unique dirigeant à imposer publiquement sa vision chrétienne. Lors d’une séance de vote sur la loi relative à l’interdiction du mariage entre les personnes de même sexe, le sénateur Walnique Pierre allègue: « Je suis un homme de Dieu, un croyant. Je suis là aujourd’hui pour voter la loi contre les homosexuels». Le sénateur Jean-Marie Salomon fait de son mieux pour lui expliquer qu’Haïti est un État laïque. Mais la loi finit par être votée. Pour justifier cette interdiction lors du vote, ce sont des arguments d’ordre religieux qui ont surtout été avancés.

De telles démarches s’inscrivent clairement dans un processus de politisation du religieux, au détriment du principe de laïcité souhaité par les constituants de la Contitution de 1987. Ce fait est sans doute lié à la montée du protestantisme à l’américaine en Haïti. Une secte, dont l’agenda vise à combattre certaines minorités et pratiques (l’athéisme, l’avortement, l’homosexualité, le vodou, etc.) Les dernières statistiques réalisées en 2003 par l’Institut haïtien de statistiques et d’informatique (IHSI) sur la religion en Haïti, estimaient les chrétiens protestants à plus de 25% de la population. Le catholicisme étant la religion prédominante avec 54,7 % de la population de l’ensemble du pays.

La Constitution de 1987 amendée proclame en sa section intitulée « De la Liberté des Cultes » et en son article 30, la liberté de culte et de religion. Si l’article 30.1 précise que nul ne peut être contraint de faire partie d’une association ou de suivre un enseignement religieux contraire à ses convictions, aucune considération sur la protection des athées n’est clairement formulée.

De plus, Haïti a décidé d’accorder une protection spéciale à l’Église Catholique, en signant en 1860 le concordat. Considérant un tel climat, on peut se questionner sur la possibilité d’être athée en Haïti ; sachant que par athéisme, il faut entendre la négation de l’existence de toute divinité.

Emmanuel : Un enfant prodigue qui ne compte plus revenir

Emmanuel Fils-Aimé est un athée. Il a pourtant grandi dans une famille chrétienne. Son père est même pasteur à l’Église adventiste du Septième jour. Il se souvient encore du jour de son baptême, lequel marque son sacrement et son insertion dans la communauté chrétienne. Le nom même qu’il porte traduit la volonté de ses parents de lui attirer les faveurs de Dieu. Pendant plusieurs années, Emmanuel anime des études bibliques et devient moniteur de l’Ecole du sabbat. Le fils de pasteur modèle.

Mais sa perception commence à changer pendant ses études de théologie à l’Université Adventiste d’ Haïti (UNAH). Ses longues heures de lecture biblique le poussent à se questionner sur l’existence même d’un être suprême. Sa foi jadis inébranlable, fait place au fur et à mesure au doute. En 2014, contre la volonté de ses parents, Emmanuel abandonne ses études en théologie. Boucler sa licence en Droit devient dès lors sa priorité.

Plongé dans une solitude sévère, il vit lentement un profond bouleversement. Finalement, ses questionnements et son doute se mutent en un athéisme militant. Ainsi, depuis 2013, Emmanuel vit une sorte de conversion paradoxale : « C’est  évident et certain que je réfute toutes explications surnaturelles du monde et de l’existence. Mon athéisme est donc le résultat d’un processus de recherche de vérité.»

Toutefois, Emmanuel précise que personne n’est exempt de croyance. Il se dit croyant dans la mesure où il a des convictions liées à certaines valeurs. « Ce qui m’indiffère, ce sont les croyances religieuses, qui, à mon sens, constituent une névrose ». De son point de vue, les croyants sont névrosés car leur espérance est fondée sur l’irréel. « A chaque situation malencontreuse, ils se créent une illusion pour générer de l’espoir », affirme-t-il.

Emmanuel a 25 ans et il vit à Carrefour avec ses parents de confession adventiste. Il affirme qu’il subit fortement l’incompréhension et l’hostilité de son milieu parce qu’il a rompu avec ses croyances religieuses. Les discussions familiales sont devenues de plus en plus tendues. Et la plupart de ses amis se sont distanciés de lui.

Georges Michel, historien, et constituant de la Constitution de 1987, confirme l’intolérance de la société haïtienne vis-à-vis des athées. « En garantissant la liberté de religion et de culte, Haïti garantit la liberté de conscience, laquelle implique la possibilité d’être athée. Néanmoins, si on laisse la constitution tranquille pour se référer à l’opinion publique, les athées peuvent être vus comme des suppôts de Satan », déclare le professeur Georges Michel, chrétien lui-même.

Gilles Yvonne, chrétienne, âgée de 59 ans, ressent la même peine que les parents d’Emmanuel. En effet, son fils unique se dit aussi athée. Elle confesse le choc que lui a causé la rupture de son fils avec les croyances et valeurs chrétiennes.  « Je me souviens encore – c’est comme si c’était hier – du jour où mon fils m’a révélé qu’il ne croyait plus en Dieu. Cela m’a bouleversé pendant longtemps », avoue-t-elle avec de la tristesse dans la voix. Yvonne est diaconesse dans une petite église de Fontamara 27. Elle continue de prier pour que son fils accepte l’existence d’un Créateur. « Je crois que l’athéisme prive mon fils de tout ce qu’il y a d’essentiel », déclare-t-elle en laissant apparaître sa douleur.

Pour Emmanuel, il reste possible d’être athée en Haïti. Mais il relève des difficultés spécifiques  qui ont pour origine l’intolérance vis-à-vis des non-croyants. A cause de l’intensité de la pratique religieuse en Haïti, un agnostique sera toujours incompris et marginalisé. Ainsi, selon lui l’expression de la liberté de conscience et d’opinion de l’athée est souvent bafouée en Haïti. Pour sa part, Yvonne avoue son malaise pour la simple idée d’avoir des amis athées. Donc, le fait d’avoir un fils athée lui ronge le cœur.  « Je pense qu’un athée est dépourvu de valeurs morales, et par conséquent peut se livrer à tous les actes répréhensibles», confie-t-elle en toute franchise.

Emmanuel croit au contraire que, «  face à la névrose obsessionnelle des sociétés  », l’athéisme peut être un excellent remède.  En dépit du regard critique qu’il porte sur un croyant, il se dit respectueux à l’égard de leur conviction. Yvonne, elle aussi, exprime son respect pour les athées. Toutefois, elle pense qu’ils sont dans l’erreur.

Yvonne continue de prier pour le retour de son fils au bercail. Mais les parents d’Emmanuel ne devaient peut-être pas trop espérer. Car Emmanuel est un enfant prodigue qui ne compte plus revenir. « L’indifférence ou le mépris des gens, n’arrivera pas à ébranler ma conviction », affirme Emmanuel. Il compte d’ailleurs aller jusqu’au bout de son athéisme. Contrairement à Emmanuel, professeur Georges Michel croit qu’il n’est pas prudent d’être athée militant en Haïti. L’historien,  qui est aussi croyant, invite les athées à vivre leur conviction en privé.

« Les athées ne sont pas seulement mal vus en Haïti. Ils  risquent aussi de voir leurs maisons et tous leurs biens brûlés à cause de leur opinion », prévoit Georges Michel.  Si Fils-aimé croit qu’il est quand même possible d’être athée en Haïti, il estime néanmoins que le pays restera longtemps hostile aux incroyants.

Patrick Erwin Michel

Image: Cristina García Rodero

Patrick Erwin Michel a étudié les Sciences Juridiques à la Faculté de Droit et des Sciences Economiques (FDSE) de l’Université d’Etat d’Haïti. Il finalise actuellement son mémoire de sortie sur la pauvreté et les Droits humains. Il a également étudié l’art dramatique à l’Ecole Nationale des Arts (ENARTS), ainsi que le journalisme à l’ISNAC. Son champ d’intérêt inclue le Droit, la littérature, la sociologie et les arts.

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