SOCIÉTÉ

L’UEH se reconstruit en petits projets disparates, alors que la construction de son campus est à l’arrêt

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Plusieurs facteurs expliquent la situation. Entre autres, un manque de vision et d’investissement de la part de l’État haïtien, mais aussi une logique de « petits projets » sans perspective d’ensemble

Sept des onze entités de l’université d’État d’Haïti ont été sévèrement endommagées par le tremblement de terre de 2010. Plus d’une décennie après, l’institution injecte des millions reçus, notamment de donateurs étrangers, dans la reconstruction et la réparation des entités atteintes.

Ces dépenses s’effectuent, alors que le projet visant la construction du campus de l’UEH à Damien dans la commune de la Croix-des-Bouquets est jeté aux oubliettes.

Pourtant, aux dires du recteur de l’institution, Fritz Deshommes, environ trois millions de dollars américains ont été déjà dépensés dans le cadre de la construction de ce campus qui devrait accueillir les 15 000 étudiants environ de l’UEH.

« L’UEH est le fruit de la réunion d’un certain nombre de facultés déjà existantes. Cette tradition donne aujourd’hui un émiettement de facultés »

Plusieurs facteurs semblent expliquer la situation. Entre autres, un manque de vision et d’investissement de la part de l’État haïtien, mais aussi une logique de « petits projets » sans perspective d’ensemble, qui laisse chaque entité se débrouiller pour trouver du financement, et organiser ses travaux.

Le doyen de la faculté des sciences humaines, Josué Vaval, admet que « de l’extérieur la contradiction, est flagrante » au sein d’une UEH qui se reconstruit isolément, loin de son projet de campus. Cependant, il estime que la situation est plus ou moins compréhensible lorsqu’on est à l’intérieur de l’institution.

« L’UEH n’est pas une université créée avec un certain nombre de facultés. Elle est le fruit de la réunion d’un certain nombre de facultés déjà existantes », dit le doyen. Cette tradition donne aujourd’hui un « émiettement de facultés » détenant, chacune une certaine autonomie.

Le projet de campus vise l’intégration de toutes les entités de l’UEH au sein d’un même espace. Or, « de l’intérieur, les facultés ne sont pas intégrées », souligne Josué Vaval. Il prend en exemple la faculté des sciences humaines qui détient un département de psychologie alors qu’à la faculté d’ethnologie, on a aussi un département de psychologie.

Des efforts consentis  

Peu après le séisme, le conseil de l’université s’était débattu, à travers une résolution prise en février de la même année, pour réaliser la construction du campus de Damien, en projet depuis 1970, selon le recteur Fritz Deshommes.

Outre les entités liées à la médecine qui doivent se trouver dans les parages de l’hôpital général au Centre-Ville, toute initiative visant à reconstruire une entité de l’UEH devait être faite sur les 60 hectares de terres, constituant la concession de l’UEH en Plaine.

Un plan d’action d’ensemble rigoureux était nécessaire pour canaliser l’argent des bailleurs. La première entité à avoir accès à un fond est la faculté des sciences qui a réussi à attirer l’attention des pays du golfe.

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Les responsables de cette faculté ont tout fait pour construire leur local à Damien. Ils ont buté sur un problème dénommé VRD (Voiries et Réseaux divers.) Des démarches non abouties ont été entreprises auprès de l’État haïtien pour trouver environ 200 millions de gourdes pour effectuer les travaux nécessaires.

Face à la pression du donateur, la faculté des sciences s’est vue obligée de se reconstruire sur son ancien site au cœur de Port-au-Prince.

« C’est l’État qui a provoqué cette débandade », regrette Fritz Deshommes. Selon les dires du recteur, si le drainage des lieux était effectué, toutes les entités de l’UEH pourraient entreprendre des démarches pour trouver des fonds visant leurs constructions et les bailleurs seraient beaucoup plus motivés.

Plusieurs millions dépensés

Entre-temps, l’émiettement des investissements continue. La réhabilitation du bâtiment logeant la FASCH, qui a duré à peu près un an, a coûté environ un million de dollars américain souligne le doyen de la faculté, Josué Vaval. Ce fonds a été mis à la disposition de l’État haïtien par l’ambassade du Japon.

Outre la réhabilitation du local de la FASCH, la Faculté de Médecine et de Pharmacie est reconstruite grâce à un financement de l’USAID estimé à 28 millions de dollars américains, révèle le vice-doyen Jude Milcé.

La faculté des sciences bénéficie d’un financement de 5,5 millions de dollars américains, de Qatar Foundation et de la fondation Clinton-Bush.

Propulsés par la Banque interaméricaine de développement, les travaux de construction de la faculté d’agronomie sont estimés à six millions de dollars américains.

Des engagements non tenus

Depuis le séisme de 2010, l’UEH a reçu de « beaucoup de promesses » visant à construire un campus universitaire dans le pays, selon le recteur Fritz Deshommes.

L’ancien président américain, Bill Clinton, alors représentant spécial du secrétaire général des Nations-Unies et co-président de la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti, avait solennellement annoncé, en présence de plus de 80 présidents d’universités américaines, que l’une de ses priorités, demeure la construction du campus de l’UEH.

Le 30 novembre 2011, le Premier ministre Gary Conille avait annoncé avoir mis à la disposition de la structure universitaire 30 millions de dollars américains pour entamer la construction du campus. Deux mois plus tard, le Premier ministre perd son poste et plus personne n’a entendu parler des 30 millions.

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Lors du vote du budget 2012-2013, le gouvernement avait promis une enveloppe de dix millions de dollars en vue de cette construction. Ces promesses sont restées sans suite.

En mai 2018, le recteur de l’Université d’État d’Haïti et la primature ont signé un protocole d’entente. Dans le plan stratégique de l’UEH qui constitue l’essence de ce protocole, le projet de construction de l’UEH est clairement mentionné. Comme les promesses d’avant, « ce protocole est demeuré lettre morte et on a vite désenchanté », regrette le recteur Fritz Deshommes.

En 2020, lors d’une visite du Premier ministre Joseph Jouthe au local devant être acquis en faveur de l’École Normale Supérieur, la construction du campus de l’UEH a été évoquée comme l’une des priorités du chef du gouvernement. Depuis, ces paroles peinent à se convertir en actes et les prêts de 200 millions de dollars américains nécessaires pour la construction du campus, selon les estimations du rectorat en 2011, se font attendre encore.

Fritz Deshommes garde quand même espoir. Construire le campus reste « une nécessité » pour l’érection d’une résidence des professeurs, un dortoir pour étudiants, des terrains de sports, des programmes de cycles courts, etc.

Samuel Celiné

Poète dans l'âme, journaliste par amour et travailleur social par besoin, Samuel Celiné s'intéresse aux enquêtes journalistiques.

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