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 Mère ou femme, devrait-on choisir ?

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Quelle est la personne qui t’inspire le plus ? Ma réponse à cette question n’a pas changé depuis la première fois qu’elle m’a été posée. Beaucoup de personnages publics et citoyens ordinaires m’inspirent, mais comme pour la majorité de mes amis haïtiens, seul un être divin, tout-puissant pourrait se comparer au rôle que ma mère occupe dans ma vie et m’inspirer plus qu’elle. Toutefois, je sens toujours un malaise par rapport au fait que nos mères, les femmes haïtiennes sont fêtées comme martyrs qui se sacrifient pour le bonheur et la reconnaissance de leurs enfants. Ce sacrifice est-il justifié ? Doit-on pérenniser ce culte de la mère résiliente, fatiguée, délaissée, mais paradoxalement aimée ?

Pourquoi aimes-tu ta maman ? Les réponses se ressemblent et si on les analyse on verra que les mères sont aimées, car elles remplacent les pères, les médecins et sont un peu le souffre-douleur d’une société en décrépitude. Je ne pense pas qu’une mère devrait se contenter de prendre et publier de jolies photos avec son enfant, mais elle ne devrait pas non plus avoir à être un médecin, une banque, une institutrice, et un père pour ce dernier. À partir de 15 ans, un jeune issu d’une famille modeste devait pouvoir trouver un job pour alléger les charges de ses parents et bénéficier d’assistance sociale. Il n’y a pas lieu d’avoir autant d’adultes de plus de 25 ans vivant chez leurs mères et dépendant financièrement d’elle. Les mères sont les premières victimes de la précarité des conditions de vie et l’on ne devrait pas célébrer cette façon d’exister.

Pourquoi est-ce qu’une mère doit arrêter d’être une femme ? Vous souvenez-vous de tous ces rêves qu’on avait sur les bancs de l’école et qui n’avaient rien à voir avec nos maris et enfants ? Ils meurent peu à peu quand on devient une mère. On a plus le temps d’apprendre à jouer à la guitare par exemple, car malheureusement, devenir mère, c’est avant tout prendre sur soi une responsabilité qui aurait dû être partagée. Les mères absentéistes sont considérées comme des monstres tandis que la société haïtienne refuse déjà de mettre en place des structures légales pour forcer les pères à prendre leurs responsabilités envers leurs enfants. Un père absentéiste est un père occupé que l’on tolère. Je n’aime pas l’accord tacite entre hommes et femmes de mon pays sur le fait qu’être mère veut dire ne plus vivre pour soi, ne plus aspirer à recevoir, mais continuellement donner.

J’avoue que c’est extraordinaire de pouvoir aimer aussi fort. Mais il est souhaitable qu’elles arrêtent d’aimer autant pour se faire aimer en retour. Nous manifesterons notre amour pour nos mères quand elles n’auront plus à choisir entre notre bonheur ou le leur, car elles auront suffisamment de ressources pour prendre soin d’elles-mêmes et de leurs enfants. On pourra alors célébrer la mère qui réussit sa vie et inspire ses enfants loin de l’image de celle qui se tue pour y arriver, leurs petites entreprises pourront s’agrandir et elles pourront bâtir de véritables institutions. Elles pourront contrôler leur capacité de procréer et devenir mères par choix et non par accident et être mère aura ainsi repris son sens en Haïti.

Emmanuela Douyon est une spécialiste en politique et projets de développement. Elle a étudié à Paris-1 Sorbonne en France et à l’université National Tsing Hua de Taïwan. Emmanuela a travaillé dans plusieurs secteurs en Haïti. Elle est fondatrice du thinktank Policité et offre des consultations stratégiques en gestion et évaluation de projets. Outre ses activités professionnelles, Emmanuela est une activiste luttant contre les inégalités et la corruption. Elle intervient souvent dans les médias pour commenter l’actualité et analyser des questions économiques.

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