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Perspective | Avec Daniel Foote à la tête du pays, les USA ont l’occasion de recalibrer leur politique en Haïti

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Aucun officiel en Haïti ne peut prétendre détenir plus de pouvoir que Daniel Foote en ce moment. L’envoyé spécial du président Joe Biden sur la crise haïtienne a le pouvoir de décider qui peut être président ou Premier ministre du pays. Sa présence éclipse la représentante de Bureau intégré des Nations unies en Haïti, Helen La Lime, qui s’activait comme un proconsul avant lui. Si autrefois l’ingérence se maquillait de diplomatie, actuellement, il est clair que les États-Unis tiennent ouvertement les manettes du pouvoir en Haïti.

En cause : l’effondrement total des institutions du pays notamment pendant les onze dernières années. L’histoire retiendra que les unités d’élite d’une police formatée et entretenue par les États-Unis ont perdu la face devant un groupe de voyous à Village de Dieu et cette même police n’a pas pu empêcher l’assassinat de l’homme le plus protégé du pays, le président Jovenel Moïse.

Certains diront que dès qu’il s’agit d’identifier les causes de la crise permanente en Haïti, il est aisé d’indexer l’étranger comme coupable, surtout les États-Unis. S’il faut comprendre les conséquences à partir des causes, il serait malsain de ne pas attribuer aux États-Unis sa juste rétribution dans cette débâcle. Prétendre le contraire reviendrait à ouvrir une brèche qui plairait bien aux politiques américains.

Le magazine Forbes rapporte que la guerre en Afghanistan a coûté aux États-Unis 300 millions de dollars chaque jour pendant vingt ans. 83 milliards de dollars sont dépensés pour former et équiper l’armée afghane. Cette même armée n’a pas tenu face aux assauts des talibans, après l’annonce du retrait des États-Unis. Lorsqu’il fallait justifier les raisons de la débâcle américaine, Joe Biden pointe du doigt les Afghans.

« Nous leur avons donné toutes les chances pour qu’ils façonnent leur destin, déclarait-il le 16 août 2021. Ce que nous ne pouvions pas leur donner, c’est la volonté de se battre pour ce destin ».

Ceci a un petit air de déjà entendu chez nous en Haïti.

Après le séisme de 2010, la communauté internationale avait prétendu offrir cette même chance à Haïti. Des milliards de dollars sont dépensés au nom des Haïtiens pour la reconstruction du pays sans que les résultats ne soient visibles. L’ancien président américain, Bill Clinton dirigeait la Commission intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti qui canalisait des centaines de millions de dollars d’aide et de promesses d’aide.

Après les ravages du séisme en 2010, Haïti n’était pas prêt pour organiser des élections la même année. Malgré les dizaines de milliers de morts et plus d’un million de sinistrés sous les tentes, la communauté internationale, comme d’habitude, imposa que celles-ci soient organisées. C’est ainsi que Michel Martelly fut désigné président. La USAID supporta financièrement les partisans de Martelly durant la campagne électorale. L’ambassadeur français en Haïti à l’époque, Didier Lebret, s’affichait publiquement avec le bracelet rose et blanc du pouvoir de Michel Martelly.

Michel Martelly dirigera un pouvoir qui se révèlera parmi les plus corrompus de l’histoire du pays. Plus de 64 % des fonds Petrocaribe seront dépensés durant son administration. Le parti qu’il créa, le Parti Haïtien Tèt Kale (PHTK), implémentera une politique publique où le démantèlement des institutions publiques et la gangstérisation du pays seront les priorités du régime. Avec son poulain Jovenel Moïse, l’impunité et la corruption seront renforcés. Des centaines de citoyens sont massacrés dans les quartiers populaires, des centaines de kidnappings et des cas de viols sont enregistrés.

Haïti connaitra les plus grandes manifestations populaires de son histoire à partir de 2018. Pour la première fois, les jeunes ont pris la rue massivement pour dénoncer la corruption et demander des comptes sur les dépenses des fonds Petrocaribe. Le mouvement Petrocaribe a servi de prétexte à des centaines de milliers de citoyens pour adresser les problèmes plus profonds qui caractérisent le dysfonctionnement de l’État. Un procès Petrocaribe a donc une valeur symbolique extrêmement fort.

Onze ans après, les États-Unis ont dépêché un envoyé spécial dans le contexte d’une crise sans précédent. Depuis les soulèvements du 6 et 7 juillet 2018, le pays s’est enlisé dans un cycle d’instabilité qui revêt un caractère particulier. Il s’ensuivra les manifestations du mouvement Petrocaribe, le pays lock, la loi des gangs, le kidnapping, les massacres dans les quartiers populeux.

Daniel Foote est venu collecter les débris occasionnés par un pouvoir mis en place avec l’aide des États-Unis en 2011. Depuis l’année 2017, la BRH ne trouve plus utile de publier son rapport annuel qui donne une idée de l’économie du pays. L’exercice a pourtant été régulier depuis 1998, même après le séisme en 2010.

En mai 2011, lorsque Michel Martelly devint président de la République, le Conseil national de la sécurité alimentaire rapporte que le coût du panier alimentaire était à 837,8 gourdes. En avril 2021, ce panier coûte 2112 gourdes par personne par mois. Pourtant, des centaines de millions de dollars sont siphonnés par les pouvoirs publics et les scandales de corruption ont beaucoup résonné. Après onze années, l’hôpital général n’est pas reconstruit, ni le palais présidentiel, ni le bâtiment du parlement. Les gangs se sont multipliés occasionnant des massacres, des kidnappings et des viols.

Le séisme politique occasionné par le régime PHTK est une responsabilité des démocrates. Si les bonnes élections sont la base de la stabilité politique, les États-Unis se sauraient se comporter en innocent dans la crise qui secoue Haïti actuellement.

Lorsque pour la première fois dans l’histoire du pays, des milliers de jeunes se sont mobilisés contre la corruption, les États-Unis ne s’était pas arrangé de leur côté. À cause de leur engagement, certains ont perdu leurs emplois et l’appui de leurs amis. Plusieurs Petrochallengers — parmi les principales figures — ont fui le pays à cause des menaces. L’assassinat de la militante Antoinette Duclaire a été compris comme un message à l’endroit de ceux qui dénoncent ouvertement les impostures. Aujourd’hui, l’impunité touche même le président de la République dont l’équipe qu’il a choisie est incapable de faire lumière sur son assassinat.

S’il faut écouter la voix du peuple, il faut reconnaitre qu’il y a une volonté de masse pour combattre la corruption. Mais peut-on faire le pays avec les vieilles figures ?

« Je pense que je suis — et j’insiste là-dessus —, cette personnalité politique dotée de l’expérience nécessaire pour conduire la barque à bon port », affirmait Joseph Lambert le 1er septembre.

Deux fois sénateur et président du Senat. Joseph Lambert a toujours été là lorsque la barque allait à la dérive. Il incarne cette classe politique blasée qui réduit la gouvernance à un simple partage de petits privilèges. D’un autre côté, Laurent Lamothe dont le nom en Haïti s’associe automatiquement au scandale des fonds Petrocaribe, s’active dans les médias étrangers comme une « voix acceptable » pour parler de la crise du pays.

 Ensuite, il y a une opposition politique composée en grande partie d’affairistes pour laquelle détruire les biens et troubler l’ordre public est la seule forme de militance. Le cartel politique se dispute le pouvoir pendant que chaque citoyen essaye de quitter le pays par tous les moyens.

À côté de la pandémie du Covid-19, la première année du président Biden est déjà marquée par deux grandes crises : la crise migratoire et la débâcle en Afghanistan.

Pour juguler le flux des migrants qui traversent la frontière du Mexique vers les États-Unis, l’administration Biden s’est résolue à attaquer le problème à la source. Il faut donc résoudre le problème dans les pays d’origine des migrants où ils trouvent toutes les conditions pour quitter, en quête de meilleures conditions de vie. Le président Biden délègue la vice-présidente Kamala Harris qui cible la corruption comme nœud du problème. Durant sa visite au Guatemala, Kamala Harris se prononce sur la nécessité de combattre la corruption et d’établir la justice.

« La plupart des gens ne veulent pas quitter leur pays, l’endroit où ils ont grandi, là où se pratique la langue dont ils parlent, la culture qu’ils connaissent. La plupart des gens ne veulent pas quitter là où leur grand-mère a vécu. Et lorsqu’ils partent, généralement c’est pour l’une de ces deux raisons : ils fuient une violence quelconque, ou bien s’ils restent, ils ne peuvent pas répondre aux besoins essentiels de leurs familles », déclarait Kamala Harris.

Durant les onze dernières années, des dizaines de milliers d’Haïtiens — notamment les jeunes — ont fui le pays pour aller au Brésil, au Chili. Ils sont des milliers actuellement à rejoindre la frontière du Mexique dans l’espoir d’émigrer aux États-Unis. Après le séisme, le désespoir était surtout économique. Aujourd’hui la misère s’est couplée à la violence des gangs pour pousser des dizaines de milliers de compatriotes à fuir leurs maisons et quitter le pays. Comment les États-Unis réagiront lorsque des milliers de boat people rejoindront ses côtes à cause de la violence des gangs alimentés par le pouvoir et le secteur privé des affaires ?

Recalibrer la politique des États-Unis en Haïti revient à corriger la faute commise en 2011. Le pouvoir du PHTK est un produit pur de l’administration des démocrates durant l’administration de Obama à travers Hilary Clinton qui alors était secrétaire d’État.

Plusieurs parmi ceux qui étaient dans les rues pour dénoncer la corruption ont fui le pays. Avec les actes de kidnappings et les viols qui se sont multipliés, des milliers de professionnels ont déjà quitté. Le champ est donc libre à une mafia politique et une bourgeoisie prédatrice pour dépecer ceux qui n’envisagent pas encore de partir. Quoique l’État soit à genoux, les vautours de la classe politique traditionnelle se battent sur le cadavre en putréfaction. Nombreux veulent devenir président sans exiger que lumière soit faite sur comment un président peut être assassiné dans sa chambre sans qu’aucun agent de sa sécurité ne soit égratigné.

S’il faut reconsidérer la politique des États-Unis en Haïti, il faut prendre en compte le passif des acteurs. Nombreux parmi ceux qui se positionnent en premier plan ont été acteurs de la démolition ces trente dernières années au moins.

Directeur de la Publication à AyiboPost, passionné de documentaire.

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