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Manbo Lamèsi, une des prêtresses vodou les plus célèbres de Port-au-Prince

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Lamèsi accorde de l’importance à la science et reconnaît que la superstition peut parfois pousser certaines personnes souffrant de problèmes d’ordre médicaux à venir la trouver, au lieu de prendre le chemin de l’hôpital

L’adresse de la maison de Manbo Lamèsi, n’est pas difficile à trouver. Il faut longer la rue Panaméricaine, à Pétion-Ville, jusqu’à l’entrée de Nérette. C’est exactement le chemin que nous avons pris, ce mercredi 29 juin 2022, vers 2 heures de l’après-midi.

À l’entrée de Nérette, des chauffeurs de mototaxis ont établi une station informelle. Ce sont eux qui nous indiquent le reste du chemin à suivre. Nous suivons leurs indications.

Deux minutes plus tard, la barrière noire du peristil se dresse devant nous. Elle est entrebâillée ; nous nous y engouffrons pour nous retrouver dans une cour couverte en tôle, au milieu de laquelle se dresse un poto mitan. Après un rapide «lonè», pour informer de notre présence, une femme surgit d’une pièce peinte en rose, dans laquelle un autel est visible.

Elle est vêtue d’un vêtement traditionnel. Sur la robe en Karabela bleu qui lui arrive aux genoux, une main d’artiste a peint une fresque de paysages qui rappellent les provinces haïtiennes.

« J’ai fait la peinture moi-même », dit fièrement la femme, avec ses dreadlocks qui lui tombent sur les épaules. Elle paraît avoir la cinquantaine, et nous accueille avec un grand sourire. C’est Lamercie Charles-Pierre, dite Manbo Lamèsi, l’une des prêtresses vodou les plus célèbres de Port-au-Prince. Sa réputation dépasse les frontières de la capitale. Dans les années 2010, un groupe rara composé de femmes, Rara fanm, lui avait consacré un couplet dans une chanson gede : «Si si si m pral kay Lamèsi, kay Lamèsi gen kochon griye.»

C’est dans le département du Nord qu’est née la manbo, d’une mère protestante et d’un père vodouisant. Cette situation non commune n’a pas été source de discorde au sein de sa famille qui est assez nombreuse.

Elle a grandi avec son père qui lui a appris, toute petite, les mystères des Loas. C’est aussi à ce dernier qu’elle doit son prénom. « Je m’appelle vraiment Lamercie. Ce prénom que certains trouvent atypique figure sur tous mes papiers. Ce sont les Loas qui l’ont suggéré à mon père alors qu’il dormait. »

Son prénom n’a pas de signification particulière d’après elle, même s’il est devenu très connu.

Malgré la différence de religion au sein de sa famille, elle a pratiqué librement ses croyances aux côtés de son père et déclare que certains de ses frères et sœurs sont aussi vodouisants.

Lamèsi est une féministe convaincue. Dans la chambre consacrée à Erzulie, où elle nous accorde l’entretien, son témoignage sur son militantisme résonne encore plus fort.

Mère de trois enfants, elle critique la société patriarcale dans laquelle nous vivons, et voit dans l’inégalité de genre une source des malheurs du pays.

Particulièrement sensibilisée sur les violences faites aux femmes, Lamèsi a créé Òganizasyon fanm vanyan (OFAVA), le 28 mars 2004. L’organisation possède un centre d’hébergement pour femmes et fillettes victimes de violence, à Lilavois.

« Lors des derniers affrontements armés dans la plaine du Cul-de-Sac, nous avons reçu des victimes dans ce centre, dit-elle. J’ai pris l’initiative [de créer OFAVA] quand j’ai constaté comment les victimes de viol étaient traitées, surtout à Cité-Soleil, car à l’époque je travaillais dans cette commune. »

Également coordinatrice de l’Association fanm vodou pou Ayiti, Lamèsi milite pour le respect des droits de toutes les femmes. Elle travaille à la création d’un réseau réunissant les femmes affiliées à un péristyle en Haïti.

Très attachée à ses croyances, elle s’investit dans ses pratiques vodou avec une ferveur sans pareille, car c’est aussi un espace où elle vient en aide aux femmes. « Je reçois des victimes de toutes sortes. Certaines sont avec des hommes violents et d’autres ont été violées. J’envoie celles qui en ont besoin voir un médecin le plus vite possible, idéalement avant 72 heures », explique la prêtresse.

En effet, Lamèsi est une manbo atypique, qui essaye de combiner, chaque fois que c’est possible, ses connaissances de manbo, à la médecine moderne. Surtout dans les cas de viols, où les victimes ont besoin de soins rapides pour éviter d’autres complications.

« Dans certains cas, mon premier réflexe est d’analyser les symptômes que les personnes me décrivent, afin de les orienter vers un médecin », dit-elle, en montrant un tensiomètre qu’elle utilise lors de ses consultations.

Malgré ses croyances qu’elle ne remet pas en question, Lamèsi accorde de l’importance à la science et reconnaît que la superstition peut parfois pousser certaines personnes souffrant de problèmes d’ordre médicaux à venir la trouver, au lieu de prendre le chemin de l’hôpital.

« Il y a des gens qui sont tellement difficiles à convaincre d’aller chez un praticien, que je suis obligée d’allumer quand même une bougie en leur nom, pour les rassurer », glousse-t-elle.

Lamèsi reçoit aussi beaucoup de cas de femmes enceintes qui saignent.

« Une femme enceinte est très fragile, et pour certains, saignement rime avec mort. Et aussi, souvent, pour ces femmes et leurs proches, le saignement est le fait d’une personne malveillante qui leur en veut. Dans ces cas-là, il faut être réactif et pragmatique, afin de les envoyer chez un obstétricien. »

La prêtresse est également psychologue. Cette formation est un atout dans son travail, car pour elle, déjà, « la plupart des ougan et manbo, font un travail de psychologue ».

Mais ce qui lui a créé une réputation indéniable dans le vodou, en plus de son sérieux et de son engagement dans sa communauté, c’est le faste avec lequel Lamèsi célèbre les 1er et 2 novembre. Si Rara fanm précise dans sa chanson que chez Lamèsi on trouve du porc grillé, c’est parce qu’elle ne lésine pas sur les offrandes qu’elle fait aux Loas. Poissons grillés, harengs, chèvres, ou encore vivres divers et variés… Les 1er et 2 novembre chez Lamèsi font penser aux dîners de conquête du temps des Vikings.

« Gede est le principal Loa du Panthéon qui me chevauche. Au bout d’une quarantaine d’années de célébration de cette fête dans mon lakou, cela a fini par devenir un rendez-vous », dit-elle en montrant la chambre consacrée aux Gedes.

Grâce à tout cela, la notoriété de Lamèsi ne s’arrête pas à Nérette et ses environs. Les nombreuses chansons populaires chantées lors de la fête de Gede contribuent à ancrer encore plus sa légende.

Les photos sont de Carvens Adelson pour AyiboPost

Melissa Béralus est diplômée en beaux-arts de l’École Nationale des Arts d’Haïti, étudiante en Histoire de l’Art et Archéologie. Peintre et écrivain, elle enseigne actuellement le créole haïtien et le dessin à l’école secondaire.

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