Les mesures de l’international dont celles des Nations-Unies le 21 octobre 2022 sur la crise devenue endémique en Haïti n’adressent en rien les réelles sources de l’insécurité, critiquent trois militants politiques et experts en sécurité
C’est un mois d’octobre chargé en annonces. Les États-Unis disent couper des visas. Les Nations-Unies sortent une résolution pour sanctionner le leader de la coalition de gang G9, Jimmy Cherizier, et prochainement d’autres chefs de gangs et leurs supporteurs.
Trois militants politiques et experts en sécurité interviewés par AyiboPost restent perplexes : ces mesures n’adressent en rien les réelles sources de l’insécurité. Et de ce fait, ils ne résoudront pas grand-chose.
« Ces mesures ne peuvent en rien réduire les pouvoirs politiques et financiers des gens qui alimentent les gangs en Haïti », analyse Djems Olivier, docteur en géographie et expert en sécurité.
« Un chef de gang ne peut pas être sanctionné puisqu’il se sanctionne lui-même en limitant ses déplacements et il n’utilise presque pas les services des institutions formels », rajoute Djems Olivier, faisant référence à une résolution punitive prise par les Nations-Unies le 21 octobre 2022. Cette décision met en place un comité d’expert qui aura à dresser une liste de personnes à punir en leur imposant une interdiction de départ et de faire l’acquisition d’équipements létaux.
Ces mesures n’adressent en rien les réelles sources de l’insécurité.
Sans le renforcement des institutions du pays, notamment la justice et son système pénitencier, même l’arrestation des bandits constitue une vaine entreprise.
« On a déjà eu par le passé de puissants chefs de gangs arrêtés, mais qui contrôlent leur bande armée depuis leur cellule », souligne Djems Olivier. Ce fut notamment le cas pour l’ancien chef du groupe 400 Mawozo, Germine Joly alias Yonyon aujourd’hui en prison aux États-Unis, et le défunt Arnel Joseph, ancien numéro un d’un gang armé à Village de Dieu.
Les récents assauts des gangs ont occasionné près de 100 000 déplacements à Port-au-Prince, rapporte l’Organisation internationale de la Migration (OIM). 4,7 millions de personnes, près de la moitié du pays, cherchent à manger, désespérément.
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Haïti reste un des pays les plus inégalitaires de l’hémisphère. Selon la Banque Mondiale, les 20 % les plus riches de la population détiennent plus de 64 % de la richesse totale du pays, tandis que les 20 % les plus pauvres en possèdent moins de 1 %.
Une bonne partie de cette richesse se construit sur la corruption, le non-paiement des taxes douanières et la criminalité. La misère engendrée par l’inégalité pousse certains jeunes, récupérés parfois par de puissants acteurs économiques et politiques, vers la criminalité. Ce qui boucle le cercle de la violence cyclique.
Selon le docteur et militant politique Jean Enold Buteau, seule l’organisation d’une assise de la sécurité en Haïti pourrait poser les éléments clés de la crise d’insécurité en Haïti.
Haïti reste un des pays les plus inégalitaires de l’hémisphère.
« Tous les secteurs doivent se réunir et réfléchir sur ce phénomène en apportant des réponses à des questions de bases pour savoir la quantité de territoire obtenu par les gangs, les types d’armes et de matériels qu’ils détiennent, où ils épargnent l’argent obtenu à partir de leurs exactions, qui sont leurs familles et où résident-ils, entre autres », rajoute Jean Enold Buteau.
Au début du mois d’octobre, le gouvernement a formulé une demande d’aide militaire de la part de la communauté internationale. Les États-Unis et le Mexique supportent auprès des Nations-Unis une résolution qui introduirait une intervention sponsorisée par l’organisation, mais non dirigée par elle.
Cette décision laisse certains citoyens perplexes. Le porte-parole du parti Alternative socialiste (ASO) insiste pour l’institution d’une assise sur l’insécurité. « Les éléments collectés permettraient de définir une stratégie avec tous les acteurs de la vie nationale pour une lutte efficace contre le banditisme », conclut-il.
Cette décision laisse certains citoyens perplexes.
« Qui jouit d’assez de légitimité pour mener les barques des négociations ? » demeure une question pendante. Le premier ministre en fonction, choisi par l’ancien président assasiné Jovenel Moïse, mais installé en poste grâce au support du Core group mené par les États-Unis, fait face à des manifestations récurrentes. Il lui est reproché sa volonté à rester au pouvoir et son incapacité à faire des avancées contre les phénomènes de l’insécurité et la précarité.
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Cet aspect de la question ne semble pas figurer en tête de la liste des partenaires d’Haïti. Le sociologue et professeur d’université Illionor Louis dit avoir pris le soin de suivre l’assemblée des Nations-Unies sur Haïti. Il déclare sa stupéfaction face à la non-centralisation des débats autour des protestations en Haïti contre la cherté de la vie et la montée des prix du carburant. Aucune intervention des membres de l’ONU, remarque-t-il, n’a souligné les quatre semaines de revendication de la population contre les dirigeants actuels.
« Est-ce que les Nations-Unies savent réellement ce qui se passe en Haïti ou est-ce qu’elles préfèrent l’ignorer pour tourner toute une population en dérision en supportant leur allié au pouvoir », se demande le professeur.
Dans la foulée, les États-Unis d’Amérique font pression pour qu’une force internationale de stabilisation soit prête pour une intervention en Haïti. Des négociations sont en cours, notamment avec le Canada, pour déterminer qui prendra part à cette initiative. Le Canada a récemment envoyé une délégation pour évaluer la situation sur place.
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Le succès n’est pas garanti. Djems Olivier croit que dans les premiers moments, cette force aura une nature dissuasive capable de faire peur aux gens armés. « La plupart des hommes lourdement armés peuvent se replier ou rentrer dans leur coquille. Mais je ne pense pas qu’il y aura une amélioration certaine puisque c’était la même chose en marge de l’intervention avec la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTAH) », croit-il.
Des experts notent une amélioration des conditions sécuritaires dans le pays après la venue des soldats de la mission, mais la situation s’est détériorée pour s’empirer progressivement ces dix dernières années. Ce qui semble indiquer que les causes profondes de l’insécurité n’ont pas été adressées.
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« Il n’y a jamais eu un réel désarmement et l’industrie qui transforme de simples gens paisibles en bandits dans le pays n’a jamais été dissoute ni attaquée, observe Olivier Djems. C’est pourquoi on compte autant de gangs après le départ de la MINUSTAH ».
Photo de couverture : Le premier ministre canadien Justin Trudeau préside une réunion sur la sécurité d’Haïti aux Nations Unies. À sa gauche, le ministre des Affaires étrangères et des Cultes haïtien Jean Victor Généus. | © LeDevoir
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