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« L’or brun » fait encore la fierté de certaines régions du pays

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« Malgré la situation sécuritaire du pays, nous avons exporté 25 tonnes de cacao vers l’Europe en octobre 2023 », confie un exportateur à AyiboPost

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À deux heures de l’après-midi, le ciel d’Anse-d’Hainault, une commune du département de la Grand-Anse, s’égaie de minces flocons de nuages blancs. Ce vaste tableau d’immensité surplombe des arbres imposants dressés en rangs serrés.

Cet espace luxuriant de verdure ceint une usine en pierre couverte de tôles qui se dresse à côté de plus d’une dizaine de tables parallèles remplies entièrement de fèves de cacao qu’un homme laisse à sécher.

L’usine, les tables qui débordent de fèves… appartiennent à Kaléos, une entreprise de fermentation et d’exportation de cacao basée dans les départements du Sud et de la Grand-Anse.

Des planteurs mettent à secher les fèves de cacao à l’usine d’Anse d’Hainault en octobre 2023. | Jacquelin Calixte

Dans un contexte où l’insécurité étreint la zone métropolitaine et que les troubles sociopolitiques du pays découragent les investissements, cette entreprise a déjà injecté plus d’un million de dollars américains dans la filière cacaoyère depuis son lancement en 2013, selon Jacquelin Calixte, son président et co-fondateur.

« Malgré la situation sécuritaire du pays, nous avons exporté 25 tonnes de cacao vers l’Europe en octobre 2023 », confie Calixte à AyiboPost.

Kaléos entame ses opérations en 2013 après les saccades meurtrières du tremblement de terre de 2010.

Alors que Port-au-Prince peinait encore à se débarrasser de la mémoire de ses décombres, Calixte réalise une étude de marché de 2010 à 2011 pour identifier des filières agricoles haïtiennes susceptibles de générer le plus de demandes en Europe.

Deux années après, l’entrepreneur cofonde l’entreprise dans le département du Sud, avec, entre autres, des partenaires comme le Catholic Relief Services (CRS), l’Organisation internationale du Travail (OIT) et la Fondasyon Konesans ak Libète (FOKAL).

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Des petits paysans et producteurs de cacao notamment à Dame-Marie, à Anse-d’Hainault rejoignent rapidement le projet.

Ils sont formés, en marge de la mise en place d’un contrôle de qualité pour le cacao et près de 100 000 dollars investis lors du lancement en 2013, selon le co-fondateur, Didier Daigrement.

Kaléos achète du cacao bio des planteurs, le fermente aux termes de différentes étapes de contrôle de qualité pour ensuite le vendre à des partenaires comme la Belgique, l’Angleterre ou la France.

Pour répondre aux exigences de qualité des clients européens, une usine de fermentation de cacao d’une capacité de traitement de 150 à 250 tonnes a été installée à Anse-d’Hainault en juin 2022 dans le cadre du projet.

« L’on y embauche plus de 30 personnes, affirme Calixte. En période de grande récolte, le nombre peut s’étirer jusqu’à 80 ».

Des femmes qui trient des fèves de Cacao à l’usine d’Anse d’Hainault en octobre 2023.

Kaléos possède une certification équitable et son système de géoréférencement, mis en place depuis 2012, leur permet de garantir la traçabilité du cacao, de sa production jusqu’au consommateur final.

À Dame-Marie, séparé d’Anse d’Hainault par quatorze kilomètres, la production cacaoyère représente une bouffée d’air économique pour plus de la moitié des 40 000 âmes environ qui vivent dans la commune.

La zone concentre 9,37 à 9,75 % de la production totale nationale qui s’élève à 7500 tonnes métriques par an, selon les données du ministère de l’Agriculture, des Ressources naturelles et du Développement rural (MARNDR) en 2012. Les terrains emblavés en cacaos dans la localité s’étirent à perte de vue, sous un ciel cotonneux.

Jeancely François, un agriculteur qui tutoie la quarantaine, possède plusieurs plantations de cacao dans la zone.

« Le cacao me donne avec la plupart des cultivateurs une assise financière », raconte-t-il à AyiboPost.

Pour augmenter le rendement et le prix du produit, ces producteurs de « l’or brun » s’enrôlent dans des coopératives.

Réunion des membres d’une coopérative. | Octobre 2023

La plus importante de ces organisations — la Coopérative Union de Dame-Marie, CAUD — compte près de 1 200 planteurs.

Ces coopératives, éparpillées un peu partout à travers le département, lient les planteurs ou producteurs, et défendent leurs intérêts. Ils constituent aussi des points d’achats de cacao, en plus de servir de trait d’union entre les producteurs et les entreprises d’exportation.

Après Dame-Marie et Anse-d’Hainault, les autres communes avec un fort potentiel de production cacaoyère dans la Grand’Anse sont Chambellan, les Irois, Beaumont, Moron, entre autres…

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Appelé scientifiquement « theobroma », le cacaoyer est un arbre à feuilles persistantes.

Cultivée en Haïti selon un système d’agroforesterie en trois étages avec arbres fruitiers, plantes forestières et cultures vivrières, cette plante résistante au climat peut produire des récoltes tout au long de l’année, à condition qu’il y ait suffisamment de pluie. Elle donne des fèves comestibles qui sont utilisées pour fabriquer des produits dérivés tels que le chocolat, très demandé à l’échelle mondiale grâce à son arôme fruité particulier.

En Haïti, les deux principales variétés de cacao sont le criollo et le trinitario. Une troisième variété, le forastero, a été introduite dans les années 1970 par le MARNDR pour augmenter les rendements des plantations, comme l’explique Claudel Charles, agronome et étudiant en gestion des aires protégées et biodiversité à l’Université Senghor d’Alexandrie en Égypte. Le criollo est cultivé dans 100 % des plantations de Dame-marie, le forastero dans 82,5 % et le trinitario dans 17,20 %, d’après ce spécialiste.

Bien qu’il soit la quatrième filière d’exportation du pays après le café, la mangue et les huiles essentielles, seulement une petite partie du cacao produit en Haïti est fermentée, soit moins de 10 %, selon une étude de la société Ayitika en 2020. Le reste, non fermenté et appelé « cacao conventionnel », est vendu principalement sur le marché nord-américain pour utilisation dans des produits de gamme inférieure.

Des boîtes de fermentation de fèves de cacao à l’usine d’Anse d’Hainault. | Octobre 2023

L’entreprise Kaléos affirme avoir établi un réseau solide de clients satisfaits de la qualité du cacao haïtien. Cependant, bien qu’elle ait déclaré avoir exporté près de 500 tonnes en Europe depuis 2013, ces chiffres ne répondent pas pleinement à la demande internationale.

« Nous avons des clients qui peuvent absorber en un jour l’ensemble de la production nationale fermentée », affirme Calixte.

Haïti exporte environ 5 000 tonnes métriques de cacao par an sur le marché mondial, alors que près de trois millions de tonnes métriques sont échangées et vendues presque chaque année. Cela représente seulement 0,16 % du commerce mondial.

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Malgré cette situation difficile, de nombreux défis sociaux fragilisent la filière. La production de cacao à la Grand-Anse n’est pas épargnée par les aléas naturels.

L’ouragan Matthew, qui a frappé Haïti le 4 octobre 2016, a causé entre 546 et 1000 morts et a détruit plus de 80 % des champs de cacao dans le département.

Près de sept ans après, en 2022, la commune de Dame-Marie enregistre une baisse de 17 % de sa production, principalement à cause du « vieillissement des plantations », selon l’agronome Claudel Charles.

Selon une étude menée en 2022, la commune de Dame-Marie ne disposait d’aucune plantation de moins de vingt ans.

L’insécurité affecte également les activités des planteurs et des coopératives.

En 2023, la coopérative dirigée par Jean Garry Roblin, un planteur des Irois, a vendu quatre tonnes de cacao à un client basé à Léogâne. Malheureusement, le chargement, déposé à Drouillard, n’a jamais pu être récupéré en raison de la présence armée des gangs sur cet axe routier.

Jean Garry Roblin exprime sa frustration : « Nous ne recevons notre argent que de manière sporadique, ce qui nous a profondément affectés. Cette même année, faute de moyens, nous n’avons produit que quatre tonnes de cacao alors que nous aurions dû en produire huit. »

L’ouragan Matthew a détruit plus de 80 % des champs de cacao dans le département.

Les entreprises d’exportation subissent également les conséquences de l’insécurité.

Selon Jacquelin Calixte de Kaléos, l’entreprise fait souvent face à des retards dans les livraisons à l’étranger. En novembre 2023, par exemple, 25 tonnes de cacao destinées à l’exportation ont été bloquées pendant près de deux mois dans le terminal de Port-au-Prince en raison de l’insécurité, avant d’être finalement expédiées en Europe.

Calixte exprime son mécontentement : « Avant la crise sécuritaire, nous payions 4000 USD à un transporteur pour acheminer un chargement à Port-au-Prince. En 2023, ce montant a été multiplié par quatre. »

Plusieurs organisations non gouvernementales interviennent dans la production cacaoyère du département de la Grand-Anse.

AyiboPost a interviewé l’agronome Josué Bazile, membre d’une ONG du département, qui collabore avec les coopératives locales pour renforcer leur organisation et améliorer les infrastructures.

Cette ONG a réussi à regrouper six coopératives sous un seul label, le Rezo Koperativ Kakawo Grandans (REKOKAGA). Certains membres de la nouvelle structure ont participé au salon du chocolat à Paris du 28 septembre au 2 novembre 2023.

Cependant, malgré le fait que certaines communes de la Grand-Anse tirent une part importante de leurs revenus du commerce du cacao, la commune de Chambellan, également productrice de cacao et organisant ses activités autour de deux coopératives, semble rencontrer des difficultés, en ne parvenant pas à écouler l’ensemble de sa production saisonnière.

« En raison de l’insécurité, nous sommes contraints de limiter nos activités à notre région, et le manque de ressources nécessaires signifie que nous sommes encore incapables de fermenter notre cacao », déplore Luckson, un planteur de la zone.

Par Junior Legrand

Les photos de cet article sont de Jacquelin Calixte

Image de couverture : Un agriculteur ramassant des cabosses de cacao. freepik


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Junior Legrand est journaliste à AyiboPost depuis avril 2023. Il a été rédacteur à Sibelle Haïti, un journal en ligne.

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