Le monde est en guerre, et c’est aussi, hélas, une guerre des mensonges. Par exagération, omission, priorité accordée à tel événement
Nous qui savons ne pas être ni le centre ni les maîtres du monde, nous avons cet avantage, l’un des seuls à faire des humains des gens civilisés, d’entendre toutes les voix du monde. Il suffit de passer de France 24 à Al Jazeera, de l’une à l’autre en continu, pour voir qu’on ne montre pas les mêmes images, qu’on n’y émet pas les mêmes points de vue, que là aussi il y a une guerre, ne serait-ce que par images cachées, perspectives interdites. Ici, on parle de tel fait comme un déclencheur. Là, on parle de telle structure et réalité globale. Pourquoi ici refuse-t-on de dire qu’on impose à des peuples des continuités avilissantes qui favorisent les gestes extrêmes ? Là, pourquoi refuse-t-on de reconnaître que l’extrême produit de l’extrême ? Pourquoi ici et là décide-t-on que tels morts ont plus de valeurs que d’autres ?
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C’est dans un monde en guerre que nous vivons. La facilité consiste à résumer cela à une bataille entre la démocratie et la barbarie. Qui représenterait la démocratie et qui représenterait la barbarie ? Qui, à part ceux qui les ont réussies, croit que les destructions de l’Irak et de la Libye avaient quelque chose de démocratique ? Qui peut prétendre que des fanatiques religieux assis sur la misère et le désarroi de peuples dominés représentent les aspirations démocratiques de ces peuples ?
Le monde est en guerre, et c’est aussi, hélas, une guerre des mensonges. Par exagération, omission, priorité accordée à tel événement. Les humains ne s’entendent ni sur le présent ni sur les commencements. Et les victimes sont les peuples. À qui l’on ne demande qu’une chose : bêler comme des moutons. Qui ne comprennent souvent rien à la réalité des autres peuples. Connaît-on beaucoup d’Ukrainiens à se révolter contre le sort d’Haïti et beaucoup d’Haïtiens sensibles à la réalité des Ukrainiens ? Les sensibilités du monde se répartissent chez de nombreux individus en termes de logiques de pouvoir, de race, de classe, de religions. Et cela profite à toutes les extrêmes droites.
Les humains ne s’entendent ni sur le présent ni sur les commencements. Et les victimes sont les peuples.
Le pire dans ces guerres de sensibilités, c’est que personne n’écoute personne. Les mensonges répandus ne touchent que des convaincus. Les autres répondent, va-t’en avec tes mensonges ponctués de silence, pourquoi me parles-tu de ceci et pas de cela ? Pourquoi es-tu sourd à telle souffrance et pas à telle autre ? Ainsi va le commerce mondial de la parole. Le dirigeant d’un pays armé d’une puissance militaire peut traiter un peuple de sauvages, de barbares. Et on trouve des raisons de ne pas dire : Halte là ! «Exterminez les juifs». «Exterminez les Palestiniens». «Renvoyez les immigrés (syn. Noirs sauvages arabes…) chez eux». Les violences verbales sur fond de menaces pleuvent et font parfois gagner des votes ou des combats qui transforment des monstres en héros.
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«Il y a toujours une guerre quelque part, comme une esthétique de la politique», écrivait Léo Ferré. Les guerres font l’actualité. Leurs seuls rivaux sont les séismes. L’actualité est sans doute la chose la plus bête, elle fonctionne comme les tubes. Une autre viendra la remplacer. Pas que des gens ne continueront pas à mourir. Pas qu’on avait pris le temps de penser les éclatements inévitables. Pas qu’on prend le temps de travailler à détruire les conditions de possibilité de ces guerres. Pas qu’on aura pris le temps de travailler à détruire les conditions de possibilité des autres guerres à venir. Côté actualité, la différence entre la guerre et le tube, c’est que le tube bénéficie du travail en amont de producteurs et de «découvreurs» aux aguets, et que les chansons et les airs, mièvres, débiles, vides de toute portée profonde, font bouger des foules imbéciles, mais ne tuent pas de civils.
Par Lyonel Trouillot
Image de couverture : « Des militants de Hamas lors d’une manifestation contre Israël à Gaza le 22 mai. » © Reuters
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