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Opinion : Éloge du créole haïtien : les cinq choses que j’ai apprises

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Le créole ne se contente pas de transmettre des mots ; il exprime aussi des émotions, des images et des façons de comprendre le monde, qui, pour ceux d’entre nous dont la langue maternelle est une langue coloniale, sont une véritable révélation

En tant que personne ayant appris le créole comme deuxième langue, j’ai découvert qu’il va bien au-delà de la simple communication ; c’est une fenêtre ouverte sur l’âme d’Haïti et sur sa vie quotidienne.

Le créole ne se contente pas de transmettre des mots ; il exprime aussi des émotions, des images et des façons de comprendre le monde, qui, pour ceux d’entre nous dont la langue maternelle est une langue coloniale, sont une véritable révélation.

Il y a deux ans, sur cette même plateforme, j’ai publié : « manuel d’adaptation au blanc ». J’ai partagé et conseillé : « Apprends la langue des non-blanc.hes : kreyòl pale, kreyòl konprann ».

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Cet appel met en lumière l’importance d’apprendre le créole non seulement pour communiquer, mais aussi pour véritablement s’adapter à la vie en Haïti, en comprenant les dynamiques sociales et culturelles qui ne peuvent pas toujours être exprimées dans une autre langue.

À travers mon parcours d’apprentissage du créole haïtien comme deuxième langue, j’ai découvert des leçons précieuses qui ont profondément enrichi ma perspective et mon expérience :

1. Unir et non diviser, ce qui m’a permis de tisser des liens authentiques avec les autres ;

2. Une communication plus directe et sincère, qui ouvre la porte à des échanges plus significatifs ;

3. Contempler et apprécier le plaisir de parler, redécouvrant la joie de l’expression ;

4. Une nouvelle perspective du temps, me connectant à une manière d’être dans l’instant ;

5. Une reconnexion avec les langues maternelles du Mexique, rendant hommage à mes racines.

Ces leçons ont non seulement enrichi mon voyage linguistique, mais elles ont aussi façonné ma compréhension et mon engagement envers la culture haïtienne.

1. Unir et non diviser

L’une des premières différences que j’ai remarquées en apprenant le créole concerne les pronoms personnels.

En espagnol, on a « il », « elle », une catégorisation constante qui semble restreindre les personnes et leurs actions.

En revanche, le créole, avec son pronom-li-, offre une flexibilité qui transcende le genre.

Cette fonctionnalité ne simplifie pas seulement la communication, elle permet aussi de se concentrer sur les faits plutôt que sur l’identité de celui ou celle qui agit.

Cet aspect est particulièrement intéressant d’un point de vue politique, surtout à un moment où, en Amérique latine, les débats sur le langage inclusif sont en plein essor.

Alors que ces discussions divisent encore en espagnol, le créole propose déjà, sans effort, un pont pour transcender la fameuse catégorie sexe-genre.

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2. Une communication plus directe et sincère

Le créole est une langue qui permet une expression claire, directe et profondément visuelle. Bien que le créole haïtien soit une langue d’images, qui peut se fondre dans différents contextes, l’utilisation de ces images permet d’atteindre directement et sincèrement le sentiment ou l’émotion.

Contrairement à d’autres langues qui privilégient une structure grammaticale complexe, le créole a cette capacité unique de condenser et simplifier sans pour autant perdre l’impact émotionnel du message.

Cette efficacité se remarque bien lors de la traduction entre langues.

Prenons par exemple une page écrite en espagnol. Si on la traduit en français, le texte peut s’étendre à deux pages en raison de sa grammaire et orthographe plus détaillées.

Pourtant, lorsque ce même texte est traduit en créole, le contenu se réduit de façon considérable.

En somme, le créole montre que l’authenticité et la connexion humaine ne nécessitent pas des mots compliqués, mais des images puissantes et bien choisies qui parlent d’elles-mêmes.

3. Contempler et apprécier le plaisir de parler

Une des expériences les plus profondes que j’ai vécues avec le créole est la capacité de contempler et de savourer les mots eux-mêmes. L’expression lapli ap tonbe (la pluie tombe) me touche toujours autant. En créole, la pluie se présente comme un être doté d’intention, une entité qui agit. Cette image rend l’expérience de la pluie presque spirituelle, comme si nous étions en conversation avec la nature.

En espagnol, nous disons simplement « Esta lloviendo llueve (« il pleut) », mais en créole, lapli prend un rôle spécial. C’est comme si la langue nous rappelait que le monde est vivant, et que nous pouvons nous y connecter d’une manière plus profonde et plus poétique.

4. Une nouvelle perspective du temps

Le temps en créole est perçu d’une manière cyclique, non linéaire. Dans les langues coloniales comme l’espagnol, le temps est « domestiqué », toujours soumis aux horloges et aux expressions telles que « perdre du temps » ou « le temps file ».

En revanche, en créole haïtien, le temps semble couler de façon plus riche et profonde.

L’usage de marqueurs de temps comme -te-, -ap-, -pral-, et -ta- nous permet de penser le temps de manière plus flexible, et brisent la rigidité imposée par les langues coloniales. Cette perception cyclique du temps, présente dans de nombreuses cultures non occidentales, m’a permis de revaloriser ma manière d’organiser mes journées et de comprendre les rythmes de la vie.

5. Une reconnexion avec les langues maternelles du Mexique

Le Mexique est un pays qui compte plus de 68 langues autochtones, avec environ sept millions de locuteurs.

Tout comme le créole, beaucoup de ces langues ont une relation unique avec le temps et la réalité. Dans la langue otomi, par exemple, ce qui compte n’est pas de savoir si un événement est passé, en cours ou à venir, mais d’autres aspects qui remettent en question la vision temporelle des langues coloniales.

Bien que le Mexique compte de nombreuses langues, c’est à travers le créole haïtien que j’ai commencé à comprendre ce que signifie réellement positionner une langue comme un outil de lutte culturelle et identitaire.

L’apprentissage du créole a éveillé en moi un profond intérêt pour ces langues. À travers ce processus, j’ai commencé à voir un autre Mexique, un Mexique qu’il est impossible de décrire ou d’admirer pleinement à travers la cosmovision imposée par l’espagnol.

Parler créole m’a non seulement permis de me connecter à Haïti, mais aussi de me reconnecter à mon propre pays d’une manière plus authentique.

Apprendre le créole a été bien plus qu’une simple maîtrise linguistique ; cela a ouvert la voie à de nouvelles perspectives sur le monde, la culture, le temps et la nature. Cette langue, profondément ancrée dans la résistance et l’identité haïtienne, m’a révélé que les idiomes ne sont pas que des outils de communication, mais des véhicules de pensée, d’identité et de lutte.

Mon parcours avec le créole m’a également conduit à réfléchir sur les langues autochtones du Mexique, à en saisir l’importance et à prendre conscience des ravages de la colonisation.

Dans un monde où les langues dominantes imposent leur vision, apprendre une telle langue nous invite à découvrir d’autres manières d’être.

Pour finir, les idiomes ne racontent pas seulement des histoires ; ils créent des réalités.

Par Claudia Alavez

Sociologue mexicaine

Image de couverture | Des élèves d’une école primaire d’Haïti plongés dans la joie de lire ensemble dans leur classe. © Peleg Charles

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