L’écrivain est en lice pour le Goncourt, un des plus prestigieux prix littéraires français, avec son roman « Une somme humaine »
Sur une liste de huit romans retenus pour la troisième sélection publiée par l’Académie Goncourt, le 4 octobre dernier, figure « Une somme humaine » de l’écrivain haïtien, Makenzy Orcel, auteur de nombreuses œuvres littéraires dont L’Ombre animale multirécompensé en 2016 par le prix Louis-Guilloux, le prix Éthiophile et le prix de l’association des écrivains de langue française (ADELF).
Le Goncourt se veut l’un des plus prestigieux prix littéraires du monde francophone. Il est décerné chaque année au meilleur de tous les volumes littéraires français en prose publiés par un éditeur francophone ayant un circuit de distribution en librairies. Cette année, le prix sera proclamé le 3 novembre. Pour parvenir à désigner ce prix, l’Académie effectue ordinairement trois présélections entre septembre et octobre : d’abord 15 noms, ensuite 8, puis 4.
Lire aussi : « L’Empereur », de Makenzy Orcel : le mouton enragé du lakou
Si les choses tournent en la faveur de celui qui a grandi à Martissant et fait ses études à la Faculté de Linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti, Orcel sera le premier à offrir le prix Goncourt à Haïti. Depuis Lyon, lors d’un entretien par appel téléphonique, l’écrivain voyage avec AyiboPost entre son succès et son pays natal.
AyiboPost : Qu’est-ce que cela signifie pour vous d’être en lice pour le prix Goncourt ?
Makenzy Orcel : En fait, ce n’est pas tous les jours que cela arrive. Ce doit être un honneur pour un écrivain que de voir sortir d’un lot d’au moins 500 romans publiés pour l’année. En tout cas, dans mon cas, après trois ans de réflexions, de dur labeur, je trouve ça très très encourageant. La première sélection déjà, pour moi, c’est un petit choc.
Quelles sont vos attentes ?
Makenxy Orcel : Je n’ai pas d’attente. D’ailleurs je ne comprends toujours pas encore comment j’en suis arrivé là. C’est assez insaisissable. Je ne cherche pas à imaginer la suite.
Et aussi, j’évite d’avoir une quelconque attente ; parce que surtout, les attentes, ça peut nous faire tomber de très haut. Donc pas d’attentes. Toutefois, si les lecteurs décident d’apprécier encore plus mon livre, c’est tant mieux.
De quoi ça parle, la Somme humaine ?
« Une somme humaine » est le versant français de cette trilogie que j’ai commencée avec L’Ombre animale, où une femme haïtienne depuis le lieu de la mort, remonte à son enfance pour raconter tout son parcours et montrer que l’on n’est pas toujours à l’aise dans son existence, et comment les grandes décisions politiques certaines fois écrasent l’humain.
Lire aussi : « Pur Sang », de Makenzy Orcel : réveiller le soleil
C’est la même chose, c’est la même démarche qui est reprise dans la Somme humaine ; sauf que cette fois ma narratrice est française, c’est une histoire française.
Enfin, c’est un roman de 624 pages qui établit la correspondance entre des réalités contraires, qui fait se rencontrer la vie et la mort, qui soulève de grandes thématiques comme le racisme, les rapports sociaux, la place de la femme, etc.
Comment est-ce que vous vivez les nouvelles qui vous parviennent ces dernières semaines sur Haïti ?
Certes, je vis en France, je travaille avec plein d’éditeurs, j’y construis plein de choses, mais je ne pourrai pas oublier ce petit garçon que j’étais, qui a grandi à Martissant, élevé par une mère qui ne savait pas lire, mais qui se sacrifiait pour que son fils ait un rêve.
Et c’est avec un gros sentiment d’impuissance que je reçois les nouvelles d’Haïti. Parfois je tente de me dire que l’ensemble de ces expériences sont nécessaires pour que le peuple émerge de sa souffrance, mais le problème est que Haïti n’a jamais fait ces expériences par elle-même, il y a toujours eu des interventions étrangères.
Et c’est avec un gros sentiment d’impuissance que je reçois les nouvelles d’Haïti.
Quand on a fait ces expériences par soi-même, on apprend. On peut toujours échouer, mais on échoue par soi-même et l’on va apprendre de l’échec, de cette expérience pour grandir.
Mais, quand on n’a pas fait ses propres expériences, on n’apprend rien. L’aide humanitaire, ça n’a jamais aidé. Ça n’a jamais abouti à rien. On le sait.
Comment comprenez-vous la place de la littérature, ou d’un écrivain dans la politique ?
Pour moi-même, la littérature ne doit pas se mélanger avec la politique ; la littérature ne peut pas s’aligner ; la littérature est faite pour être dans l’opposition. Les gens de lettres qui acceptent de se mêler à la politique, c’est peut-être des personnes qui ont toujours eu la soif de voir inscrire leurs noms dans la liste des figures de pouvoir politique, mais, ce ne peut-être au nom de la littérature. Être une figure politique et une figure de littérature en même temps, ce n’est pas pensable ; encore moins dans un contexte où le pays n’est pas dirigé, où il n’y a pas de gouvernement, où des gens qui ne connaissent même pas où est placé Haïti sur la carte font main mise sur l’âme du pays.
Dans un contexte aussi critique, pensez-vous que la littérature peut revêtir d’une quelconque importance pour Haïti ?
Je ne vais pas prétendre que la littérature à elle seule puisse résoudre tous nos problèmes — certaines fois des problèmes très anciens — ; car c’est un tout qui fait un pays. Mais en fait, oui, je le fais. Tant d’autres auteurs le font. Ils ont dépeint ce que le commun des mortels, ce que les hommes politiques, ne peuvent pas voir par eux-mêmes. La littérature c’est comme un miroir pour un peuple. Elle est là pour permettre à la société de voir dans quel état elle est.
Derniers mots…
En fait, certes [cette nomination] est quelque part symbolique. Ça élève le nom d’Haïti. [Grâce au] fait qu’un auteur haïtien est sélectionné pour le prix Goncourt ; un jeune haïtien qui regarde la télé peut se dire, « Mais bon, Orcel, il l’a fait, il y a donc de l’espoir. » Mais je ne crois pas que ce soit comparable avec la somme de gens kidnappés, tués, à la somme de gens qui ont perdu leur famille, qui vivent dans la crainte.
Lire aussi : Pourquoi lire Jacques Stephen Alexis en 2022 ?
Moi, j’ai choisi de quitter Haïti très tard pour des raisons assez complexes pour aller vivre en France, où je travaille avec plein de maisons d’édition entre autres. Mais si les choses allaient plus ou moins bien dans mon pays, je rentrerais plutôt en Haïti pour construire des ateliers de littérature pour les enfants, pour créer des espaces de rencontres, pour travailler avec des maisons d’éditions haïtiennes. Parce qu’Haïti en a longtemps plus besoin que la France. Les enfants d’Haïti en ont beaucoup plus la nécessité que les petits Français. Je rentrerais dans mon pays.
Photo de couverture : Makenzy Orcel | © Camille
Comments