Dans deux enregistrements partagés avec AyiboPost par un responsable de la station, on peut entendre jouer de la musique et une voix masculine se présentant comme « Zo level » au micro encenser le chef de gang Jeff Canaan et inciter les mirebalaisiens à retourner chez eux
Après avoir incendié plusieurs stations de radio et de télévision à Port-au-Prince, des gangs prennent le contrôle de la radio Panic FM à Mirebalais, où ils diffusent, depuis près d’une semaine, de la musique et des programmes faisant l’apologie de leurs actes criminels.
Rodnel Romelus a dû fuir Mirebalais en mars 2025 avec sa famille suite aux attaques des gangs lancées en mars 2025 ayant poussé plus de 50 000 personnes à fuir leurs maisons dans le département du centre.
Contacté par AyiboPost, le jeune homme confie que les musiques et les messages des gangs, diffusés depuis la prise de la station, ne font qu’aggraver le traumatisme qu’il a vécu avec sa famille.
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« Je n’apprécie pas ces musiques. Avant, je ne les écoutais que lorsqu’elles étaient diffusées autour de moi. Mais désormais, elles me dérangent profondément lorsque je les écoute à la radio Panic FM », exprime-t-il.
Dodythe Saintilus, jeune étudiante mirebalaisienne, ayant, elle aussi, fui la violence des gangs, s’inquiète de « l’influence négative que peuvent exercer ces contenus sur les plus jeunes des milieux reculés ».
Les gangs utilisaient déjà les réseaux sociaux pour diffuser leurs vidéos et messages ainsi que pour recruter de nouveaux membres.
Mais pour Gotson Pierre, journaliste et éditeur de l’agence en ligne Alterpresse, la prise de la radio démontre « un niveau ultime de leurs attaques, au regard du fort symbolisme attaché à une telle institution ».
Dans deux enregistrements partagés avec AyiboPost par un responsable de la station, on peut entendre jouer de la musique et une voix masculine se présentant comme « Zo level » au micro encenser le chef de gang Jeff Canaan et inciter les mirebalaisiens à retourner chez eux.
Les responsables de la station créée en 2006 ont suspendu sa diffusion sur internet, mais elle continue d’émettre de façon intermittente sur la fréquence 97.5 fm depuis sa prise de contrôle le mercredi 23 avril 2025.
« C’est très préoccupant » témoigne à AyiboPost un responsable de la station qui a dû fuir la zone.
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« Nous avons contacté le CONATEL [le conseil national des télécommunications] pour nous aider à reprendre le contrôle de la fréquence. Ils nous ont promis d’agir. Mais on les attend encore », confie-t-il à AyiboPost, ajoutant que la station émet de façon intermittente en diffusant des chansons produites par des chefs de gangs depuis sa prise de contrôle par ces derniers.
Pour le responsable, la station n’a pas été ciblée en raison d’une ligne éditoriale engagée – car, selon lui, elle ne diffusait pas d’émissions à caractère politique — mais pour son « positionnement au centre-ville et la disponibilité de l’énergie facilitant la diffusion ».
Le CONATEL n’a pas répondu à une demande de commentaires d’AyiboPost avant la publication de cet article.
Panic FM diffusait ses programmes dans cinq départements du pays, notamment ceux du Grand Nord, l’Artibonite et le Centre.
« Au-delà des exactions et affrontements sur le terrain, les gangs mènent désormais une guerre de l’information », analyse à AyiboPost l’expert en communication, Yvens Rumbold.
« L’une des principales fonctions d’un média dans le contexte actuel du pays, c’est de documenter quotidiennement les attaques perpétrées par les gangs armés. Par conséquent, vouloir contrôler un média devient stratégique pour ces derniers », analyse Rumbold.
Depuis février 2024, les membres de la coalition de gangs « Viv Ansanm » ont attaqué au moins quatre stations de radio dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, assassiné deux journalistes, blessé sept autres et enlevé un autre contre rançon, selon un communiqué du Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) publié en mars 2025.
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Contacté par AyiboPost, Absolu Marc Haendel, journaliste et PDG de la Radio Télé Haendel (RTH) basée à Mirebalais dit avoir appris la vandalisation suivie de l’incendie par les gangs de sa station créée en 2023.
Pour le professionnel, la RTH a été prise pour cible, car elle dénonçait « le complot visant à livrer la ville de Mirebalais aux bandits ».
Haendel se dit préoccupé par les tournures des événements dans sa commune. L’homme qualifie de « violents » les messages et musiques entendus à la radio Panic FM depuis sa prise par les bandits armés qui tenteraient de « manipuler les gens qui l’écoutent. »
Depuis quelques années, les gangs armés font des plateformes en ligne leur territoire privilégié pour propager la peur et faire l’apologie de leurs atrocités.
Au-delà des exactions et affrontements sur le terrain, les gangs mènent désormais une guerre de l’information
–Yvens Rumbold
Des chefs de gang, comme Johnson André dit Izo, Wilson Joseph dit Lanmo san jou et Jeff Larose dit Jeff gwo lwa, cumulent des milliers de vues sur ces plateformes en ligne grâce à leurs musiques glorifiant leurs forfaits ou des vidéos tournées dans leurs fiefs.
En 2022, le compte Twitter ayant appartenu à Jimmy Cherizier dit Barbecue a été banni par la plateforme sous demande du gouvernement haïtien.
En 2023, c’est au tour du compte Youtube d’Izo, un autre chef de gang notoire, d’être supprimé après des vagues de protestation en ligne survenues peu de temps après que ce dernier a reçu une plaque de la plateforme pour avoir atteint la barre des 100 000 abonnés.
Le chef de gang utilisait son compte pour diffuser des messages violents, assortis de menaces contre la population et des gangs rivaux.
Ces suppressions n’ont toutefois pas freiné la présence des gangs sur les réseaux sociaux.
Pour Gotson Pierre, la prise de Panic FM par les gangs constitue à la fois une violation des droits à l’information, à la liberté d’expression et au droit à la presse en Haiti.
D’après une étude publiée en 2022 par l’organisation des Nations-Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), et la Faculté des sciences humaines de l’Université d’État d’Haïti (UEH), la radio constitue le moyen de communication le plus accessible aux Haïtiens.
Selon les chercheurs, ce canal de diffusion permet de surmonter les obstacles liés à l’analphabétisme, à l’isolement de certains quartiers et à l’insuffisance d’accès à l’électricité.
À côté des médias, les infrastructures publiques sont régulièrement les cibles de gangs lors de leurs exactions dans les zones.
Ces trois dernières années, leurs attaques ont poussé des dizaines d’institutions publiques et privées à se relocaliser, notamment au centre-ville de Port-au-Prince.
Pour Gotson Pierre, la prise de Panic FM par les gangs constitue à la fois une violation des droits à l’information, à la liberté d’expression et au droit à la presse en Haiti.
Une dynamique qui, pour Yvens Rumbold, traduit un « glissement de la légitimité de l’Etat vers ces groupes armés, en plus de leur présence sur le terrain de la communication ».
Pour le spécialiste, cette dynamique illustre la prise progressive du contrôle du narratif de la violence au profit des groupes armés.
« Parfois, lorsque la police annonce des opérations, plus rien ne suit. À l’inverse, les gangs annoncent leurs actions et diffusent après des vidéos pour prouver qu’ils les ont menées comme annoncé ».
Rumbold insiste sur la nécessité pour l’État de regagner la confiance de la population à travers ses prises de positions. Ce qui, pour lui, constitue un élément essentiel à la réussite de la lutte contre l’insécurité dans le pays.
Par : Wethzer Piercin
Couverture | Une photo d’un micro d’enregistrement en arrière-plan, (Source : Freepik), accompagnée d’une photo de deux mains tenant une arme. Photo : RFI; Matias Delacroix.
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