« Moun fou bay chans » est une croyance répandue, qui engendre des viols à répétition sur les malades mentaux en Haïti. Elle aurait permis à des présidents de gagner des campagnes électorales, croit un jeune homme
À longueur de journée, Sophonie Sanon, une jeune femme dans la trentaine, déambule dans les rues poussiéreuses de la ville de Jérémie. Mère de quatre enfants, la dame s’en va parfois nue, exposant son corps frêle à la vue, et aux caméras des passants.
« Les gens racontent que coucher avec elle procure de la chance », déclare Mimose Louis, une voisine de la famille de Sanon, à Caracolie, un quartier de la Cité des Poètes.
C’est une pratique très répandue en Haïti. D’après Melinda Augustin, qui a son petit commerce au marché de Pétion-Ville l’exercice prend appui sur l’expression « moun fou bay chans ».
Deux passants interrogés à Port-au-Prince affirment que le sexe avec les malades mentaux — généralement des femmes — permet de gagner au loto et de résoudre les problèmes les plus complexes. Elle aurait même aidé certains présidents à accéder au Palais national, selon un jeune homme.
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Selon la loi cependant, une personne folle ne peut donner son consentement. Sans cet accord, l’acte obtenu demeure une agression sexuelle.
D’après Paul Mc Erlin, juriste, intéressé aux questions de droits humains, tout accord passé par un dément est nul et non avenu. C’est pourquoi une personne reconnue démente est considérée irresponsable de ses actions.
« Kouche moun fou bay chans » constitue une « atteinte aux droits humains », analyse la féministe Sabine Lamour.
Selon la professeure d’université, le principe de base régissant les rapports sexuels étant le consentement, son absence est une atteinte directe à la liberté d’autrui.
« Cette pratique est simplement un crime qu’on impute au vodou afin de la discréditer », remarque Emmanuella Pierre, une vodouisante.
Pour Lamour, nous sommes face à un cas de violation des droits humains en cascade : « comment voulez-vous qu’une personne qui n’est pas dans la même dynamique que vous, qui est vulnérable et qui mériterait d’être protégée, ne puisse même pas évoluer dans une dynamique sociale où les autres ne lui feront pas de mal ? La première violation est là. »
La deuxième violation, d’après la féministe, c’est l’abuseur qui va profiter de l’absence d’un cadre social pour recevoir les personnes reconnues démentes, afin de les abuser. C’est d’autant plus grave, dans les cas où il y a grossesse, car cela rend difficile la prise en charge sanitaire de la victime.
Face aux abus récurrents, les grossesses et infections à répétition, la famille de Sophonie Sanon a décidé de la stériliser.
La prise en charge des victimes dans ce cas de figure est très compliquée, car il n’existe pas de protocole, ou de marche à suivre. Souvent, les agresseurs ne prennent pas soin de ces femmes.
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D’après Sabine Lamour, il existe un protocole classique au sein des organisations féministes pour les victimes de viols. Il faut une prise en charge physique, mais aussi psychologique. Cependant dans le cas d’une personne souffrant de troubles mentaux, la prise en charge devient compliquée. Il faudrait que la victime ait une personne responsable, un curateur en d’autres termes, pour l’amener aux associations féministes.
La victime doit aussi voir un médecin afin de passer des examens pour éliminer les risques d’infections sexuellement transmissibles, et identifier le plus rapidement une possible grossesse.
Rien ne vient indiquer l’origine exacte de la pratique. Certains veulent la placer dans la religion vodou, quand d’autres mettent sur la sellette les Syro-Libanais, un groupe d’immigrants connus en Haïti pour leur sens du commerce. La rumeur infondée veut qu’ils s’adonnent au « kouche moun fou » pour faire prospérer leurs business.
« Cette pratique est simplement un crime qu’on impute au vodou afin de la discréditer », remarque Emmanuella Pierre, une vodouisante.
C’est d’autant plus grave, dans les cas où il y a grossesse, car cela rend difficile la prise en charge sanitaire de la victime.
La croyance n’a aucune base scientifique. Rodolphe Mathurin est enseignant et écrivain. D’après l’auteur de règ jwèt la, les gens pensent qu’il peut arriver qu’une personne ait un « giyon » (sorte de malchance). Et pour s’en débarrasser, elle la passe à quelqu’un d’autre. Étant donné que les malades mentaux sont « les plus faibles spirituellement », la personne qui veut se débarrasser de son giyon, fera ce qu’il a à faire, selon les consignes d’un « malfektè » (sorcier en créole).
Pour déraciner le « kouche moun fou pou chans », il faudrait une campagne d’éducation sérieuse et des actions décisives de l’institution judiciaire pour punir les contrevenants. La pratique est tant populaire qu’elle a inspiré Gary Victor, un des plus importants écrivains contemporains du pays, pour son livre : « Je sais quand Dieu vient se promener dans mon jardin. »
Widlore Mérancourt a contribué à ce reportage.
Photo de couverture : Adelson Carvens. Femme atteinte de troubles mentaux promenant son enfant à Lalue.
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