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Où est passé Skah Shah #1 ?

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Skah Shah est au compas ce que le tonm tonm représente pour la ville de Jérémie. Le groupe, avec sa sonorité unique, a indubitablement écrit de très belles pages dans l’histoire de la musique haïtienne surtout à la fin des années 1970 jusqu’au début des années 1980

En dépit des succès, Skah-Shah n’existe formellement plus. Au cours de ses 47 ans d’existence, le groupe n’a jamais connu une décennie sans l’éclatement de conflits entre les musiciens. Selon Jean Michel Saint-Victor (Zouzoul), un des membres fondateurs de l’institution musicale, Skah-Shah fonctionnait à l’image du pays.

Skah-Shah est d’ailleurs la résultante des sempiternelles divisions qui jalonnent l’histoire du compas.

Tout commence le 25 décembre 1965. À l’initiative de Hugues Jackaman dit Dada Jackaman, le groupe musical dénommé « Les Manfoubens » devient les « Shleu-Shleu » à cette date précise. Ce dernier est le troisième né des Mini-jazz après le Ibo Combo (1963) et les Frères Dejean (1965).

Cette aventure n’a pas fait long feu. Le départ à l’étranger de quelques musiciens du groupe a provoqué une scission qui donnera naissance à Skah-Shah.

En 1973, Yves Arsène Appolon, un des leaders de l’initiative, laisse Schleu Schleu en Haïti pour s’installer à New York. Quelque temps après, il sera rejoint par Georges Loubert Chancy, Jean Ely Telfort dit Cubano, Joseph Mario Mayala, Johnny Frantz Toussaint et Frédéric Mews pour lancer Skah-Shah.

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Dans plusieurs productions du nouveau groupe dont le premier disque intitulé « Guêpe Pangnole » sorti en 1974, il est écrit « Skah-Shah, l’ex Shleu-Shleu d’Haïti ». Dans les autres albums, le nom de Shleu-Shleu est enlevé.

Dès sa fondation, Skah-Shah s’est autoproclamé «#1» en raison de son succès fou.

Les disques sortis par le groupe à la fin des années 1970 et au début des années 1980 sont des classiques pour la plupart. Avec « Guêpe Pangnole » commercialisé en 1974, « Les dix Commandements » en 1975 ou « Message » sorti en 1978, Skah-Shah a pris le contrôle du marché musical haïtien.

Malgré le départ d’Arsène Appolon en 1980 les disques « For ever » et « This IS It » sortis respectivement en 1980 et 1981 ont aussi connu de grands succès. Des chansons comme « Guêpe Pangnole », « Les 10 Commandements », « Haïti », « Bèl Ti Machann », « Ozanana », « Nèg Guinin », « Maria » ou encore « Caroline » étaient considérées comme des hymnes.

La montée en puissance de Skah-Shah à la fin des années 1970 a intrigué l’entourage de Tabou Combo à New York. Une concurrence, largement alimentée par les fans inconditionnels et les promoteurs, a pris place entre les musiciens des deux groupes. En réalité, c’était une bataille pour le contrôle du marché musical dans la capitale commerciale du monde.

Sous l’influence de quelques amis, les musiciens de Tabou ont sorti une chanson titrée « Wrong Number » sur l’album « The Masters » en 1975 afin de tirer à boulets rouges sur Skah-Shah avec son slogan de «#1» C’est une période au cours de laquelle Cubano et les siens influençaient le marché musical à New York avec des tubes très populaires.

Selon Cubano, le chanteur emblématique de Skah-Shah, entre les deux groupes il y avait une polémique saine, car « les musiciens sont bien éduqués. »

La polémique entre Skah-Shah et Tabou Combo n’a pas fait long feu. Comme celle entre Nemours Jean Baptiste et Webert Sicot, cette polémique prendra fin avec un match de football.

Quoique Skah-Shah ait toujours été un groupe adulé par les mélomanes haïtiens, les rivalités au sein même du groupe étaient féroces.

Pour la paternité du groupe, il y avait une discorde entre le chanteur Cubano et Arsène Apollon. Le chanteur abandonnera ce duel.

Six ans après sa fondation, soit en 1980, au moment où le groupe avait le vent en poupe, Yves Arsène Appolon, le batteur et figure de proue du jazz quitte ses frères musiciens pour aller former « Skah-Shah # 1 plus ».

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Au début des années 1990, Georges Loubert Chancy, Johny Frantz Toussaint et Zouzoul, trois membres fondateurs de Skah Shah ont laissé en bloc pour aller fonder le groupe « Bazouka » qui est aujourd’hui jeté aux oubliettes. Ils ont formé « Bazouka » en vue de ne plus collaborer avec Cubano. C’était un Skah-Shah sur une autre forme qui a sorti deux albums : « Plezi Gaye » en 1993 et « Soleil » en 1995.

Aujourd’hui, Skah Shah est techniquement mort. Même si Cubano donne des performances au nom du groupe certaines fois avec de jeunes musiciens sans grandes expériences.

Certains musiciens estiment que le vrai problème du groupe reste le comportement de Cubano. Pour le chanteur lui-même, d’après diverses entrevues dont l’une accordée à Ralph Condé, Skah Shah ne peut pas renaître de ses cendres parce que tous les musiciens de la bande conservent l’ambition de former leur propre groupe musical. « L’ignorance empêche les musiciens de Skah-Shah de donner un bon exemple, précise-t-il. Moi, je suis pour un retour du groupe et j’ai tenté l’impossible pour ce retour. »

À noter que plusieurs plaques ou projets solos sont réalisés par les musiciens de Skah-Shah en parallèle.

Rejoint au téléphone par AyiboPost, Zouzoul, chanteur et membre influent du groupe Skah-Shah, indexe les musiciens comme la racine des problèmes. « Nous sommes tous responsables de la situation de Skah-Shah », a-t-il martelé.

Zouzoul rapporte que l’indiscipline, les femmes et l’argent étaient toujours au cœur des conflits. « À plusieurs reprises, Skah-Shah a perdu presque 100 000 dollars dans des bals à cause de l’indiscipline des musiciens en particulier Cubano. »

Ayibopost a tenté en vain d’entrer en contact avec d’autres musiciens influents du groupe dont Cubano et Georges Loubert Chancy.

L’instabilité et les éclatements font corps avec l’histoire du compas. Les groupes épargnés peuvent se compter sur les doigts de la main. Malgré ceci, certaines institutions musicales arrivent à passer le test du temps. C’est le cas de Tabou Combo, Tropicana et Septentrional.

Nazaire JOINVILLE est doté d'un baccalauréat (licence) en communication sociale à l'Université d'État d'Haïti. Il est actuellement étudiant à la maîtrise en Cultures et espaces francophones (option linguistique) à l'université Sainte-Anne au Canada. Il est aussi adjoint à la recherche à l'Observatoire Nord/Sud qui constitue le foyer principal des activités de la Chaire de Recherche du Canada en Études Acadiennes et Transnationales (CRÉAcT). Les recherches de Nazaire portent sur la musique haïtienne en particulier le Konpa, le contact des langues et la francophonie. Il est le responsable et créateur de la rubrique "Le Carrefour des Francophones" dans le Courrier de la Nouvelle-Écosse, un journal français au Canada.

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