Le nombre de stagiaires, qui s’élevait à 450 au début du processus, s’est accru suite aux demandes d’autres facultés de rejoindre le programme, rapporte un cadre du MENFP
Dans l’enceinte de l’École Normale supérieure (ENS), l’atmosphère est lourde ce lundi 15 mai 2023. Trois mots reviennent constamment dans les conversations des normaliens : «stage», «lettre» et «termes de contrat».
Assis sur une plinthe en pierre, Louis Anncytho est bouleversé. Dans sa lettre d’affectation, il découvre qu’il est mentionné un stage de quatre mois au lieu des six qui avaient été convenus dans le contrat qu’il avait signé le 10 février 2023. «C’est un total irrespect», s’indigne Anncytho, étudiant finissant en physique.
Deux jours plus tôt, une kyrielle d’étudiants provenant de quatre facultés de l’Université d’État d’Haïti (UEH) ainsi que de trois autres écoles placées sous l’autorité de l’État, qui avaient signé un contrat de stage de six mois avec le ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle (MENFP), ont été consternés de constater que leurs lettres d’affectation ne correspondent pas aux termes du contrat de stage qu’ils avaient signé en février 2023.
Trois mots reviennent constamment dans les conversations des normaliens : «stage», «lettre» et «termes de contrat».
«Au lieu de deux chaires et d’une allocation mensuelle de 46 200 gourdes, nous n’avons reçu qu’une seule chaire avec une allocation de 23 000 gourdes», déplore Belair Dorcina, étudiant en économie en dernière année à la Faculté de droit et des Sciences économiques (FDSE) de l’UEH.
Contacté par AyiboPost, Miguel Fleurijean, directeur du bureau de l’enseignement secondaire (DES), tente de calmer les ardeurs.
«Les contrats de stage ne peuvent dépasser trois mois, et les stagiaires ne devraient pas recevoir une rémunération supérieure à celle des encadreurs et des professeurs qui ont déjà passé par le processus de nomination», déclare Fleurijean, citant une autorité supérieure.
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Selon le responsable, le nombre de stagiaires qui s’élevait à 450 au début du processus s’est accru suite aux demandes de la Faculté de Linguistique appliquée (FLA) et la FDSE de rejoindre le programme.
Ainsi, le nombre total de stagiaires a grimpé jusqu’à atteindre 849. «Notre budget aurait été dépassé par les termes du contrat qui prévoyait deux chaires et une rémunération de 46 200 gourdes pour les étudiants en stage», ponctue Fleurijean, mettant en avant la nécessité urgente de faire appel à d’autres facultés, telles que l’École nationale des arts (ENARTS), l’École nationale de Géologie appliquée (ENGA), et la FDSE, parmi d’autres, pour combler le déficit de l’ENS, dont les sept filières ne parviennent plus à couvrir les besoins en enseignants du nouveau secondaire qui comprend quatorze matières.
Au lieu de deux chaires et d’une allocation mensuelle de 46 200 gourdes, nous n’avons reçu qu’une seule chaire avec une allocation de 23 000 gourdes.
Le protocole d’accord signé le 2 mai 2013, dans la foulée du tremblement de terre du 12 janvier 2010, entre le MENFP et l’ENS semble s’éloigner de la lecture de Fleurijean. L’article neuf stipule qu’après la période probatoire des stages qui s’étend sur « une année », les étudiants de l’ENS feront l’objet d’une nomination dans le système éducatif haïtien.
Dans le sillage de cet accord, l’État haïtien s’engage à verser 46 200 gourdes aux stagiaires à raison de deux chaires par matière. Le professeur stagiaire aurait, quant à lui, à travailler douze heures par semaine pour une période de six mois.
Cependant, les récentes correspondances entre le MENFP et les stagiaires met du sable dans le déroulé du processus. «Il n’y a qu’une seule chaire mentionnée dans la lettre, le nombre d’heures de cours et notre allocation mensuelle ont respectivement été réduits à six heures et 23 000 gourdes», déplore Fritz-Eriol Mitial, qui exige le strict respect du contrat de stage et leur nomination dans le système éducatif en Haïti.
Les récentes correspondances entre le MENFP et les stagiaires met du sable dans le déroulé du processus.
Cette décision du ministère vient dans la une d’une actualité dont les grandes pages s’ouvrent sur le programme «Humanitarian parole» du gouvernement de Joe Biden. Des professeurs et grosses pointures de l’administration publique haïtienne, fatigués par les remous de l’insécurité et la précarité, délaissent les salles de classes pour rejoindre l’Eldorado américain. En avril 2023, 18 000 Haïtiens, parmi lesquels des médecins et des professeurs, ont déjà quitté le pays dans le cadre de ce programme, selon le décompte des autorités américaines.
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Des étudiants de l’ENS ont foulé le bitume, pancarte et banderole aux motifs de protestation en main, pour signifier leur désaccord aux responsables de la machine éducative le 12 mai 2023, devant les bâtiments du MENFP à Nazon. Des pneus enflammés ont jonché le boulevard, ce qui a débouché sur une escarmouche entre les étudiants et les agents préposés à la sécurité du bâtiment.
Des professeurs et grosses pointures de l’administration publique haïtienne, fatigués par les remous de l’insécurité et la précarité, délaissent les salles de classe pour rejoindre l’Eldorado américain.
«Plusieurs étudiants ont été sévèrement battus. Certains ont reçu des coups de chaises, de barres de fer et des coups de poing », déplore David Guerrier, un étudiant finissant en Géographie, qui souligne à AyiboPost que plusieurs de ses comparses, en piteux état et le corps maculé de sang, ont été emmenés d’urgence à l’hôpital. «Je suis passé à côté d’une mort certaine, n’était-ce pas une employée qui s’apprêtait à sortir que j’ai embrassée instinctivement pour en faire un bouclier humain», souligne Guerrier.
Ruth D., étudiante en Sciences sociales à l’ENS (promotion 2017-2021) a subi de plein fouet les assauts de violence des agents de sécurité du ministère. Elle affirme que l’un d’eux a failli la frapper avec une barre de fer. «J’ai appelé à la rescousse, et un employé s’est entreposé entre moi et l’agent de sécurité en furie», souligne Ruth D. «Coupé court dans ses élans, il a ouvert le portail et m’a poussé avec fracas hors de l’espace. J’ai atterri brutalement sur le sol avec une sensation de foulure et des sandales complètement abimées», ponctue Ruth qui s’insurge contre les écarts de comportement des agents face à une demande légitime des étudiants.
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Certains étudiants participant aux protestations ont crié au détournement de fonds. «Il y a là un sérieux manque de culture administrative», analyse Miguel Fleurijean. «Les contrats n’ont pas encore été envoyés à la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux administratif (CSC/CA) ni au ministère des Finances.»
Certains étudiants participant aux protestations ont crié au détournement de fonds.
Pour le directeur, en dehors du nombre d’étudiants, un autre inconvénient explique la situation de non-respect des termes de la convention. «Le contrat était signé en février 2023, dit Fleurijean. Nous n’avons pas pu commencer les stages dans les temps convenus à cause de la conjoncture politique. Maintenant nous sommes en avril. La CSC/CA n’aurait pas agréé un contrat qui date de février », souligne Fleurijean qui regrette que les étudiants stagiaires ne soient pas tout ouïe pour ces genres de considérations administratives.
Les luttes sur fond de profonds désaccords entre étudiants et dirigeants jalonnent l’histoire de l’UEH. En 2016, dix-neuf étudiants de l’ENS, en guise de réaction au surplace du processus de leur nomination pour des causes budgétaires, se sont adonnés à un mouvement de fronde. Des matériels ont été sabotés et des parebrises de plusieurs voitures mises en lambeaux dans l’enceinte de la faculté. En réaction, le comité de discipline de l’ENS les a expulsés de l’établissement dans une note rendue publique le 27 octobre 2016.
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Dans la même veine, sous la période d’Agénor Cadet comme ministre titulaire du MENFP, des épisodes de luttes et de protestation pour exiger la nomination des étudiants de la promotion 2013-2017 de l’ENS ont eu lieu. Ces luttes ont débouché sur l’assassinat de Grégory Saint-Hilaire sous les obus d’un agent de police de l’Unité de Sécurité générale du Palais national (USGPN) le vendredi 2 octobre 2020.
Par Junior Legrand
Image de couverture : Des étudiants de l’ENS érigent une barricade devant le bâtiment de l’institution à Canapé-Vert et s’installent dans la rue, perturbant ainsi la circulation pour faire entendre leurs revendications. | © Jean Feguens Regala/AyiboPost
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