Opinions

Lyonel Trouillot | Toup pou yo

0

Deux rêves. Deux combats. La sélection nationale parviendra-t-elle à gagner le premier ? Lui souhaiter bonne chance, tout en reconnaissant que cela tient déjà du miracle et de l’héroïsme qu’elle se soit qualifiée. Le second combat, si les jeunes, le pays ne le gagnent pas, dans cinquante ans aurons-nous encore les moyens d’espérer un miracle ?

C’est la deuxième fois. La première, la plupart de ceux qui l’ont connue sont déjà grands-pères. Ou morts. Parmi les morts, neuf des joueurs de la sélection de 1974.

C’est long, cinquante ans. Enfantements, divorces, décès. Le temps de faire et de défaire sa vie. De la perdre aussi.

Collectivement, le cortège de choses gaies : la chute des Duvalier, l’adoption d’une Constitution généreuse, l’élection d’un président qui pour une grande majorité à ce moment-là représentait l’espoir… Dans le domaine sportif, des performances individuelles, plus rarement de groupe. Quelques prix littéraires à l’étranger, et autres percées et récompenses individuelles dans le domaine culturel.

La liste des choses tristes, trop longue à établir. Ici, en cinquante ans, à part les riches, seul le malheur s’est enrichi de nouvelles catastrophes naturelles, de la perte de repères éthiques, de violences de toutes sortes, avec un lot impressionnant de morts par balles.

D’ailleurs, hier soir, le malheur s’est invité à la fête. Ici, en plus du banditisme, que l’on soit policier ou hors-la-loi, simple civil possesseur d’armes légales ou illégales, quand on boit, on tire. Quand on fête, on tire.

Et quelque imbécile a pensé que la qualification pour la coupe du monde valait bien quelques morts. Ou n’a rien pensé en levant son arme vers le ciel. Pas même que la balle ne perce pas le ciel et risque de retomber sur la tête d’un enfant, d’un passant. Ici, pour les crétins armés, pas très loin derrière le football, c’est presque un sport national de tirer sans penser.

Se qualifier n’est pas gagner. Mais quand on a attendu longtemps, on a droit au délire. Des jeunes défient les rues d’ordinaire abandonnées dès que tombe le soir. « On va la gagner ». « Je veux l’Argentine pour battre Messi ». « Je ne dormirai pas cette nuit », chante un jeune homme. Fan de Cristiano Ronaldo, il rêve d’une finale contre le Portugal.

« Il ne faut pas briser un rêve, même s’il vous semble un peu fou ». Ce sont les paroles d’une autre chanson que les jeunes qui sont dans la rue ne connaissent pas. Il y a beaucoup de choses qu’ils ne connaissent pas. Ou pas bien. Les gloires du passé, les grands joueurs de 1974. Une statistique qui laisse à penser : Sylvio Cator (ou faut-il dire Haïti ?) détient le plus long record national. 1928. En cent ans, personne ici n’a fait mieux.

Il y a beaucoup de choses aussi qu’on ne sait pas de ces jeunes. Leurs façons à eux, malgré les horreurs qui ont marqué leur jeunesse, d’essayer d’aimer ce pays, d’y parvenir et de rêver qu’il brille et triomphe de ses mauvais sorts.

Et, dans leur fête, des phrases aussi contre les politiciens au pouvoir ces dernières années qui vont féliciter les joueurs et le staff et se féliciter. En oubliant l’argent qui n’a pas construit les infrastructures promises, qui n’a pas mis en œuvre les programmes annoncés. L’argent que quelques uns ont détourné à des fins personnelles et qui a sans doute acheté des véhicules de luxe et construit quelques maisons hautes.

Sans connaître forcément les chansons d’hier, c’est un double « toup pou yo » que les jeunes ont dans la tête en ce soir de fête : les adversaires à venir de la sélection nationale ; les prévaricateurs, arnaqueurs ayant pris leur jeunesse en otage, qu’il faudra bien un jour remplacer et juger.

Deux rêves. Deux combats. La sélection nationale parviendra-t-elle à gagner le premier ? Lui souhaiter bonne chance, tout en reconnaissant que cela tient déjà du miracle et de l’héroïsme qu’elle se soit qualifiée. Le second combat, si les jeunes, le pays ne le gagnent pas, dans cinquante ans aurons-nous encore les moyens d’espérer un miracle ?

► AyiboPost s’engage à diffuser des informations précises. Si vous repérez une faute ou une erreur quelconque, merci de nous en informer à l’adresse suivante : hey@ayibopost.com


Gardez contact avec AyiboPost via :

► Notre canal Telegram : cliquez ici

► Notre Channel WhatsApp : cliquez ici

► Notre Communauté WhatsApp : cliquez ici

Poète, romancier, critique littéraire et scénariste, Lyonel Trouillot a étudié le droit.

    Comments