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Perspective | L.A.S : Le « génie absolu » de la musique haïtienne

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L.A.S présente toutes «les caractéristiques d’une œuvre géniale» et, en tant que telle, correspond «à l’absolu de ce qui s’exprime (par) ailleurs sous des modes relatifs»

Voici que le ciel musical d’Ayiti s’éclaircit depuis la sortie de L.A.S, premier Opus de ZAFEM. Un Phénomène est donc né ! En dire ici le nom, c’est pour moi une joie incommensurable. Pour cela, je me contenterai de ramasser en deux postulats fondamentaux les analyses expertes, dont je me suis instruit, ainsi que les réactions populaires dithyrambiques que je partage largement : d’une part, L.A.S présente toutes «les caractéristiques d’une œuvre géniale» et, en tant que telle, correspond «à l’absolu de ce qui s’exprime (par) ailleurs sous des modes relatifs», d’autre part.

D’aucuns parlent de l’éclectisme de L.A.S. Sans doute s’agit-il de «l’hybridité caractéristique de notre folklore». Par extension, de la «diversalité» de la culture caribéenne, pour reprendre une expression d’Edouard Glissant. Certes l’on peut trouver dans l’ensemble de l’album mille éléments rythmiques ou harmoniques qui en attestent, mais cela apparaît avec la plus grande évidence dans «Ati Sole», qui est en soi un hymne à Ayiti par les ressources folkloriques mises en valeur.

L’audace de nos deux génies est sans bornes, ils déplacent avec brio les frontières du Konpa Dirèk, cependant est-ce bien là l’originalité de leur œuvre ? L’essentiel semble être ailleurs. Sinon, la différence entre L.A.S et d’autres albums serait de degré et non de nature. Or, ce qui s’apparente, à première vue, à une «différence de degré» s’avère, au fond, une «différence de nature», étant entendu que «la différence entre le relatif et l’absolu est toujours de nature».

D’aucuns parlent de l’éclectisme de L.A.S. Sans doute s’agit-il de «l’hybridité caractéristique de notre folklore». Par extension, de la «diversalité» de la culture caribéenne, pour reprendre une expression d’Edouard Glissant.

Avant d’expliciter ce que je viens d’énoncer, je tiens à évacuer le malentendu qui est, à mes yeux, le plus grave. Je n’entends pas me focaliser sur le génie personnel de Réginald Cangé et de Déner Céide – la musique haïtienne, heureusement, ne manque pas de génies, certains sont là devant nos yeux, d’autres en témoignent par l’œuvre qu’ils nous ont léguée. C’est pourquoi certaines polémiques récentes s’avèrent tout à fait oiseuses et je m’abstiens d’en faire écho ici.

À dire vrai, avec nos deux génies, ce qui est nouveau et qui importe au plus haut point, c’est ce que «Enèji nou sanble» traduit fort bien : la rencontre de deux «Nanm ki pare», c’est toute l’aura mystique que charrie cette rencontre et que L.A.S irradie. Réginald et Déner ne forment pas un duo comme on peut en trouver dans d’autres formations musicales, mais une «union spirituelle» dans le sens entier du terme : la romance dont parle ce morceau est portée tout à la fois par le triangle magique que forment «Eros, Philia et Agapè». Ce qui en fait la porte d’entrée de L.A.S, le morceau à partir duquel il se structure. En tant que porte d’entrée, il possède cette caractéristique de montrer quelque chose d’essentiel tout en le voilant.

Ecouter, mieux, entendre L.A.S, revient à percer peu à peu ce voile. C’est alors en soi une alchimie intérieure, la seule véritable alchimie. Alors qu’on considère d’habitude le Konpa comme une musique «Kole Sere», L.A.S nous amène à ressentir à fleur d’âme sa dimension profondément sacrée. A la toucher de près. A la pénétrer et à nous laisser pénétrer par elle. Il n’y a pas un morceau de l’album qui n’ait une portée mystique et n’ouvre à quelque transcendance, à quelque mystère dès lors qu’on consent tout simplement à méditer, à s’ouvrir à son puissant courant qui emmène dans des contrées inexplorées : au Zenith autant qu’au Nadir.

À dire vrai, avec nos deux génies, ce qui est nouveau et qui importe au plus haut point, c’est ce que «Enèji nou sanble» traduit fort bien : la rencontre de deux «Nanm ki pare», c’est toute l’aura mystique que charrie cette rencontre et que L.A.S irradie.

Le temps d’une exégèse plus patiente et plus ambitieuse viendra. Qu’il me soit permis de déployer de façon brève le sens des deux postulats énoncés plus haut. D’une part, le sens commun sait reconnaître «une œuvre de génie» par son «originalité» et son «caractère exemplaire». C’est ce qui ressort de l’euphorie populaire que suscite L.A.S. En effet, dans son esthétique Kant n’a reconnu aux œuvres artistiques, pour autant qu’elles sont des œuvres géniales, que ces deux critères-là. Son coup de force est de les avoir présentés dans une formule non moins limpide que sibylline : « le génie est la disposition innée de l’esprit («ingenium») par le truchement de laquelle la nature donne à l’art ses règles. » Par « nature », il convient d’entendre, en ce qui nous concerne, la culture caribéenne, et par « esprit », l’esprit haïtien. De ce fait, toute la génialité de L.A.S est fonction de cette seule et unique vérité : c’est l’esprit haïtien tout entier qui s’y exprime sous sa forme la plus concrète, donc comme culture caribéenne diverselle : tout aussi enracinée qu’ouverte. Dynamique. Créative. Transformatrice. Donc, drapée de mille nuances, ornée de mille fragrances. Mille touches. Mille teintes. Arc-en-ciel ! Kaléidoscope ! Mosaïque !

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Au-delà des aspects immédiatement sociologiques, s’affirme ainsi quelque chose de profondément politique : le désir et la puissance du Collectif. Au demeurant, l’euphorie autour de L.A.S est bel et bien liée à la conjoncture sans être pour autant conjoncturelle : c’est la nation tout entière qui s’y renouvelle et dit qu’elle croit encore en son humanité et en son avenir. D’où, le sens du second postulat : quand une nation s’affirme ainsi, dans ces contextes de crise systémique, elle le fait toujours de manière absolue, c’est-à-dire de façon inconditionnelle et non relationnelle. L’absolu, c’est ce qui est hors de tout rapport, de toute relation et de toute condition. Or, il est de notre condition de tout ramener à l’ordre des relations, des rapports ou des conditions pour tenter de saisir quoi que ce soit. C’est pourquoi l’on ne peut s’empêcher de comparer L.A.S à tel ou tel autre album. Cependant, tout cela est vain, insensé. L.A.S n’est pas un phénomène musical, mais un Phénomène national.

Il est des moments historiques où un homme, un mouvement ou un groupe peut à lui seul incarner le Commun d’une nation. Dans notre histoire, ce fut le cas de Toussaint, celui de Charlemagne Péralte, celui de Firmin. Il est aisé d’identifier ces figures historiques hors-norme, de s’y reconnaître. Cependant, le plus souvent ce sont des hommes ordinaires qui, par leur dignité, sont les garants de la communauté. Je ne veux pas parler ici des masses ou d’un peuple innommable, mais des individualités en chair et en os qui, par les aspects les plus ordinaires de leur vie, de la vie, se montrent exceptionnels en faisant vivre le projet d’une nation. Je crois que tels anonymes existent actuellement en Ayiti et que ce sont eux les véritables gardiens de notre héritage.

Réginald Cangé et Déner Céide en font assurément partie, L.A.S est notre projet, Zafem se Zafen ! Zafem se L.A.S nou !

Jean Herold Paul

Poète-philosophe

Photo de couverture : Le duo Réginald Cangé et Déner Céide © Zafem/Facebook


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