Vingt-cinq pour cent des ménages haïtiens ne disposent pas de toilettes. Des statistiques effrayantes qui expliquent beaucoup sur le niveau de vie de la population haïtienne. Petit panorama de la réalité autour de nos gestions quotidiennes du caca.
Henry et sa famille vivent à la cité de Caridad à Carrefour Feuilles. C’est là qu’il a élevé ses quatre enfants dans une maison louée à 10 000 gourdes l’an. Pour se rendre chez Henry, il faut passer par deux marchés, longer plusieurs corridors, descendre des pentes pour enfin se retrouver dans une ravine. De la ravine à la maison, c’est un vrai défi de déposer les pieds sans toucher les innombrables lots d’excréments d’humains et de porcs confondus. Le sillon sert de porcherie aux ménages de la zone. « Vous venez au bon moment, la pluie a déjà lavé le lieu, sinon ce serait encore plus difficile de traverser », avance Henry tout souriant. Il se trouve que les gens habitant en amont de la ravine y jettent continuellement des ordures et surtout des matières fécales dans des récipients et sacs en plastique.
Depuis plus de quatre ans, Henry et sa famille utilisent les toilettes du voisinage car les leur sont en très mauvais état. « Nous devons monter des escaliers pour aller au trou ou se trouvait notre latrine. Elle est maintenant totalement dysfonctionnelle.» Une voisine a argué que cette latrine dont se servent Henry et sa famille est la seule qui existe pour tous les ménages de la communauté. La seule alternative qui reste à ces familles est la ravine.
La défécation à l’air libre : un grave danger
Haïti est le seul pays de la Caraïbe où il y a autant de gens qui font leurs besoins dans la nature. Soit 25% des ménages haïtiens ne dispose d’aucunes toilettes. Certaines personnes habitant près des littoraux ou des ravines en font un prétexte pour ne pas construire des latrines.
À Bicentenaire, il y a une ravine – convertie en décharge – qui relie le Village Plus à la Cité de l’Éternel (Martissant). Il y a quelques années, les ménages de ces zones faisaient leurs besoins à même le sol. Actuellement, en guise de toilettes, ils ont eux-mêmes construit des dispositifs en béton armé dans un coin de leur maison. Ils s’y asseyent pour déféquer, ensuite ils font couler les matières fécales directement dans le sillon. « C’est ainsi que plus d’un s’y prend, nous sommes chanceux d’avoir ces dispositifs, certaines maisons n’ont rien du tout », ainsi parle Magalie une maman de la place qui ne s’inquiète pas des tâches noirs qui enlaidissent la peau de ses deux bras. (Magalie nie toute corrélation de l’insalubrité sur la maladie de sa peau. Elle soutient énergiquement qu’il s’agit d’une attaque maléfique.) « Les déchets et excréments jetés dans la ravine nous reviennent quand il pleut » se plaint une amie de Magalie.
Plusieurs des enfants de Magalie tombent souvent malades mais elle pense que c’est normal. Au moment de cet entretien, Magalie son fils avait la diarrhée. « Quand ils sont malades, ils guérissent d’eux-mêmes, sans médicaments. C’est toujours ainsi », argue-t-elle.
Selon l’Organisation mondiale de la santé, la défécation en plein air est l’un des facteurs de pauvreté et de mortalité dans les pays à faibles et moyens revenus. Les mauvaises conditions d’hygiène et d’assainissement provoquent certaines pathologies mortelles notamment la diarrhée et le choléra. La diarrhée est la deuxième cause de la mortalité des enfants de moins de cinq ans dans le monde; 525 000 enfants en meurent chaque année selon un article de l’OMS publié en 2017. L’une des causes de cette pathologie est l’ingestion d’eau contaminée par des matières fécales. L’amélioration des conditions d’hygiène et d’assainissement permettrait de réduire le nombre de mortalite infantile.
Irresponsabilité de l’État haïtien
Le nombre des toilettes non améliorées ( latrines sans couvercle ou proches des sources d’eaux) qui était de 35% en 2005 passait à 25% en 2012. En revanche, de 2012 à 2016 ce score reste stable selon le rapport de l’EMMUS VI.
Des études ont montré que les pathologies liées au manque d’hygiène et d’assainissement ont un poids économique énorme pour un pays. À l’opposé, les investissements dans des solutions sanitaires génèrent des retombées très positives sur l’économie.
Pour nous autres en Haïti, construire des toilettes décentes pourrait être un grand pas.
Malheureusement, Haïti fait partie des dix pays dans le monde où un pourcentage élevé de la population défèquent à l’air libre. Les autorités qu’elles soient locales ou centrales paraissent négliger la question des toilettes en Haïti autant qu’ils paraissent insensibles à la situation économique exécrable qui asphyxie tout le pays.
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