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Malgré la rareté des visiteurs, le Parc Historique de la Canne à sucre ne fermera pas 

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Malgré la beauté de l’espace, et l’entretien constant pour le garder en bon état, le Parc historique de la Canne à sucre ne reçoit plus la même quantité de visiteurs qu’avant. Son coût de fonctionnement est élevé, les rentrées sont insuffisantes, mais il est impossible qu’il ferme

Nous sommes au Parc historique de la Canne à sucre. Le décor paraît féerique. Des cabanes, certaines avec une toiture en paille, sont implantées çà et là. Le gazon vert et bien coupé rend l’espace encore plus attrayant. Un train noir qui appartenait à la Compagnie de chemin de fer de la plaine du Cul-de-sac, PCS, trône majestueusement.

Bien posé sur ses rails, le wagon date de cette époque où les rames de tramways faisaient l’actualité en Haïti. Il appartenait à la HASCO, et a été offert au parc par la famille Mevs.

Toute la cour est parsemée d’objets plus ou moins anciens. Dans ce même espace, des boulets de canon retrouvés attestent que l’armée indigène s’y est battue.

Diminution des visiteurs

Plus qu’un simple parc, c’est un musée à l’air libre qui retrace l’histoire de la fabrication du sucre dans le pays, à l’époque coloniale. Plusieurs procédés de fabrication y sont représentés, ainsi que les différentes étapes par lesquelles passe la canne.

Sa construction a commencé en 2002 et s’est achevée en 2004. C’est au cours de cette même année qu’il est ouvert au public. Le Parc historique de la Canne à sucre a depuis été le cadre de nombreux évènements culturels.

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Quinze ans après son inauguration, il ne reçoit presque plus de visites. Michaelle Saint-Natus est responsable de la Fondation Françoise Canez Auguste, qui s’occupe du parc. Elle regrette le peu de fréquentations de l’espace.

« On fait tout ce qu’il faut pour garder l’espace aussi beau que lorsqu’il a été inauguré, affirme-t-elle. Mais la fréquentation laisse à désirer. L’année dernière, nous avons reçu environ 12 000 visiteurs. Cette année, il y a de temps en temps quelques étudiants qui y viennent, mais pas beaucoup. Les écoles ne viennent plus du tout depuisle lock. »

 

Coûts exorbitants

La baisse significative des visites au parc est due à plusieurs causes. « Le trajet n’est plus aussi fluide qu’avant, explique Michaelle Saint-Natus, et le transport en commun n’est pas idéal. En plus il y a dans la zone plusieurs petits espaces où aller. »

Pourtant, l’entretien n’est pas négligé, malgré le manque d’affluence. Sept jardiniers s’occupent en permanence des arbres et du gazon.

Les objets uniques qui constituent ce musée en plein air demandent une maintenance constante. Le coût de chaque réparation est élevé. « Il n’y a pas longtemps, on a dû refaire l’une des cabanes, cela a coûté 12 000 dollars américains. Le train avait des trous, à cause des changements climatiques, qu’il a fallu réparer pendant des mois. La roue hydraulique a aussi nécessité de grosses interventions. Les travaux ont pris plus de 6000 dollars », affirme la responsable.

Tout cela, c’est sans compter le poids de certaines catastrophes naturelles. « Le tremblement de terre de 2010 a durement touché le parc, continue Michaelle Saint-Natus. Deux cheminées anciennes, historiques, ont été abîmées. Elles ont coûté 25 000 dollars en réparation, et le chiffre aurait pu être plus élevé si elles avaient été reconstruites avec les mêmes matériaux qu’avant. »

Les prix pour faire le tour du musée sont dérisoires, mais beaucoup de gens refusent de payer. Selon Michaelle Saint-Natus, certains ne payent pas parce qu’ils affirment que le parc appartient à l’État.

Peu d’activités

Après le report de la foire Konsome Lokal qui aurait dû avoir lieu en décembre 2019, il n’y a pas de grandes affiches au parc. Mais, depuis sa création le Parc historique a été le cadre de beaucoup de concerts. Des artistes haïtiens connus, ainsi que de nombreux étrangers célèbres ont fait vibrer les ruines sucrières.

Depuis quelque temps, les concerts aussi diminuent. « Lorsque le parc a été inauguré, explique Michaelle Saint-Natus, on a essayé d’encourager des concerts d’artistes locaux. La première année on a organisé plus de 36 concerts. »

« Mais maintenant, poursuit-elle, il n’y en a presque plus. S’il ne s’agit pas d’un événement extraordinaire, il n’y aura pas foule. »

L’organisation d’un concert au Parc coûte beaucoup, surtout pour la sonorisation. Cela peut ne pas être rentable pour l’organisateur, malgré les concessions que fait l’administration. Selon Michaelle Saint-Natus, l’espace a souvent été donné gratuitement pour l’organisation d’événements.

Stratégies de survie

D’après la responsable de la fondation, le parc n’est pas un investissement. Le but n’est pas de faire de l’argent. Mais c’est un problème que l’espace soit si peu utilisé alors qu’il n’a rien à envier à d’autres parcs. Le budget de gestion qui lui est alloué ne lui permet pas de faire de la publicité, en plus de toutes les charges que l’administration doit supporter.

Euder Fortuné est responsable de la gestion quotidienne de l’espace. Il a eu l’idée d’utiliser le magnifique décor pour des séances de photos, ou des tournages de vidéos. « Pour 2500 gourdes, les gens peuvent venir tourner des vidéos aussi longtemps qu’ils le souhaitent pendant la journée, dit-il. Les séances de photos coûtent environ mille gourdes. C’est l’une des seules initiatives qui fonctionnent, car dans un mois on en a eu plus d’une trentaine. »

Cela demande une organisation supplémentaire. « On a fait construire une loge pour que les gens se maquillent, dit Michaelle Saint-Natus. Mais il faut sans cesse surveiller pour que des images indécentes ne soient pas prises dans la cour. C’est une dépense supplémentaire. »

Outre les séances de photos, des cérémonies de mariage ont souvent lieu au parc. L’une des salles a aussi été aménagée pour recevoir des conférences, ou d’autres activités. Le tout à un prix assez bas pour inciter les gens à venir.

Le parc historique avait aussi son restaurant. « Il est en faillite, regrette Michaelle Saint-Natus. Comme c’est un parc, les gens viennent avec leur nourriture à l’intérieur. On ne peut pas les en empêcher. Cela demanderait des dépenses supplémentaires en agents de sécurité. On réfléchit à comment recommencer, et empêcher cela. »

Impossible de fermer

La création du parc est liée à plusieurs concours de circonstances. En 2000, la France voulait rétablir des ruines d’habitations sucrières dans le pays, en marge du 200e anniversaire de l’indépendance. L’espace qui loge le parc était déjà à l’époque coloniale une grande habitation ou l’on fabriquait du sucre. Il appartenait à un colon nommé Chateaublond.

À la fin de la sélection, les ruines de Chateaublond n’ont pas été choisies. « Ma mère s’est indignée, dit Michaelle Saint-Natus. Elle a décidé que nous allions offrir un parc au pays, sans que ce soit l’ancienne puissance coloniale qui le finance. »

« J’avais une sœur qui est morte de leucémie à 16 ans, poursuit-elle. Nous avons utilisé son héritage pour construire l’espace, parce qu’elle aimait les musées et les parcs. »

 

Le parc est donc créé à la mémoire de Françoise Canez Auguste. C’est pour cela que même si la maintenance coûte cher, et que les rentrées sont minimes, il n’est pas question que l’espace ferme, selon Michaelle Saint-Natus.

D’autres projets sont à l’étude pour rentabiliser le parc, et ramener les visiteurs qui ont déserté. « Nous voulons ouvrir un bistrot, affirme la responsable, organiser des activités ludiques pour les enfants, et inciter les gens à venir se promener. Ils pourront aussi utiliser notre bibliothèque de livres sur Haïti. »

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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