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Opinion | Le syndrome du moment présent des dirigeants haïtiens

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Ce schéma, que j’appelle le «syndrome du moment présent», se caractérise par une dangereuse myopie parmi les dirigeants haïtiens, une conviction, semble-t-il, que leur mandat au pouvoir est sans fin

Au milieu de l’escalade de la crise en Haïti, un comportement aussi destructeur que répétitif est apparu parmi ses dirigeants. Ce schéma, que j’appelle le « syndrome du moment présent », se caractérise par une dangereuse myopie parmi les dirigeants haïtiens, une conviction, semble-t-il, que leur mandat au pouvoir est sans fin. Ce faux sentiment de permanence, non seulement les rend aveugles à la nature temporelle de leurs positions, les déconnecte également des terribles réalités auxquelles est confrontée la population haïtienne.

La situation actuelle en Haïti est une illustration frappante de ce syndrome en action. Avec plus de 8 400 victimes de la violence des gangs au cours de la seule année dernière, notamment des meurtres, des enlèvements et des violences sexuelles généralisées, les dirigeants du pays semblent non seulement déconnectés, mais sourds aux appels de leur peuple. Les manifestations contre le Premier ministre Ariel Henry, avec des citoyens dénonçant l’incapacité du gouvernement à lutter contre l’insécurité, la pauvreté et le déclin des infrastructures, soulignent encore davantage cette déconnexion.

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Cette déconnexion n’est pas un simple oubli ; c’est une ignorance volontaire. Les dirigeants, enfermés dans les pièges du pouvoir, ne parviennent souvent pas à considérer leur mandat sous l’angle du service et de l’intendance. Au lieu de cela, ils considèrent leurs positions comme des droits, conduisant à une gouvernance qui donne la priorité à l’autopréservation plutôt qu’au service public. Ce syndrome n’est pas unique à Haïti, mais est particulièrement flagrant compte tenu des souffrances et de l’instabilité prolongées du pays.

Ce faux sentiment de permanence, non seulement les rend aveugles à la nature temporelle de leurs positions, les déconnecte également des terribles réalités auxquelles est confrontée la population haïtienne.

De plus, les interventions internationales en Haïti ont souvent exacerbé plutôt qu’atténué ce syndrome. En soutenant des régimes qui manquent de légitimité aux yeux du peuple haïtien, la communauté internationale alimente par inadvertance l’illusion de permanence parmi les dirigeants haïtiens. Ce soutien, souvent apporté au nom de la stabilité, a pour effet pervers de consolider des dirigeants déconnectés de leur population, renforçant ainsi le syndrome du moment présent.

De telles interventions, bien que bien intentionnées, donnent souvent la priorité à une stabilité superficielle plutôt qu’à une gouvernance démocratique significative, négligeant ainsi les problèmes sous-jacents qui perpétuent les cycles de violence et de pauvreté. Non seulement cette approche n’a pas réussi à produire une paix ou un développement durable, mais elle a également contribué à la désillusion et à la frustration du peuple haïtien, qui considère les acteurs internationaux comme complices de ses souffrances.

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Il est important de noter que le syndrome du moment présent et la superficialité des interventions internationales partagent un défaut commun : un manque de prise en compte de la réalité de l’expérience haïtienne. Pour aller de l’avant, les dirigeants haïtiens et la communauté internationale doivent adopter une perspective à long terme qui donne la priorité au bien-être et aux aspirations du peuple haïtien plutôt qu’aux gains politiques à court terme ou à l’illusion de stabilité.

En soutenant des régimes qui manquent de légitimité aux yeux du peuple haïtien, la communauté internationale alimente par inadvertance l’illusion de permanence parmi les dirigeants haïtiens.

En examinant d’autres nations confrontées à des défis similaires, il devient clair qu’une approche différente est possible. Des pays comme le Rwanda ont montré comment, avec un engagement ferme envers la réconciliation nationale et la reconstruction post-conflit, un pays peut se redresser de manière significative.

Le Rwanda a adopté des réformes politiques et économiques audacieuses qui ont transformé le pays et amélioré la vie de ses citoyens. Haïti pourrait s’inspirer de telles réussites en adoptant une stratégie de reconstruction axée sur l’inclusion, la justice et le développement durable.

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La voie à suivre nécessite un effort concerté pour briser ce cycle. Les dirigeants haïtiens doivent prendre conscience de la temporalité de leurs positions et des responsabilités solennelles qu’elles impliquent. Les acteurs internationaux, pour leur part, doivent réévaluer leur approche à l’égard d’Haïti, en veillant à ce que leurs interventions ne soutiennent pas des régimes illégitimes, mais soutiennent plutôt de véritables efforts en faveur de la démocratie, de la stabilité et de la prospérité, enracinés dans les besoins et les désirs du peuple haïtien.

C’est avec un esprit d’optimisme pragmatique que nous devons envisager l’avenir d’Haïti. En reconnaissant les défis, mais aussi en célébrant les possibilités. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’Haïti pourra commencer à guérir des blessures du passé et se diriger vers un avenir dont sa population a désespérément besoin et mérite amplement.

Par Stéphane Vincent

Doctorant en éducation, Vincent est un ancien fonctionnaire de l’État et un citoyen engagé politiquement. 

Image de couverture : Le Premier ministre de facto, Ariel Henry, s’est adressé à la nation dans la nuit du 7 au 8 février 2024, alors que des manifestations nationales réclamaient son départ du pouvoir. | © Primature


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