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Me Marie Suzy Legros : «Le procès du Bâtonnier Monferrier Dorval nous tient à cœur »

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La nouvelle bâtonnière de l’Ordre des avocats s’est confiée à Ayibopost

La nouvelle bâtonnière de l’Ordre des avocats de Port-au-Prince est une femme âgée de 62 ans. Me Marie Suzy Legros a étudié le Droit à la Faculté de Droit et des Sciences économiques de Port-au-Prince. Depuis une trentaine d’années, elle exerce le métier d’avocat et enseigne le droit à l’université et à l’Amical des juristes, une structure regroupant avocats, juges et étudiants en Droit, dont elle est membre.

Après l’assassinat du bâtonnier Monferrier Dorval en août dernier, Me Legros a assuré l’intérimat au sein du barreau. Le 9 octobre 2020, les avocats l’ont voté à l’unanimité pour continuer le mandat du bâtonnier Dorval qui doit prendre fin en septembre 2021. Me Marie Suzy Legros est la première femme élue à ce poste dans toute l’histoire des barreaux en Haïti.

Me Legros s’engage sur plusieurs fronts.  Quand elle n’est pas au tribunal ou dans son cabinet, la professionnelle œuvre dans l’enseignement. Elle se plaint qu’il y ait toujours beaucoup plus d’hommes dans les différentes séances de formations qu’elle a animées pour les femmes.

Après son mandat en tant que bâtonnière, Legros compte reprendre ses activités professionnelles en tant qu’avocate et formatrice.

Ayibopost : Pourquoi personne à part vous ne s’est présenté aux élections du bâtonnier pouvant poursuivre le mandat du Me Monferrier Dorval ?

Il ne s’agissait pas d’une course pour remplacer le bâtonnier Dorval, on avait besoin d’un avocat pouvant poursuivre son mandat.

Je suis le membre le plus anciennement inscrit au conseil des avocats ayant été élu avec le bâtonnier le 6 février 2020. Quand je me suis présentée, les avocats ont tous été solidaires avec moi. Ils se sont réunis pour élire quelqu’un pouvant terminer le mandat du bâtonnier Dorval. Quand il y aura des élections pour élire un nouveau bâtonnier avec un nouveau programme, il y aura peut-être une compétition.

Certes vous allez poursuivre le mandat de Me Monferrier Dorval, mais qu’allez-vous apporter comme touche personnelle ?

Je préfère ne pas en parler maintenant. Je voudrais que le mandat puisse apporter quelque chose de positif au conseil. Nous avons pas mal de difficultés mais nous faisons de notre mieux pour continuer le mandat de Me Dorval. Nous avons déjà réalisé l’examen d’admission au barreau. Nous comptons continuer les séances de formation pour des praticiens et étudiants en Droit.

Nous aurons aussi des procès simulés. Mais ce qui nous tient beaucoup plus à cœur, c’est le procès du Bâtonnier Monferrier Dorval. Je sais que cela va prendre beaucoup de temps. Même après la fin du mandat, je continuerai à militer pour que justice soit rendue à Me Dorval.

Ensuite, comme le voulait le Bâtonnier Dorval, nous allons délocaliser le Palais de Justice.

Le premier ministre Jouthe Joseph s’opposait à la délocalisation du Palais de Justice lors de sa dernière visite au tribunal. Qu’allez-vous faire s’il maintient sa position ?

Nous maintiendrons aussi la nôtre parce que nous voulons un espace de travail sécurisé, propre et assez grand. D’après le premier ministre, il n’y a plus de fonds disponible pour cette reconstruction, pourtant ces fonds étaient bien là. D’ailleurs le tribunal devait se trouver dans la Cité administrative. 

La Cour d’Appel a été délocalisée mais cela ne lui a pas vraiment apporté quelque chose de positif. A la Cour d’appel, les salles d’audience se trouvent sur la cour et sont recouvertes de tôle. Vu qu’il fait chaud, il sera très difficile d’y plaider.

Ce ne sera pas le cas pour nous au Palais de Justice parce que le tribunal dispose déjà d’un terrain à la rue St-Honoré, près du lycée Toussaint. Le barreau se trouvera aussi dans le bâtiment du tribunal. 

Qu’est-ce que cela vous fait d’être la première femme élue bâtonnière de l’Ordre des avocats en Haïti ? 

Je suis contente d’être élue mais pas parce que je suis la première femme. Je ne me réjouis pas de façon extraordinaire. Je suis née dans une famille d’avocats. Je suis la seule à être bâtonnier. Je me suis toujours posé la question pourquoi les femmes ne se présentent pas aux élections. Je ne pense jamais que les femmes ont des limites.

Qu’est-ce qui vous a motivé à faire carrière dans le métier d’avocat ?

Comme je l’ai déjà dit, je suis née dans une famille d’avocat. Après mes études classiques, mon frère m’a inscrit à la Faculté de Droit sans même m’en avertir. C’est mon oncle qui m’a emmenée dans un cabinet d’avocat pour faire mon stage qui était alors non payant. A l’époque j’avais fait un choix parce que je gérais le magasin de ma mère.  

J’ai toujours aimé la manière d’être des avocats. Ils n’ont jamais peur. Ils pensent toujours qu’ils vont s’en sortir et c’est vrai, ils s’en sortent toujours. C’est tellement beau ce métier. Un procès pénal c’est très beau. Les écritures ne servent pas vraiment, c’est avec la plaidoirie qu’on peut libérer une personne, avoir des circonstances atténuantes, ou la faire condamner. C’est l’oralité des débats qui compte.

Autrefois je voyais les grands ténors du barreau notamment les Mayard Paul, les Collimon, les Nerette. Je les assistais quand je faisais mon stage. J’avais des professeurs qui me stimulaient. C’est pour cela que j’encourage les jeunes à faire des stages dans des cabinets pour apprendre.

Je ne pense pas qu’il doit y avoir des petits cabinets éparpillés çà et là. Je pense qu’il faut deux ou trois cabinets ou firmes d’avocats disposant de plusieurs avocats spécialisés dans plusieurs branches du Droit. C’est ce qui fait peut-être que je n’ai jamais été intéressée à ouvrir mon propre cabinet.  

Pourquoi l’on ne voit pas des figures de femmes briller dans le métier d’avocat en Haïti ?

Il y a de brillantes avocates en Haïti. Elles n’interviennent pas dans les médias et ne font pas de scandale autour d’elles. Elles sont plutôt calmes. D’ailleurs on dit souvent que la force est calme (rire). Ce qui m’a toujours étonné c’est que les femmes ne se sont jamais portées candidates au poste de bâtonnier. 

Il faut aussi considérer notre statut en tant que femme dans la société. On est avocate et mère de famille avec tout ce que cela implique. Les hommes avocats et père de famille n’ont pas les mêmes responsabilités que nous. Les mères doivent gérer la maison, faire étudier les enfants et s’occuper parallèlement des dossiers. La femme a beaucoup plus de charge que l’homme, quelle que soit la profession. Autrefois, quand je n’avais pas encore d’enfants, j’allais en province, je restais pendant une semaine. Maintenant si je dois le faire, je dois bien planifier tout pour après mon départ.

Que pensez-vous de la réforme constitutionnelle dont Me Dorval parlait ? Est-ce que vous aussi vous pensez qu’il y a nécessité de changer la Constitution ?

Je suis du même point de vue que Me Monferrier Dorval. Je pense qu’il faut amender ou changer la Constitution. J’ai voté la Constitution de 1987. Mais comme pour beaucoup d’Haïtiens, c’était sous le coup de l’émotion. La Constitution n’a jamais été appliquée. A chaque fois, elle est mise en veilleuse ou bien il y a un autre problème. Chaque président met en veilleuse la partie de la Constitution qui le dérange. 

Il y a de bonnes dispositions dans la Constitution de 1987, par exemple la Haute cour de justice, qui n’ont jamais été appliquées. Mais il y a trop de dispositions transitoires et on est toujours en transition. Il y a trop de circonstances qui ont évolué. Selon la Constitution, il y a trois pouvoirs indépendants. Mais dans les faits, ces pouvoirs ne sont pas réellement indépendants.  Il y a un seul pouvoir, c’est l’exécutif. 

Pour quelle que soit l’audience au tribunal, il y a le représentant du ministère public qui est l’exécutif, qui donne son réquisitoire. Même si parallèlement l’on dit que le juge n’est pas lié par le réquisitoire du ministère public. Mais celui-ci a la parole en dernier, ce qui veut dire que quand il a fini de parler les avocats doivent se taire.

Donc l’exécutif est au sein du judiciaire par le ministère public. Le Conseil supérieur de la police judiciaire (CSPJ) gère les juges mais c’est le Ministère de la Justice et de la sécurité publique qui gère les greffiers, les huissiers, le ministère public donc le parquet. Tout cela traduit l’empreinte du pouvoir exécutif dans le judiciaire. 

Et tout dernièrement, vous l’avez peut-être remarqué, on a installé un ministre délégué auprès du parlement. C’est encore l’exécutif au sein du législatif.  Il faudrait s’arranger pour qu’il y ait trois pouvoirs indépendants. 

Mais ce n’est pas à cause de la Constitution que les pouvoirs ne sont pas indépendants dans les faits ?

C’est la Constitution qui donne les grandes lignes. Mais il n’y a pas que ça. La Constitution parle de président et de gouvernement. Pouvez-vous me dire qui gouverne le pays, est-ce le président ou le premier ministre ? 

Il y a tout le système à changer. Je pense que la Constitution pose des problèmes mais on doit s’entendre pour la changer. Il faut qu’on s’asseye pour analyser cette Constitution et celles qui sont déjà passées pour voir quels changements à apporter. On ne va pas tout reconstruire en un jour mais il faut un changement. 

Par rapport à l’assassinat de Me Dorval, comment les avocats peuvent-ils s’allier pour combattre l’impunité et la corruption dans le pays ?

C’est la justice qui peut combattre l’impunité dans le pays. C’est la justice qui fait marcher un pays, sans la justice on n’a pas de pays. Je pense que la justice doit se ressaisir. Une fois qu’on aura une justice indépendante, on aura un bon pays. 

En ce qui a trait à la corruption, on la trouve partout même au sein de certaines familles. Mais c’est l’impunité qui perpétue la corruption. Si l’on veut combattre la première, il faut aussi toucher la deuxième. 

J’ai laissé le pénal à cause de la corruption. Autrefois, quand on plaidait il y avait des circonstances atténuantes et aggravantes, dépendamment de l’acte qui avait été commis. Mais aujourd’hui dès qu’on arrête une personne, elle s’attend à être libérée selon la générosité de son portefeuille.  L’oralité des débats ne sert plus à rien. 

Tout est bien établi pour sanctionner les corrompus. Le CSPJ devrait sanctionner les juges au pénal ou au civil. Le Ministère de la Justice et de la sécurité publique de son côté, devrait faire son travail au parquet qui dépend de lui.

Quels sont vos projets ? Comptez-vous vous présenter aux prochaines élections pour le bâtonnat ?

Je vais finir le mandat de Me Dorval et travailler pour que justice lui soit rendue. Je mets ma vie professionnelle de côté pour travailler sur ces projets. Je ne vais plus me porter candidate au poste de bâtonnier. Après le mandat je retournerai à mes anciennes occupations.

Je sais que cela ne dépend pas uniquement de moi, mais j’aimerais rehausser le métier d’avocat. Par ailleurs, il y a toujours eu un problème entre juges et avocats. Les magistrats pensent que nous faisons de l’argent.  J’aimerais qu’ils s’unissent.  

Après l’assassinat du bâtonnier Monferrier Dorval vous n’avez pas eu peur d’occuper la même fonction qu’il avait occupée ?

Chaque fois qu’on demande si je vais laisser, je dis non, je vais rester. Quand j’étais en seconde, j’allais aux États-Unis, on me demandait de rester, j’avais refusé. Maintenant encore, on me demande ce que je fais ici. C’est la galère mais j’y reste. Malgré le pays lock, j’allais travailler tous les jours. Il y a des gens qui disent que le pays ne va pas changer. Moi, je garde espoir.

Quand j’étais petite, mon père m’emmenait au Bicentenaire chaque dimanche. Avec mes camarades on s’y promenait. Autrefois, les jeunes n’avaient pas de voitures, ils allaient au bal à Choucoune à pied, sans crainte… 

En 1986, sous Jean Claude on voulait un changement mais on ne l’a pas eu. Mon rêve c’est que le pays change. Peut-être que le prochain président ou celui qui est actuellement au pouvoir va le faire, qui sait ?

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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