J’ai une obsession. Celle de me regarder dans le miroir quand je pleure. C’est vrai, on sait de quoi on a l’air quand on est heureux mais pas quand on pleure. Déjà que mes glandes lacrymales ne sont pas très laborieuses, les rares fois que cela m’arrive, il faut absolument que je vois de quoi j’ai l’air. Les seules personnes qui peuvent se vanter de m’avoir vu pleurer, mis à part ma petite sœur, sont de très bons amis, autour d’un verre de sangria ou de quelques verres de vin. Les litres d’alcool dans mon sang ont parfois un effet bénéfique sur ma rigidité émotionnelle…
Aujourd’hui, je rentrais tranquillement chez moi et j’ai croisé une “manifestation”. C’était à l’angle de Delmas 60 et de l’autoroute de Delmas. Je me suis arrêtée mais pressée de rentrer chez moi, je me suis mêlée à la foule pour poursuivre mon chemin. Ils allaient vers Pétion-ville et moi en sens inverse. J’avais, comme d’habitude, mes écouteurs aux oreilles avec la voix de Zaho.
Deux hommes crasseux avec de très mauvaises intentions et une jeune fille insouciante dans les rues de Port-au-Prince : le résultat ne fut pas surprenant. Quelques minutes plus tard, j’avais des bleus très visibles sur mon bras et, mon sac avait été subtilisé avec tout ce qu’il contenait. Il ne m’était resté que mon téléphone qui a dû être sans valeur à leurs yeux, mes écouteurs et mon nextbook qui est tombé tandis qu’ils s’enfuyaient. Mes concitoyens s’étaient contentés de se tenir sur le bord de la route me regardant me débattre avec mes assaillants, et ce, à 3h 30 de l’après-midi. Ce ne fut que quand ils partirent, qu’un homme me fit entrer chez lui, me posant des questions, tentant vainement de me rassurer. Mais tout allait déjà parfaitement bien, j’ai pensé à ma carte d’identification nationale, au pendentif que j’affectionnais tant et à un recueil de poème d’une grande valeur à mes yeux.
J’ai toujours appuyé les manifestations dans la mesure où les revendications sont légitimes et les comportements des manifestants acceptables et non-violents. Je ne m’enfuirais pas nécessairement si je rencontre des manifestations, je m’efforcerait toutefois de garder mes distances, et m’informerais de l’évolution de leur situation. Cette manifestation était relative aux résultats des élections présidentielles. Je n’en voulais donc pas aux manifestants, au contraire, je comprenais. Néanmoins, j’avoue ne pas avoir de mots et mon patriotisme est mis bien à mal. Ce n’est pas la première fois que je me fais voler mais avant ça a toujours été juste mon portable ou à la rigueur ma bourse. J’ignore si ces hommes faisaient partie des manifestants ou si ce sont juste des voleurs qui ont profité d’une situation, quoiqu’il en soit, je commence à douter de l’utilité de ces activités. Mis à part bloquer la circulation, alimenter la peur chez mes concitoyens en détruisant tout sur leur passage et dévalisant des personnes innocentes qui rentrent du boulot ou de la fac, je ne comprends pas trop le message véhiculé.
Aujourd’hui, j’ai découvert qu’il y a deux sentiments chez moi qui provoquent les pleurs, ou disons plutôt l’un résulte de l’autre. C’est la rage ou la fureur qui résulte de l’impuissance. Je suis rentrée chez moi calmement et parfaitement remise mais une fois seule dans ma chambre, je me suis tenue devant le miroir et je me suis effondrée. Il y avait d’autres haïtiens vivants et bien portants dans cette rue juste à quelques mètres de moi, ces hommes n’étaient pas armés, qu’est- ce qui les a donc retenus ?
Est-ce donc à cela que nous sommes réduits ? Nous acceptons l’état de décrépitude dans lequel se trouve notre pays. Nous l’acceptons à un point tel que nous avons des proverbes et des citations. « Pito nou lèd nou la », « bouche nen n pou n bwè dlo santi », et j’en passe. Un peu comme si cette réalité et cette peur sont normales, elles ne le sont pas ! Nous pouvons nous en sortir sans attendre le concours de l’état. Moi je me suis débattue à un point tel qu’il a fallu que l’un me pousse et qu’ils prennent la fuite, imaginez si seulement deux autres personnes étaient venues m’aider ? Je ne demande pas de sacrifier sa vie pour son prochain (quoique ça aurait été héroïque), je demande juste de saisir une opportunité quand elle se présente et de donner aux voleurs une bonne correction.
J’ai la désagréable impression qu’il y a encore des chaines. Il y a environ 200 ans nous avons cassé nos chaines, nous avons jugé que c’était contre nature de subir de tels traitements, pourquoi les accepter maintenant ? Et par nos propres frères en plus !
Je me débattrai encore et encore, à chaque fois. Je ne baisserai plus la tête, mes ancêtres ont assez souffert pour m’offrir cette liberté, autant que je pourrai, je me battrai et j’espère que vous autres me suivrez parce que moi, tan pou m ta lèd m ta pito pa la !
Dark Ink
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