Entre prestations peu nombreuses, frustrations et dignité, les ténors de la tendance « Racine » s’expriment
« Je déteste utiliser le sobriquet “Racine” quand je parle de la musique qui existe depuis l’indépendance du pays. J’aime dire plutôt la musique haïtienne ». Les mots sont de Richard Morse, du groupe Ram. Selon le chanteur, la musique Vodou ne faillit pas contrairement à ce que prétend plus d’un. « Nous étions, nous sommes et nous serons toujours là », souligne-t-il fièrement.
C’est la même considération pour Mimerose Beaubrun surnommé Manzè du groupe Boukman Eksperyans. « Les gens aiment dire que la racine n’existe plus, mais c’est faux. Les groupes ne chôment pas. À chaque festival je croise de nouveaux groupes venant partout dans le pays », nous apprend Manzè.
La musique Vodou ne faillit pas contrairement à ce que prétend plus d’un. Richard Morse
Bien que ces ténors refusent de l’admettre, ce genre musical connaît un déclin ces jours-ci. Il a atteint le plus faible score dans une étude qu’a réalisé Ayiti Mizik entre 2016-2017. Seulement 2 % de musiciens ont déclaré qu’ils évoluent dans la tendance « racine » par rapport à ceux de la musique urbaine (Rock, Rap, Reggae, Rabòday…) qui ont atteint le meilleur score, 29 %.
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Pour expliquer ce déclin, Frédéric Pierre Louis dit Fredo du groupe Kanpèch accuse les autorités politiques. « La musique, dit-il, ne peut faire son chemin tout seul. Nous avons besoin de bons promoteurs. Nous pourrions réaliser régulièrement des festivals de Racine comme on le fait pour le Compas, mais nous n’avons pas de support. Les politiques de ce pays ne nous facilitent pas non plus la tâche. »
Jean Renald Bruno alias Ti Pay, le chanteur principal du groupe Rèv corrobore les propos de son confrère Fredo. Il dit : « Les présidents Préval et Aristide aimaient la racine. Alors que Martelly, tout le monde le sait, est un musicien du compas donc vous pouvez comprendre. »
« La musique, dit-il, ne peut faire son chemin tout seul. Nous avons besoin de bons promoteurs », Frédéric Pierre Louis dit Fredo du groupe Kanpèch
Pour l’interprète du titre « Nou tout koupab », la tendance n’est pas encadrée. « Nous sommes traités en parents pauvres. Les publicistes, les animateurs et patrons de médias et même les autorités de ce pays sont des adeptes du compas et d’autres tendances. Comment voulez-vous que l’on soit plus présent ? »
Il n’y a plus d’euphorie pour la tendance « Racine »
Comme Richard et Manzè, Tilou Jean Paul, mélomane et consommateur du genre « Racine », pense que celui-ci tient encore. « La tendance ne s’éteint pas, avoue-t-il. Elle est jouée partout. Que ce soit dans les cérémonies de vaudou, dans les écoles de danse ou dans les troupes folkloriques. Même des groupes du compas adaptent certains rythmes de la racine. Toutefois, cette tendance a perdu l’euphorie qu’elle projetait dans les années 1990. Les groupes ne connaissent plus de succès comme celui qu’a connu Boukman Eksperyans en 1990 avec le carnaval “Kè m pas sote” . »
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Tilou pense que c’est la résultante de l’image que donnaient les tenants de ce genre musical dans les années antérieures. Selon le mélomane, la racine est associée de nos jours soit à la politique, soit au vaudou comme religion. « D’où la consommation excessive de cette musique durant les périodes de troubles politiques. Quand ce n’est pas pour la crise, la racine se joue dans des occasions très particulières », renforce Tilou qui croit que la musique indépendamment de sa tendance doit servir dans toutes les circonstances.
Port-au-Prince n’est pas un bon hôte pour la Racine
Les ténors affirment que les villes de province offrent mieux que Port-au-Prince. « Tous les groupes le savent, c’est en province que l’on gagne mieux. Dans les fêtes champêtres durant les vacances, je peux jouer pour 3000 dollars américains pour une seule activité, ce qui dépasse de loin une prestation à Port-au-Prince », révèle Fredo.
C’est la même remarque pour Tipay qui d’ailleurs a mentionné que l’agenda de Rev était chargé pour les villes de province avant la période « lock ». « En septembre dernier nous avons joué à Léogâne. La crise a bousillé nos plans. »
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Pour sa part, Manzè pense que c’est un manque d’infrastructure qui provoque l’absence des groupes dans la capitale. « La ville de Port-au-Prince n’existe presque plus. À part la place d’Occyde Jeanty, l’hôtel Oloffson, Yanvalou et des clubs à Pétion Ville où voyez-vous jouer des groupes dans la capitale ? »
Par ailleurs, la chanteuse avoue que Boukman Eksperyans gagne dix fois plus à l’étranger qu’en Haïti. « Je ne peux pas demander à un promoteur en Haïti de m’offrir le même montant que m’offre le festival de Montréal, reconnaît-elle. Où voulez-vous qu’il trouve cet argent ? »
Les ténors affirment que les villes de province offrent mieux que Port-au-Prince.
Quant au groupe Ram, il joue continuellement à Port-au-Prince notamment à l’hôtel Oloffson. Mais il fait aussi beaucoup de tournées à l’étranger. « Cette année nous avons joué à New Hope Pennsylvania, Brooklyn NY, Boston Mass et Troy NY », confie Richard Morse.
Que ce soit à Port-au-Prince, en province ou à l’étranger, Tilou Jean Paul réitère que la tendance « Racine » existe toujours. « Mais elle n’est plus jouée comme “musique de salon” depuis la généralisation du Compas. Ce n’est pas le genre de musique que l’on danse en couple », conclut-t-il.
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